L'ENFER DES BELLES-FILLES
Les jeunes épouses vivent l’enfer au quotidien dans beaucoup de familles au Sénégal, du fait des relations souvent tendues avec la mère ou les sœurs de leur époux
Au Sénégal, dans beaucoup de familles, les jeunes épouses vivent l’enfer au quotidien. Ce, du fait de relations souvent tendues avec la mère ou les sœurs de leur époux. Si les épouses imputent la responsabilité à leurs belles-sœurs ou aux caprices de la belle-mère, ces dernières ne manquent pas d’argument pour soutenir l’accusation contre elles. Mais dans tous les cas, cette institution qui vise le bonheur de deux âmes unies pour le meilleur et pour le pire, se transforme, parfois, en calvaire.
BELLES-SŒURS, BELLE-MERE ET BRUS
L’amour impossible !
Pour certaines femmes, l’union sacrée se passe souvent mal dans la maison familiale. Entre jalousie, commérages, calomnies, mépris et conflits, rares sont les femmes qui déclarent avoir des rapports harmonieux avec leur belle-famille. Et cela pour plusieurs raisons.
La vie de famille mène au bonheur. Cependant, derrière ce vœu qui pousse beaucoup d’hommes et de femmes à se dire oui, se cachent beaucoup de difficultés dans la cohabitation. Dans la société sénégalaise, épouser un homme dépasse, en effet, le seul couple. La belle-famille, la mère et les sœurs sont prises en ligne de compte. Dès lors, le mariage n’est plus une affaire de deux personnes. Souvent les rapports entre belle-mère et belles-filles, qui ont débuté sur un air de «téranga» avec des cadeaux pour se faire mutuellement plaisir, finissent par déraper pour installer le ménage dans une ambiance de forte animosité. Laquelle dégénère souvent en disputes entre belles-sœurs ou entre belle-mère et bru. Des empoignades où tous les coups et mots sont permis. Astou Dramé est une belle-mère. Elle a une mauvaise opinion de l’épouse de son fils. «Mon fils n’a pas la femme idéale. Elle est mauvaise», tacle-t-elle. Réponse de Marème Ndiaye à sa belle-mère lors d’une dispute : «Enlevez-moi de votre bouche (traduction littérale des mots wolof, yabbilène ma, Ndlr). Vous ne pouvez rien contre moi !» Khady Fall, la belle-sœur, de prendre parti. «Je ne peux pas rester passive quand ma belle-sœur insulte ma maman», sert-elle. Et c’est le début des problèmes.
Qu’est-ce qui est à l’origine de ces querelles qui finissent la plupart du temps par des ruptures de liens ? Les parties se renvoient la balle. Dans ces relations familiales qui, très souvent, sont complexes, il suffit d’évoquer le sujet pour déclencher des confidences.
Jalousie et rivalité
La rivalité féminine existe depuis la nuit des temps. Là ou il y a des femmes, il y a de la rivalité, consciente ou inconsciente… Qu’elles soient des coépouses, mères, belles-sœurs ou brus, chacune a ce sentiment enfoui au fond d’elle-même. Certaines familles sont des terreaux de ce phénomène qui est source de tension entre belles-sœurs. Même si elle ne le dit pas dans son témoignage, Astou Dramé semble éprouver quelques sentiments de jalousie envers sa bru. «Elle nous provoquait tous les jours pour avoir une occasion de quitter la maison pour aller vivre seule avec son mari. Au bout d’un moment, j’en avais assez et ai demandé à mon fils de trouver une solution. Ils sont partis chercher un appartement, mais cela n’a pas duré. Elle crée toujours des histoires à son époux. Tout ce qui l’intéresse, c’est l’argent de mon fils. C’est une opportuniste. L’histoire m’a donné parce qu’elle a fini par divorcer. C’est pourquoi je ne veux plus que mon fils amène sa femme dans la maison. C’est mieux quand ils vivent à distance. S’ils ont le temps, ils passent me voir», déclare la belle-mère.
Parfois, tout acte de la part des membres de la belle-famille est perçu comme de la jalousie par la femme mariée «Ma belle-famille ne peut accepter que mon mari me fasse un cadeau. Même pour un petit bijou acheté lors d’une fête, elle en fait un tollé», confie Coumba D.
«Touche pas à mes enfants !»
Et quand les enfants s’en mêlent, les choses prennent une autre tournure. Pour Marième Ndiaye, tous ses problèmes ont commencé quand son fils a été sévèrement corrigé par un membre de sa belle-famille. «Un jour, j’étais sortie. A mon retour, j’ai trouvé un de mes enfants en train de pleurer à chaudes larmes. Je lui ai demandé les raisons, il pointe du doigt la chambre de ma belle-mère. Et sa fille me dit que c’est à cause d’une histoire de biscuits. Ce qui n’était pas le cas. Ma belle-mère est intervenue en me traitant de tous les noms d’oiseau. J’ai essayé, tout le temps, de gérer ses émotions, mais finalement j’ai craqué» raconte-t-elle. Et pour la première fois, son époux, qui s’est toujours abstenu de prendre part aux querelles est intervenu en faveur de sa femme. Une réaction qui sera à l’origine de toutes les tensions dans la famille.
