LES PREBENDES DIVISENT LE PIT ET LA LD
La Ld et le Pit sont au bord de l'implosion, les deux partis semblent s'éloigner de la "lutte des classes" et s'entredéchirent pour des positions de privilèges
En pleine tourmente depuis la formation du gouvernement Mahamad Boun Abdallah Dionne 2, la Ligue Démocratique (Ld) et le Parti de l’Indépendance et du Travail (Pit) sont au bord de l’implosion. Les responsables de ces deux formations de gauche s’entredéchirent pour des positions de privilèges et autres sinécures. Donc, on est loin de l’époque où la gauche était allergique aux apparats, paillettes et or du Palais et insensible au pouvoir d’argent.
Ces temps-ci, la météo politique est particulièrement agitée dans les rangs de la Ld et du Pit. Les orages sont en train de se déchaîner sur ces deux formations politiques de la gauche sénégalaise depuis la formation du nouveau gouvernement. Ces dernières, enivrées par les délices du pouvoir, éprouvent d’énormes difficultés à s’accorder sur le choix de ceux qui les représentent dans l’équipe que dirige Mahamad Boun Abdallah Dionne.
Désormais, ces partis de gauche semblent s’éloigner de leur idéal pour se lancer dans une bataille féroce pour les strapontins. La guerre est ouverte pour ne pas se faire larguer à l’heure du partage du gâteau. En atteste la récente sortie au vitriol de Amath Camara (ancien directeur de cabinet de Mansour Sy) contre Samba Sy qui, selon lui, aurait usé de manœuvres et abusé de combines pour se retrouver à la tête du ministère du Travail, du Dialogue social, des Organisations professionnelles et des Relations avec les Institutions, en remplacement de Mansour Sy. Autrement dit, Amath Camara accuse ouvertement le secrétaire général du Pit d’avoir opéré un hold-up contre Mansour Sy en violation flagrante des directives du parti. Evidemment, le camp du secrétaire général des Cocos de Khar Yalla n’a pas tardé à apporter une réplique foudroyante à ces attaques.
OTE-TOI DE LA QUE JE M’Y METTE
Ces bisbilles sont survenues au sein du Pit au moment où la Ligue démocratique (Ld) est complètement en lambeaux. Là aussi, «la lutte des classe» a cédé la place à «la bataille des places» pour paraphraser l’écrivain Amadou Kah. En effet, les démons de la division qui se sont installés depuis quelques mois dans la barque jallarbiste sont devenus incontrôlables dès le lendemain de la formation du nouveau gouvernement. Le maintien de Khoudia Mbaye dans le gouvernement alors qu’elle était pressentie pour migrer vers l’hémicycle de la Place Soweto a ravivé les rancoeurs chez les roses. Ainsi, deux camps, l’un amené par Khoudia Mbaye, Moussa Sarr, Nicolas Ndiaye, et l’autre constitué autour de Souleymane Cissé et Pape Sarr, s’affrontent dans une bataille sans merci. «La Ld Debout» est mise sur pied par l’aile dissidente animée par Souleymane Cissé, Pape Sarr et Cie. Alors que les jallarbistes peinent à recoller les morceaux dans ce contexte de crise profonde, l’ancien secrétaire général de la Ld, Mamadou Ndoye jette de l’huile sur le feu en révélant des pratiques que l’on croyait révolues après la défaite du régime de Me Abdoulaye Wade. En effet, Mamadou Ndoye révèle, à la surprise générale, que durant les quatre ans où il a été secrétaire général de la Ld, il a reçu, chaque mois, 4 millions Fcfa du président de la République, Macky Sall. Même s’il poursuit que ce pactole est allé directement dans les caisses due la Ld, il n’en demeure pas moins que l’opinion est scandalisée et estomaquée d’apprendre que des pratiques du genre sont encore en cours alors qu’elle s’attendait à une gestion sobre et vertueuse et croyait naïvement à une démarche de rupture. Une promesse faite par les autorités actuelles. Ces luttes menées sous l’autel des intérêts personnels et des ambitions inassouvies sont devenues de plus en plus fréquentes dans les rangs de la gauche sénégalaise. On se rappelle le duel à mort entre Landing Savané et Mamadou Diop Decroix, brouillés pour des raisons pécuniaires. Decroix s’est senti trahi en apprenant que Me Abdoulaye Wade offrait chaque mois la somme de 30 millions Fcfa à son compagnon de quatre décennies. Sous Wade, Aj/Pads a connu des multiples secousses. Ce qui l’a beaucoup fragilisé. Sans être exhaustif, on peut citer, la rébellion de Mamadou Diop Decroix, la dissidence des Madièye Mbodji, Haoua Dia Thiam et autres (fondateurs de Yonou Askan Wi) et la démission de Bassirou Sarr.
