LE RICHE PARCOURS DE DEUX FEMMES D’EXCEPTION
Cinquante-huit ans ! Un grand pas dans la vie d’un homme. A fortiori de celle d’une Nation. Cela mérite donc d’être fêté. N’en déplaise aux pessimistes qui vont vous rétorquer avec un sourire narquois : « c’est cela votre indépendance ? Vous n’y êtes pas encore». Qu’importe, nous y sommes ! Bombons le torse. Qu’il fut long, le combat de l’indépendance mais il fallait le gagner. D’où la fête en grande pompe de demain, celle du 58ème anniversaire de notre accession à l’indépendance.
Sous le thème « Contribution des forces de défense et de sécurité à la paix et à la stabilité internationale », avec fastes, la complicité des forces vives de la Nation, notre pays va démontrer sa force, montrer ce qui fait que la renommée de son armée tant convoitée presque un peu partout dans le monde. Comme notre Nation, les femmes militaires brandiront le drapeau. Toutes fières d’avoir gommé les propos et actes sexistes mais aussi condescendants qui voulaient les confiner à jouer des rôles de faire-valoir.
Mais décidées qu’elles sont, ces femmes militaires ont réussi à s’imposer non par les biceps mais par la force des arguments et aussi par la compétence. Aujourd’hui, cette noria de femmes pleines d’envie, débordant d’ambitions, grâce à une surdose de courage, a injecté une dose de glamour dans l’armée. Mais avec toute la rigueur militaire qui sied. Et dans le domaine de la Santé militaire où, aujourd’hui, elles constituent une belle brochette, elles ont vite fait de tomber tous les clichés qui pouvaient encore exister. Iconoclastes, elles dirigent sans complexes des services de santé. Sans se faire marcher sur les pieds.
A l’occasion de ce 4 avril 2018, le Témoin met en relief le parcours si riche et exaltant du médecin colonel et chef du service Ophtalmologie, Ndèye Ndoumbé Guèye et celui du lieutenant-colonel Bineta Ndiaye,spécialiste des hôpitaux des armées en hépato-gastro entérologie et chef de service du Centre d’exploration fonctionnelle. Ces deux grandes dames et officiers valeureux servent toutes à l’hôpital Principal de Dakar. Profils !
MÉDECIN-COLONEL NDEYE NDOUMBÉ GUEYE, PROFESSEUR EN OPHTALMOLOGIE : Un combat contre la vie
On pensait retrouver une quasi-vieille grincheuse, une toubib avec des airs supérieurs, des lunettes d’une autre époque genre binocles ou lorgnettes mais les clichés n’ont finalement pas été au rendez-vous ! Et l’on se retrouve nez-nez avec une assez jeune femme qui se maintient grâce « au sport et à un régime alimentaire équilibré ». Elle devrait nous donner sa recette ! Son joli minois ferait que l’on s’attarderait plus sur son visage qu’à son uniforme mais attention, qui s’y frotte, s’y pique ! Pour cause, Mme Ndèye Ndoumbé Guèye est bien une femme militaire qui a dû d’abord monter au front contre un certain sexisme qui voulait chasser les femmes de la grande muette, et notamment de la branche médecine militaire. Ce après avoir mené victorieusement une « guerre » contre une vilaine rougeole qui a failli l’emporter à l’aube de ses cinq ans.
« Une ancienne de Mariama Ba et professeur en ophtalmologie »
« Je suis le Médecin- Colonel Ndèye Ndoumbé Guèye, professeur du Val-de-Grâce, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Principal de Dakar. Après l’école pilote de Médina rénovation, j’ai fait mes études secondaires à la maison d’éducation de l’Ordre National du Lion devenu entre-temps la Maison d’éducation Mariama Ba où j’ai obtenu le baccalauréat en 1985. Cette année- là, j’ai été primée au Concours Général de Philosophie et classée deuxième au concours de l’école de Santé militaire. Nous étions trois filles, le professeur Fatou Fall, Médecin Colonel, le Médecin- Colonel Flore BRAHIME, de nationalité Gabonaise et moi -même, dans une promotion de 20 élèves officiers médecins.
Nous étions 16 Sénégalais et quatre Africains de nationalité étrangère. Après ma formation à l’école militaire de santé, j’ai été affectée pour quelques mois à l’hôpital militaire de Ouakam puis à Kaolack comme médecin du 3ème bataillon d’infanterie. J’ai ensuite dirigé le Centre Médical de Garnison du Bataillon de Soutien du Génie à Bargny pendant 4 ans. Je suis allée en France pour faire le brevet de médecine aéronautique qui permet de prendre en charge le personnel naviguant, qu’il soit pilote, mécanicien ou personnel de cabine.
