LES FEMMES FREINEES PAR LES COUTUMES ET LA MECONNAISSANCE DE LEURS DROITS
Avoir une terre pour développer des activités génératrices de revenus n’est pas toujours chose aisée pour les femmes
Avoir une terre pour développer des activités génératrices de revenus n’est pas toujours chose aisée pour les femmes. Même si elles en disposent parfois, il se trouve que trop souvent, elles n’ont aucun contrôle sur cette terre qui est la plupart du temps un bien commun. Si l’on en croit les personnes interrogées, la méconnaissance de leurs droits, les coutumes et les traditions qui les confinent dans un rôle secondaire, sont les principales causes de ce faible accès des femmes à la terre.
Très présentes dans de petites activités génératrices de revenus telles que le maraichage, l’agriculture familiale et parfois gestionnaires de grands projets d’agriculture, les femmes peinent très souvent à accéder à la terre. Et si accès il y a, c’est le contrôle de cette terre qui fait défaut. Pourtant au Sénégal, aucune loi ne discrimine la gent féminine dans l’octroi de la terre. La loi n° 64-46 du 17 juin 1964 sur le domaine national, la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale adoptée en 2004 et les conventions internationales que le Sénégal a ratifiées garantissent l’équité et l’égalité à l’accès à la terre.
Les seuls goulots d’étranglement restent la coutume et les traditions qui confinent la femme dans une position où elle est obligée de tout attendre, mais aussi l’ignorance de ces dernières de la place qu’elles doivent occuper dans les instances de décision. De simple agricultrice, elle est devenue une des femmes les plus actives dans l’exploitation de la terre. Tiné Ndoye, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est la présidente nationale du «Réseau des Femmes rurales et Développement». Habitant la zone des Niayes, elle est actuellement membre de la fédération des agropasteurs de Diender et conseillère au Conseil économique social et environnemental (Cse).
TINE NDOYE, FEMME LEADER DANS SON DOMAINE
Sa percée dans le foncier elle la doit à sa présence très tôt dans les instances de décisions locales. « Je fait partie des premières femmes conseillères du Sénégal. J’ai compris avec mon poste de responsabilité que la non représentativité des femmes aux instances de décision est une cause considérable de leur absence au contrôle de la bonne terre », a-t-elle estimé. A part la faible représentativité aux instances de décisions, les femmes sont aussi bloquées par l’ignorance des possibilités qui leurs sont offertes, signale Tiné Ndoye. Appuyée par les organisations non gouvernementales elle a pu, en plus de sa présence dans les instances de décisions locales, acquérir une expérience qui lui a valu la maitrise du processus à suivre pour acquérir des terres. Actuellement, femme leader dans son domaine, Tiné Ndoye souhaite qu’une sensibilisation soit faite afin de permettre aux femmes de connaitre la voie à suivre. Cette faible présence des femmes aux instances de décision peut être une cause du non accès et du contrôle du foncier. Mais selon la présidente du conseil d’administration d’Enda tiers monde, Mariéme Sow, il ne saurait être le seul blocage. « La religion quelque fois on la cite comme frein, mais quand on a fait parler les marabouts, on a senti que la religion n’interdit pas la répartition des biens laissés par les parents. Si on suit la religion peut-être la femme aurait la moitié, mais elle a droit au foncier. Cependant, la tradition a fait de sorte que la terre ne soit pas répartie individuellement entre les membres d’une même famille », déplore-telle.
Pour Mariéme Sow, le frein à l’accès des femmes à la terre, c’est l’esprit des anciens qui veut que la terre soit un bien pour toute la famille. De l’avis de la présidente du Conseil d’administration d’Enda Tiers monde, la loi sur le domaine national qui garantit un accès de la femme à la terre n’est pas bien appliquée. « L’esprit de la loi sur le domaine national est de faire de la terre un bien national confié aux élus locaux. Cette loi veut aussi que la terre soit donnée à tout Sénégalais ou Sénégalaise qui en fait la demande. Cependant, il s’est trouvé que cette loi sur le domaine national qui avait ouvert grandement la porte à la femme demandeur de la terre, n’a pratiquement pas été dissociée en milieu rural de l’aspect coutumier », fait-elle remarquer.
Chercheur à Initiative prospective agricole et rural (Ipar), Ndeye Yande Ndiaye soutient que seules 13% des femmes sénégalaises ont un accès et un contrôle sur des terres. Elle souligne ainsi que les femmes occupent très souvent des portions de terres qui leurs sont prêtées. Comme la présidente du conseil d’administration d’Enda tiers-monde, Ndeye Yandé Ndiaye indexe, elle aussi, la coutume comme étant le principal frein à l’accès et au contrôle des femmes à la ressource foncière. « Quand on parcourt la loi ainsi que la Constitution sur les droits fonciers des femmes, on voit qu’on consacre le principe d’égalité entre hommes et femmes en matière de propriété foncière ».
Pour l’historienne, Penda Mbow, beaucoup d’avancées ont été réalisées dans la lutte contre les traditions qui nuisent à la femme. Mieux, dit-elle, la réforme foncière a beaucoup intégré la question de l’accès des femmes au foncier. « Il y a plusieurs années, les femmes n’avaient pas accès à la terre ou bien celles qui avaient accès à la terre disposaient de celles qui sont moins fertiles et moins productives. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience et on voit que les femmes qui sont dans le domaine de l’agriculture arrivent à des niveaux de réussite rarement égalés ». Cependant reconnait-elle, des efforts restent à faire.
SENSIBILISER POUR INVERSER LA TENDANCE
Les femmes rurales ne connaissent pas leurs droits. Une méconnaissance profitable aux chefs coutumiers, qui eux aussi, font fi de la loi au profit de la coutume. Par conséquent, selon le chercheur à l’Ipar, Yandé Ndiaye, il faut une sensibilisation pour que les femmes sachent leur place dans la société. Mieux juge-t-elle, il faut que la promotion des droits fonciers de la femme soit faite en vue d’un changement de comportements. L’accès des femmes à la bonne terre et son contrôle passent également par leur intégration dans les organes de décisions. «Il faut que les femmes aient la capacité de participer, d’intégrer les pouvoirs de décisions afin qu’elles aient la capacité de poser le problème concrètement en tant que membre de la société», dit-elle. La présidente du Conseil d’administration d’Enda tiers-monde trouve pour sa part nécessaire la création de groupes paritaires reconnus, chargés de la répartition des terres de manière équitable.
En préconisant le renforcement de capacités, Mariéme Sow trouve important que les femmes se soutiennent mutuellement pour aller à la conquête du pouvoir. Le développement de compétence personnelle est aussi un élément qui peut réduire l’inégal contrôle de la terre, croit savoir la présidente du conseil d’administration d’Enda tiers-monde.