Ami Guèye est aussi une de ces femmes qui n’aiment pas qu’on touche à leur progéniture. Même si sa belle-famille a un devoir d’éducation sur ses enfants, elle n’accepte pas de la voir les corriger. «Je peux tolérer beaucoup de choses. Mais, pas qu’on touche à mes enfants. Je n’ai aucun problème avec mes belles-sœurs. Mais, je ne leur permets pas, ni même à ma belle-mère, de battre mes enfants. Des fois, il y a de la conspiration de leur part pour me faire mal. Mais je les esquive toujours pour ne pas gâcher la bonne relation que j’ai avec elles», soutient-elle.
Si certaines belles-sœurs arrivent à créer une bonne entente dans la maison familiale, pour d’autres, cela s’avère plutôt difficile. D’où la naissance de tensions plus ou moins vives et de conflits au quotidien.
Les belles-sœurs se racontent
NDEYE FALL, 23 ANS : «Ma belle-mère voulait que j’ai une coépouse»
«J’ai quitté Dakar pour rejoindre la maison conjugale à Kébémer, il y a trois ans. Mais, aujourd’hui, le souhait de ma belle-mère est que j’ai une coépouse. Puisque je ne suis pas de leur famille, elle veut que son fils épouse son homonyme qui était dans la maison. Elle pense que mon mari me donne tout son salaire. C’est pourquoi elle m’accuse de l’avoir marabouté. C’est ce qui est à l’origine de nos différends dans la maison. Je ne pouvais plus rester, alors je suis retournée pour être près de mon mari qui travaille ici à Dakar. Au début de ma grossesse, ma belle-mère disait que je ne voulais plus exécuter les tâches ménagères. Quelques temps après, elle a su que j’étais enceinte. Malgré ça, elle n’a pas arrêté à me faire faire des travaux domestiques durant toute la journée. J’avais même des œdèmes au niveau des pieds et je n’avais même pas le temps de m’occuper de mon époux. La réalité est qu’elle ne m’aime pas et ne le cache pas.»
KHADY DIOP, 42 ANS, DIVORCEE, MERE DE QUATRE ENFANTS : «Les filles cherchent des histoires pour quitter la maison familiale»
«Les filles d’aujourd’hui ne veulent plus rester dans les maisons familiales. Elles préfèrent être dans un appartement avec leurs maris et leurs enfants. C’est pourquoi elles cherchent tout le temps des histoires pour avoir un moyen de quitter la maison. Elles savent pertinemment ce quelles font, elles rivalisent avec leurs belles-sœurs qui vivent dans la maison. Elles font les choses à moitié parce qu’il y a les belles-sœurs dans la maison. Et si par malheur, la belle-sœur qui était mariée revient avec ses enfants, elles s’en prennent à ces derniers et nos mères pour nous atteindre. Ce qui est souvent à l’origine des querelles. Ceux qui ne connaissent pas l’origine des problèmes nous accusent gratuitement. J’ai vécu personnellement tout cela avec l’épouse de mon frère. Et quand elle a su que c’était peine perdue, elle s’en est prise à son mari. Les choses se sont dégénérées, ils se sont battus et finalement elle a divorcé.»
NDEYE TENING NIANG, SOCIOLOGUE : «Les belles-sœurs doivent avoir une obéissance réfléchie…»
WalfQuotidien : Les belles-sœurs et belles-mères ont souvent des rapports heurtés avec l’épouse de leur fils ou frère. Qu’est-ce qui, selon vous, explique cette situation ?
Ndèye Tening NIANG : L’environnement éducatif et la trajectoire de vie ne sont pas souvent les mêmes. Les belles-filles et leurs belles-familles n’ont généralement pas partagé leur enfance et ce qu’elles ont vécu par la suite. Leurs chemins se sont croisés. Et c’est de cette rencontre qu’est née l’union entre les deux. Il faut inévitablement que l’une des deux parties fasse des concessions afin qu’elles puissent vivre ensemble. La belle-fille a le devoir de respecter sa belle-famille. Elle doit la considérer comme sa propre famille et vice versa. Auparavant, c’est ce qu’on constatait dans les foyers. Mais, notre héritage traditionnel à tous les niveaux disparait petit à petit.
Mais est-ce qu’une certaine belle-famille n’abuse pas de la soumission des épouses de leurs frères ?
Souvent, on demande aux épouses de respecter leurs époux, d’obéir à leur belle-famille. Mais elles doivent avoir une obéissance réfléchie à leur mari. Par exemple si elles constatent, pour diverses raisons, que le mari se range du côté de sa belle-famille à chaque fois que ce genre de situation se présente, elles doivent pouvoir échanger avec le mari afin de trouver une solution. Le mari doit aussi avoir un respect pour sa maman et pour son épouse. Il doit échanger respectueusement avec ces dernières afin de les amener à vivre ensemble convenablement.
On a l’habitude de voir dans notre société des échanges de cadeaux entre belle-sœur, belle-mère et bru. Est-ce que ce phénomène n’est souvent pas source de problème si l’une des parties n’arrive plus à le faire ?
Dans certains situations oui, mais dans d’autres, non. C’est toujours bien d’offrir des cadeaux à sa belle-famille. Mais, cela doit toujours être un geste simple et mesuré parce qu’on ne sait jamais dans la vie. Il est possible que la situation de la personne change et qu’elle ne soit plus en mesure d’offrir des cadeaux à la hauteur ce qu’elle faisait. Tout comme sa situation peut aussi s’améliorer.