HABIB THIAM :TRAJECTOIRE D'UN GRAND HOMME D'ETAT
Habib Thiam a tiré sa révérence à l’âge de 84 ans le lundi 26 juin 2017. Tout comme le président Abdou Diouf, il a été formé en France, à l'Ecole nationale d'outre-mer (Enfom), avant de rentrer au Sénégal en 1960. Il est nommé alors directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères puis de la Justice du gouvernement Dia-Senghor. Il occupe pour peu de temps la tête du secrétariat d'Etat à la présidence de la République, chargé du Plan et du développement.
Début de carrière ministérielle
En 1963, il est nommé ministre dudit département puis ministre du Développement rural en 1966 avant d’être député en 1973. En 1977, Thiam est choisi pour devenir le président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale jusqu’en 1981, date de la démission de Senghor de la présidence de la République. Ce choix déplait fortement à Léopold Sédar Senghor.
En effet, Habib Thiam est tombé en disgrâce en 1973 sur décision du Président-poète, qui lui reproche à cette époque des manquements graves dans sa gestion du département du développement rural. Pourtant, c’est ce dernier qui sera nommé Premier ministre du premier gouvernement du président Abdou Diouf malgré le choix de Senghor porté sur Moustapha Niasse.
Et sans associer son nouveau Premier ministre, le président Diouf avec son éminence grise Jean Collin décide seul la composition du nouveau gouvernement. Le successeur de Senghor tient à ses prérogatives hyper-présidentialistes.C’est pourquoi en 1983, il décide de supprimer le poste de Premier ministre créé par Senghor en 1970. Ainsi dans son allocution radiotélévisée du 4 avril 1983, Diouf annonce la suppression du poste de Premier ministre. Le premier surpris par la nouvelle est Habib Thiam, non averti du projet présidentiel. Il faut lui trouver un point de chute pour «l’ami» Habib. Les élections législatives de 1983 sous la conduite du PM seront remportées à hauteur de 79% par le Parti socialiste (PS). Ce dernier devient alors président de l’Assemblée nationale.
Les déboires au perchoir
La suprématie de Jean Collin, super ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence, est de plus en plus palpable à partir de 1983. Il détient à présent les clés du parti et se pose en arbitre incontournable, aussi bien au PS qu'au sein du gouvernement. Cette omnipotence agace certains fidèles de Diouf, en particulier Habib Thiam. Les conflits entre les deux hommes, bien antérieurs à l'ascension de Diouf à la présidence, se multiplient.
Très rapidement, Thiam constate avec amertume que les manigances de Collin à son encontre sont tolérées par le chef de l'Etat. Alors qu'il est dans les textes le deuxième personnage du Sénégal, Habib Thiam n'est pas consulté lors de la composition du bureau de l'Assemblée nationale. Il comprend dès lors qu’il n’est qu’un président en papier et qu’il est assis sur un siège éjectable.
Ainsi il sera éphémère président de l’Assemblée nationale. Et en cette année 1984, Habib Thiam est victime des manœuvres, sur fond d’un contentieux des années 70, de Jean Collin. Ce dernier manipule comme des pantins une bande de députés socialistes godillots pour pousser aux orties l’alors président de l’institution parlementaire.
Il faut souligner qu’Habib Thiam, en homme libre, a toujours protesté contre une dérive présidentialiste de plus en plus forte du régime en s’opposant à certains projets de lois. Un tel comportement téméraire dérange Jean Collin au point que, par l'intermédiaire d’Ibrahima Wone, ministre de l’Intérieur, tous les députés socialistes sont convoqués à voter une loi portant sur la réduction du mandat du président de l'Assemblée nationale de cinq à un an.
Prenant exemple sur le Cameroun, les députés justifient cette loi en affirmant vouloir uniformiser le mandat du président de l’Assemblée avec celui des membres du bureau étant élus pour une durée annuelle. Et pour éviter « d’être désarmé face au président de l’Assemblée nationale, au cas où les intérêts de la majorité seraient menacés ».
La loi est votée le 15 mars 1984 par 107 députés sur 114 présents. Le PDS vote contre, estimant qu'il s'agit là «d'un règlement de compte entre clans du parti au pouvoir». Habib Thiam, «tout simplement dégoûté», démissionne le 11 avril 1984 avec fracas de ses fonctions de président de l'Assemblée nationale, député, secrétaire général de la coordination départementale de Dagana, secrétaire général adjoint de l'union régionale de la région du Fleuve, membre du bureau politique PS ainsi que du conseil national. En dépit du silence officiel de son ami, Habib Thiam ne quitte pas le PS à la demande d’Abdou Diouf. Ce dernier le nomme à la présidence du Conseil d'administration de la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie du Sénégal (Bicis).
Il est remplacé à la tête du Parlement par Daouda Sow. Certains accusent ce dernier d’avoir soutenu l’initiative colliniste. Mais comme une sorte de justice divine, le même procédé sera utilisé par la même personne en décembre 1988 pour se défaire de Sow au perchoir. Son crime : avoir demandé, après des élections législatives catastrophiques, un nouvel organigramme du Ps qui écarterait Jean Collin de sa position de numéro 2 officieux du parti.
Retour à la Primature et clash avec Abdoulaye Wade
Le 8 avril 1991, Habib redevient Premier ministre avec l’ouverture que le président Abdou Diouf prône en direction de l’opposition. Durant cette période, ses relations avec Abdoulaye Wade nommé ministre d’Etat au nom du gouvernement de majorité présidentielle élargie (GMPE) sont très heurtées.
L'affrontement le plus net entre les deux susnommés concerne le Fonds pour la Promotion Economique (FPE) de 39 milliards FCFA, accordé par la BAD le 22 novembre 1991. Pour Habib Thiam, ce fonds doit être raccordé à lui pour éviter tout détournement d'argent. Abdoulaye Wade, qui n'a aucune sympathie pour Thiam, dénonce cette appropriation.
Le ministre d'Etat débute alors une véritable campagne de presse pour que le FPE soit rattaché à Famara Ibrahima Sagna, ministre de l'Economie et des Finances, allié de Wade qui a beaucoup influé pour que le président Diouf lui ouvre les portes du gouvernement avec ses affidés. Cela vaut son pesant d’or puisque Famara lorgne la Primature et Wade sert d’expédient pour affaiblir Habib Thiam.
Ainsi ce dernier raconte l'un de ces multiples accrochages dans son ouvrage « par devoir et par amitié » : « Abdoulaye Wade crut bon de m'appeler au téléphone pour me dire sa conception sur la manière de gouverner. A cause du ton employé, rogue et donneur de leçons, je l'ai envoyé sur les roses en lui précisant qu'aussi longtemps que j'occuperais le poste de Premier ministre, il en serait ainsi ».
Après les élections générales de 1993, Abdou Diouf forme son gouvernement le 2 juin de la même année. Ayant reconduit Habib Thiam à la Primature, le président Diouf se sépare de Famara Ibrahima Sagna qui fait les frais de son alliance avec Wade au sujet du FPE pour déstabiliser l'ami du Président.
1998 : fin de mission politique
Habib Thiam restera à la Primature jusqu'au 3 juillet 1998 avec l’arrivée de Mamadou Lamine Loum. Ainsi, l'homme d'Etat vient de mettre un terme à quatre décennies de trajectoire politique avec ses hauts et ses bas. Et comme pour couronner une bonne partie de cette carrière politique riche en péripéties, l’ancien Premier ministre écrit, en 2001, un ouvrage «Par devoir et par amitié» qui retrace sans complaisance ses années de compagnonnage avec son ami Abdou Diouf de 1981 jusqu’à sa chute en 2000.