À mon retour de France, j’ai été affectée au centre hospitalier de Diamniadio comme médecin chef adjoint pendant un an voire un an et demi avant de faire le concours d’Assistanat des hôpitaux des armées, option ophtalmologie. J’ai rejoint l’hôpital Principal en avril 1999 puis passé le concours de Spécialiste des Hôpitaux des Armées au bout de cinq ans d’assistanat. J’ai, durant mon cursus, suivi des stages de perfectionnement en ophtalmologie à l’étranger notamment à l’hôpital du Val-de-Grâce en glaucomatologie, puis quelques années plus tard à l’hôpital Lariboisière en pathologies de la rétine. Par la suite, à l’Hôpital du Val-de-Grâce, j’ai préparé le concours et obtenu le titre de Professeur Agrégé en 2013. Depuis 2007, je dirige le service d’ophtalmologie. Commander des hommes? Je commande les hommes et les femmes de la même manière. Je collabore avec tous en bonne intelligence.
Comment est née chez vous la vocation de devenir médecin militaire ?
«J’ai toujours voulu être médecin probablement parce que ma mère était sage-femme. Mais je pense que cette vocation est née surtout suite à une maladie que j’ai eue à l’âge de cinq ans. J’ai été soignée par un médecin remarquable, mon cousin, feu le docteur Amadou Yoro Sy, un des premiers médecins militaires du Sénégal. Son dévouement et son attention ont suscité en moi la vocation de médecin. Nous faisions partie de la deuxième promotion de filles à l’école militaire de Santé. Nous avonstoussuivi la formation initiale du combattant à Dakar Bango. Durant 7 ans, nous avons allié formation médicale et militaire. En tant que filles, nous avions été bien accueillies et intégrées dans la grande famille militaire. Nos anciens étaient bienveillants et protecteurs. À l’université et dans la rue, le port de l’uniforme suscitait beaucoup de curiosité. Il arrivait que l’on nous confonde avec des policiers. Parce que, des femmes en uniforme, c’était tout à fait nouveau
Et comment conciliez-vous vie de militaire et devoirs de femme au foyer ?
Dans la vie de tous les jours, je suis une femme ordinaire. A la maison, je m’occupe bien de mon foyer. Il m’arrive souvent de préparer à manger. Je suis très bonne cuisinière. A l’école Mariama Ba, nousfaisions des cours de cuisine et cela m’a beaucoup servi. Pendant les vacances, je préparais chez mes parents également. Mon enfance a été très heureuse. J’ai vécu entre un père enseignant, très rigoureux qui était parmi les premiers enseignants du Sénégal, et une maman sage-femme. Et je suis issue d’une famille de huit enfants dont je suis la septième. Je me suis mariée avec un civil et mère de deux enfants. Même si mon travail est très prenant, je consacre du temps à ma famille tous les jours mais plus librement pendant les weekend et les congés annuels.»
Parité et condition féminine
«Les femmes peuvent exercer tous les métiers et devraient pouvoir embrasser toutes les carrières. Elles ne devraient pas se fixer de limite. Au Sénégal, des compétences féminines existent dans tous les domaines. Il faut les reconnaître et les valoriser. En particulier, j’encourage les femmes à fréquenter les filières scientifiques où elles sont minoritaires. Il y a trois ans, j’ai été marraine du concours national « Miss mathématiques », « Miss science » et j’ai eu le plaisir de constater le potentiel très élevé des jeunes filles dans les matières scientifiques, c’est pour cela que je les exhorte à s’engager dans ces filières d’avenir. Je suis pour la parité, pour compenser les discriminations du passé mais je suis surtout pour une société du travail et du mérite. Je ne pense pas qu’il faille systématiquement mettre un homme pour une femme. En tous cas, j’encourage les femmes à aller jusqu’au sommet de leurs carrières. Ma vie en tant que femme dans l’armée ? Je la vis très bien. Et j’en suis très contente.
Que conseilleriez-vous aux femmes sénégalaises ?
Je n’ai pas la prétention de leur donner des conseils. Les femmes sénégalaises sont des battantes. Elles se lèvent aux aurores pour gagner leur vie. Je souhaite que leurs conditions de vie et leur statut s’améliorent. C’est pour moi l’occasion de rendre un hommage respectueux à ma mère, dont la sérénité, la douceur, la pudeur et la sagesse ont beaucoup contribué à mon éducation. Pour ces raisons, je lui voue un amour infini. C’est une femme exceptionnelle. Elle et mon défunt père sont mes modèles.»
MEDECIN LIEUTENANT-COLONEL BINETA NDIAYE : Une toubib lieutenant-colonel pas mâle du tout !
« Même si les trucs mondains n’ont jamais été sa tasse de thé », la toubib et spécialiste des hôpitaux des armées en hépato-gastro entérologie est du genre coquette avec une coupe petite-tête. Comme toute femme de son temps. Il n’empêche qu’elle reste très attachée aux principes sacrosaints de l’homme. Et dirige le Centre d’exploration fonctionnelle avec toute la poigne qui sied sans jamais se faire marcher sur les pieds par les hommes qu’elle a la charge de diriger. Profil.
