UN MATCH QUI VAUT 5 MILLIARDS
Dieu fasse qu’on prenne réellement conscience de ce qui pourrait advenir. Le football sénégalais est à deux matches de la Coupe du monde. Les intérêts en jeu sont énormes. Ils sont dans le foot uniquement, ils vont au-delà. Il y a dix ans, tombé en plein dans le tourbillon magique sans avoir rien vu venir, sans pratiquement rien comprendre de l’immensité des opportunités présentes, on avait vu les ristournes du Mondial-2002 s’égayer ici, faire des fortunes heureuses là et laisser le foot dans la misère.
Pour l’heure on est loin du tiroir-caisse de Blatter pour Brésil-2014, mais la misère dope les imaginations.
Ministre des Sports ayant hérité de la gestion post-Mondial en 2002, Youssoupha Ndiaye avait levé son nez des comptes ahurissants qu’il avait devant lui, pour dénoncer un système d’«enrichissements sans cause». Le terme «bien mal acquis» n’était pas encore à l’ordre du jour, mais on n’a pas besoin d’un grand effort sémantique pour établir la synonymie.
La justice avait fait son travail, le foot ne s’en était pas relevé pour autant. L’argent du Mondial et de la Can-2002 n’avait pas servi à construire un seul terrain de foot, mais il avait permis de dépenser 90 millions de francs en xon, histoire de garantir un «environnement psychologique» adéquat aux «Lions».
D’accord, cela peut porter malheur de parler de sous, alors que… Mais le foot est si misérable qu’on ne peut manquer d’anticiper sur des recettes fictives et leur utilité.
Ce n’était pas la première fois, avec le Mondial-2002, que l’inexpérience, le fait d’aller vers l’inconnu poussaient le football sénégalais dans les travers de la perdition. La Can de 1986, en Egypte, avait été une aventure du même type, sur un autre registre.
Les errements au Caire, les confusions, l’incapacité à gérer un groupe dans une haute compétition aux matches rapprochés (on ne connaissait que la Coupe Cabral) avaient fait le lit d’un désastre total. Cela faisait dix-huit ans que le Sénégal n’avait plus disputé de Can et personne, parmi ceux qui composaient l’encadrement, n’avait eu à baigner dans cette ambiance. Pire, on ne connaissait même pas le règlement de la compétition…
Le Mondial est une opportunité souvent gaspillée en Afrique, par le fait de la dilapidation et des prédations de toutes sortes. Tant de fois, le Cameroun a fait partie de ce cercle des bienheureux. Il n’empêche que le stade Ahmadou Ahidjo, à Yaoundé, est d’une décrépitude honteuse.
Ce que l’Etat sénégalais ne fera jamais pour ce football, les «Lions» l’ont au bout de leurs pieds. Il y a loin de la coupe aux lèvres, mais le Mondial est une opportunité financière qui double la dimension sportive.
Bien sûr qu’on en est loin. Mais d’un éloignement qui se définit moins en longueur d’étapes qu’en priorités immédiates. Car il faut surclasser la Côte d’Ivoire. Un énorme défi, mais d’un accomplissement qui reste dans l’ordre du possible. Tout qualifié sortant de ce match serait légitime. «Lions» et «Eléphants» ne sont pas du même niveau, mais ce qui les éloigne en termes de stature ne fait pas un fossé.
L’opportunité est donc belle. Derrière le souci sportif de voir le Sénégal au Mondial, l’intérêt politique est immédiat. Ce match est une affaire d’Etat et on le dit déjà au ministère des Sports. On n’a pas besoin d’être grand clerc pour le savoir. Dans les difficiles moments de prise en charge des urgences sociales, on connaît la force anesthésiante que constitue l’euphorie d’un Mondial. On l’a vécue, il y a dix ans. Sans compter la dynamique que développe l’économie du sport, quand l’informel s’accroche à un événement où le merchandising et la commercialisation des produits offrent à Sandaga des opportunités royales.
Les «Lions» ne jouent pas pour leur palmarès uniquement, pour la grandeur sportive du Sénégal ou pour son rayonnement international. Les 23 joueurs dont Giresse va aligner les noms ce mardi peuvent devenir des poules aux œufs d’or. Mais iI faudra d’abord qu’ils soient de bons braconniers. Aucune convention internationale ne protège l’espèce d’éléphants qu’ils vont chasser. Donc ils peuvent en tuer vingt-trois sans se soucier des dégâts collatéraux.
Ensuite, ils ne gagneront pas le Mondial. Peut-être ne seront-ils même pas quarts de finalistes comme en 2002. Soit. Mais en 2010, rien que le fait de participer au Mondial sud-africain, et quel que soit le résultat acquis, avait rapporté à chaque équipe nationale une dotation de 7 millions d’euros (environ 5 milliards de francs) au titre de prime de participation. Le même montant que celui rapporté par le parcours des «Lions» jusqu’en quarts de finale en 2002.
Cette fois, on ne dépensera sans doute pas 90 millions de francs pour des xon (avec des décharges sur simple feuille papier), comme l’avait révélé le rapport de la Cour des comptes qui avait valu un mandat de dépôt à trois agents de la fédération d’alors et à son agent marketing.
Mais il faut d’abord aller chercher ces 5 milliards de francs…
Cela peut paraître bien trivial de rêver de sous quand la performance sportive est un bonheur à elle seule. Mais la misère ambiante est source de préoccupation terre-à-terre. Et on se demande bien qui cracherait sur 5 milliards…