REQUIEM POUR LA LUTTE DES CLASSES
Cette guerre fratricide par presse interposée prouve suffisamment que la gauche sénégalaise a fondamentalement dévié de sa trajectoire, enterré ses principes et valeurs, et s’est vidée de son essence. Seul Sémou Pathé Guèye (Pit) aurait refusé un poste de ministre sous Diouf et sous Wade. Ce qui fait dire à l’enseignant-chercheur Amadou Kah que «la gauche s’identifie à un désir de transformation de la société à l’image de ce qu’étaient les préoccupations des communards parisiens, des révolutionnaires russes et chinois : changer la politique, instaurer une société plus juste». Dans son livre intitulé : «De la lutte des classes à la bataille des places. Le tragique destin de la gauche sénégalaise» publié en 2016, Amadou Kah explique que «pendant longtemps au Sénégal, il y avait une fierté à se revendiquer de la gauche, en dépit de la toute symbolique culturelle rattachée à la gauche (les interdits culturels d’utiliser la main gauche, les références métaphysiques le jour du jugement dernier, les réprouvés à la gauche de Dieu et les Justes à droite)». C’est à la veille des indépendances, explique Kalidou Diallo (ancien ministre de l’Education nationale sous Me Abdoulaye, exresponsable du Pit et historien), «que les intellectuels africains qui sortaient de la domination coloniale et de l’impérialisme, ont découvert le communisme socialisme qui se bat pour l’égalité, qui se bat contre l’oppression impérialiste, se bat contre l’injustice. Ils se sont appropriés cette idéologie et ont décidé de militer dans les partis de gauche». L’ancien ministre de l’Education nationale est conforté dans sa thèse par Amadou Kah. Ce dernier, dans son ouvrage, considère que «l’histoire de la gauche en Afrique se confond avec celle des mouvements de libération nationale.
Pour beaucoup de formations politiques de l’époque, le label de gauche était naturellement le mieux indiqué pour revendiquer d’abord et poursuivre par la suite l’émancipation des peuples du continent en lutte et dont le destin était assimilé à celui des classes défavorisées dans les autres parties du monde».
Le Pr Kalidou Diallo relative un peu ce que l’enseignant-chercheur Amadou Kah appelle «la bataille des places» en rappelant d’emblée que le communisme n’est pas né en Afrique. «Il est né ailleurs. De tout le temps, le Parti communiste français et le Maoïsme ont toujours financé les partis communistes au niveau local par la formation des militants, de la presse, des étudiants. Il y avait des politiques professionnels qui sont entretenus. Tout cela a existé jusqu’à la chute du mur de Berlin. Après la chute du mur de Berlin, ces sources de financement se sont taries au niveau international. Il fallait donc retourner au niveau national.
C’est à partir de là que les partis de gauche locaux ont commencé à s’ouvrir aux autres idéologies », explique Kalidou Diallo qui, dès lors, comprend parfaitement la démarche de Mamadou Ndoye consistant à recevoir de son «allié» des fonds pour faire fonctionner la Ld. Refusant de verser dans un idéalisme béat dans un monde où «de plus en plus le communisme se démocratise, défend la liberté de la presse, la liberté de parole», Kalidou Diallo soutient que les valeurs idéologiques se confondent. «Car de plus en plus, le libéralisme se socialise. Les libéraux sont pour le partage des bénéfices, l’assistance sociale, la santé pour tous. Si ces valeurs se confondent, les partis qui les incarnent se retrouvent forcément.
C’est pourquoi, Me Wade était dans une ambivalence. Au départ, il était travailliste avant d’être libéral ensuite libéralsocial. D’ailleurs, ce sont les mêmes valeurs que défend Macky Sall actuellement. Les Présidents Senghor et Diouf qui sont des socialistes ont appliqué, sous leur règne, des politiques libérales. C’est pourquoi, cette confusion d’idéologie dans la pratique fait que également que les partis gouvernent ensemble. Il ne faut pas être trop idéaliste», affirme l’ancien ministre de l’Education et ancien militant du Pit.