« Au début, la médecine militaire n’était pas une vocation»
« Je suis médecin lieutenantcolonel Bineta Ndiaye, spécialiste des hôpitaux des armées en hépato-gastro entérologie. Et je sers actuellement à l’hôpital Principal de Dakar où je suis le chef de service du Centre d’exploration fonctionnelle. Après ma sortie en 1998 de l’école militaire de santé, j’ai été affectée au Bataillon des blindés à Thiès où j’étais le médecin adjoint du centre médical de la Base de Thiès. J’ai eu aussi à faire des remplacements au centre médical de garnison de la Marine et à celui du bataillon des parachutistes avant d’être nommée médecin chef de la Base de Ouakam. Donc, à un moment donné, j’étais le médecin chef de l’air et du Bataillon de l’artillerie et du Bataillon du train. En 2002, j’ai fait le concours d’assistanat des armées. Ce qui m’a permis d’intégrer l’hôpital Principal de Dakar où j’ai servi dans les différents services : assistanat, pavillon Boufflers qui était le service de médecine interne et hépato-gastro entérologie, au pavillon Jamot C qui est le pavillon M. Sané qui était également le service de pneumologie et de médecine interne.
J’ai également été au service Pelletier en cardiologie et ai servi à la clinique Breviet. Quand on est en assistanat, on fait des passages dans les différents services médicaux de l’hôpital. Et en 2010, j’ai fait le certificat de spécialité des hôpitaux des armées. Etre femme médecin militaire, ce n’était pas difficile pour moi. Nous sommes des médecins militaires et c’est un peu différent des autres médecins. Puisque l’on subit, parallèlement aux études classiques de la médecine, une formation militaire. Et j’avoue qu’au début, ce n’était pas une vocation mais je m’y sens très bien. Finalement, j’ai pris goût. Tout métier est stressant.
Quand on fait la médecine, on ne s’habitue jamais à la mort d’un patient. Surtout lorsqu’il s’agit d’une personne que l’on connait depuis longtemps. Parfois, il nous arrive d’avoir des patients avec qui on a fini de se familiariser parce qu’on les suit depuis plusieurs années. Et lorsqu’ils décèdent, cela fait un peu mal. Ma famille ? Elle a très bien accueilli le fait que je veuille être un médecin militaire. Il n y a pas eu de résistances. Vous savez, le souci pour les parents, ce sont les questions du genre : qu’est- ce que ma fille ou mon fils a envie de faire après le baccalauréat ? Et le fait d’aller à l’école militaire de santé, c’était une garantie d’emploi à la sortie de l’école.»
« Cursus scolaire »
«Je suis un produit du lycée Van Vollenhoven actuel lycée Lamine Guèye. Qui se situe à quelques jets du camp Dial Diop. C’est ce qui a influé d’ailleurs dans ma carrière de médecine militaire. Comme presque tous les élèves en classe de terminale, j’ai fait le concours d’entrée à l’école de santé militaire. Dans mon cas, c’était plutôt un entrainement pour le baccalauréat. Et dans ma promotion à l’école de santé militaire, nous étions trois filles, le médecin colonel Tabara Sylla Diallo, qui est le chef du service de la psychiatrie, Dr Penda Dieng, qui n’a malheureusement pas terminé dans l’armée mais qui est restée médecin et moi-même. Dans ma famille, il n y a pratiquement pas de médecin, puisque ma mère était professeur d’histoire-géographie au lycée Van Vollenhoven, tandis que mon père était le directeur administratif et financier d’une société de la place. Mais j’ai un oncle qui est médecin professeur en dermatologie, Assane Kane. Mon petit frère est un officier supérieur de l’armée, il est un produit du Prytanée militaire.»
Ce qu’elle pense de la parité
«Je ne suis pas aussi jeune que vous le pensez puisque j’aurai bientôt 50 ans (je suis née le 21 décembre 1968 à Dakar). En dehors de la médecine, je suis mariée et mère d’un garçon de trois ans. Je me suis mariée un peu tardivement, en avril 2013. Et j’essaie de mener à bien mon rôle de mère de famille. Ce même s’il m’arrive parfois de partir lorsque mon fils dort et de revenir tard au moment où il est endormi. Mais, j’essaie de combler ce gap avec mes heures libres. Ce qui fait que les trucs mondains du genre « xawaré » entre femmes ne m’ont jamais intéressée. Même avant d’être médecin militaire. Moi, je suis pour l’équité au lieu de la parité qui nous dessert plutôt. Si une femme est là et qu’elle remplit les critères, qu’on lui donne le poste ! Ce au lieu de faire dans la discrimination positive. Parce que si on met une femme à un poste bien donné pour la bonne et simple raison que c’est une femme, ce sera une mauvaise publicité pour elle dans le cas où elle échouerait. Les femmes dans l’armée ? Au début, je n’étais pas trop pour la généralisation de la féminisation dans l’armée. Parce qu’il faut des préalables. Il faut d’abord qu’il y ait des statuts. Que l’on sache qui est qui. Puisque, malheureusement, l’homme est très différent de la femme. Nous n’avons pas la même morphologie. Pour ce qui est de la médecine militaire, on est des officiers. C’est plus ou moins un autre niveau qui fait que certaines choses risquent de ne pas arriver. Mais quand on met des soldats, des sous-officiers ensemble, cela peut poser problème. Mais fort heureusement, ça se passe bien pour le moment.»