EN FINIR AVEC LA FRANÇAFRIQUE
Les peuples d’Afrique francophone ont deux exigences, incompatibles avec la persistance de la Françafrique : la démocratie et la souveraineté - A l’heure des réseaux sociaux et d’un niveau d’éducation de plus en plus élevé, personne ne peut ignorer cela
Depuis le général de Gaulle et ses réseaux Foccart, la Françafrique n’a jamais disparu. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a certes changé les hommes mais pas les méthodes. Les premières actions d’Emmanuel Macron n’annoncent rien de nouveau. A quand une révolution en Françafrique ?
Aucun écrivain n’a mieux raconté l’accession à la souveraineté des pays d’Afrique francophone qu’Ahmadou Kourouma. Dans son fulgurant Soleil des indépendances(1968), le romancier ivoirien a décrit l’extraordinaire sentiment de liberté qui s’est emparé, comme «une nuée de sauterelles», de millions d’Africains au tournant des années 60 ; et les désillusions qui n’ont pas tardé à survenir, quand bon nombre d’entre eux se sont rendu compte que la fin de la colonisation française n’avait rien apporté de nouveau, excepté «la carte d’identité nationale et celle du parti unique». Car la France, ce maître venu d’ailleurs dont il fallait «venger cinquante ans de domination»,n’avait pas réellement fait ses bagages. Les indépendances n’étaient que de façade. En coulisses, les réseaux de Jacques Foccart s’activaient, plaçant les despotes à la tête des Etats comme autant de pions sur un échiquier, cherchant à conquérir de nouvelles zones d’influences comme au Biafra ; le tout avec la bénédiction du général de Gaulle. Gare à celui qui osait s’attaquer à la mainmise hexagonale sur ces pays encore neufs. Sylvanus Olympio fut le premier à en faire les frais en 1963, pour avoir voulu donner au Togo une autre monnaie que le franc CFA. Bien d’autres suivirent. Parmi les plus emblématiques, il y eut le capitaine Thomas Sankara au Burkina Faso, poussé vers la tombe pour avoir préféré «faire un pas avec le peuple plutôt que dix pas sans le peuple».
La Françafrique est, depuis cette époque, une entreprise prospère qui ne connaît pas la crise. On l’a cru morte une première fois à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, mais c’était méconnaître sa formidable capacité de mutation. Les réseaux de Jean-Christophe Mitterrand, alias «Papa-m’a-dit» supplantèrent ceux de Foccart, le missus dominicus du gaullisme sur le continent. Le génocide au Rwanda en 1994 fut passé sous silence, en raison du soutien de Paris au régime extrémiste hutu. L’élection de Chirac marqua le retour de Foccart et de ses héritiers aux manettes, mais aussi l’implantation d’une clique d’affairistes aussi peu soucieuse du développement de l’Afrique que de morale. Sarkozy continua à s’appuyer sur ce système prédateur, ne changeant que les hommes, pas les méthodes. Quant à Hollande, il oublia bien vite ses promesses de campagne pour accueillir à bras ouverts les potentats subsahariens à l’Elysée. Il s’engagea, comme en Centrafrique, dans des opérations militaires hasardeuses, justifiées par une rhétorique qui devait beaucoup à la «mission civilisatrice de la France» de Jules Ferry.
Aujourd’hui, les peuples d’Afrique francophone ont deux exigences, incompatibles avec la persistance de la Françafrique : la démocratie et la souveraineté. A l’heure des réseaux sociaux et d’un niveau d’éducation de plus en plus élevé, personne ne peut ignorer ce cri qui traverse le continent d’est en ouest, de la corniche de Dakar aux maquis de Kinshasa, en passant par les plages de Lomé et les collines de Yaoundé, sans oublier au loin, Djibouti surplombant la mer Rouge. Et même si la démocratie, «le plus mauvais système de gouvernement à l’exception de tous les autres», s’est implantée dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale, la Mauritanie, Djibouti et le Togo vivent encore sous la coupe de satrapes régnant d’une main de fer. Ceux-ci bénéficient de la complicité de la France dont ils ont toujours généreusement rétribué les hommes politiques, tout en oubliant leurs propres administrés. La famille Bongo au Gabon, la dynastie Eyadéma au Togo, le clan Kabila en république démocratique du Congo, Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, Paul Biya au Cameroun, Idriss Déby au Tchad, Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie, Ismaïl Omar Guelleh à Djibouti, ont tous en commun d’avoir fait prospérer leur dictature à l’ombre protectrice de la Françafrique. Nombre d’entre eux ont de plus détourné à leur profit les immenses richesses de leur pays, pétrole, diamant, or, uranium, coton, le tout avec la complicité de multinationales bien connues en France. Il est donc impératif que Paris cesse de soutenir ces régimes, qui de toute façon, ne tiennent plus qu’à un fil.
Car oui, au Togo, au Tchad comme dans le bassin du Congo, des révolutions pacifiques se préparent. Des peuples commencent à braver les balles pour arracher à la fois leur développement et leur liberté, ce bien si précieux qu’ils ont cru avoir tenu dans leurs mains en 1960 et qui, en réalité, leur avait déjà été confisqué. Et il serait tout à l’honneur d’Emmanuel Macron d’accompagner les aspirations populaires plutôt que les dinosaures qui s’échinent à les étouffer. Ainsi, et seulement ainsi, il signerait l’arrêt de mort de la Françafrique. Pour l’instant, sa politique n’en prend pas le chemin, s’inscrivant même dans une continuité inquiétante. Son discours empreint d’un paternalisme malvenu à l’université de Ouagadougou et sa complicité entretenue avec Déby ou même l’apprenti despote nigérien Mahamadou Issoufou sont autant de signaux regrettables. Mais qu’importe, il n’est pas interdit de rêver à une révolution en Françafrique.
La deuxième exigence, celle de la souveraineté, est intimement liée à la première. Pour prendre pleinement sa place dans le concert mondial, l’Afrique francophone se doit non seulement de faire sa révolution démocratique, mais aussi de couper le cordon ombilical avec l’ancien colonisateur. Bien sûr, des liens forts existeront toujours et il serait aussi illusoire que dangereux de vouloir faire table rase du passé. Mais en 2018, aucun argument ne peut venir justifier la persistance de la présence militaire française en Afrique et plus particulièrement dans le Sahel ; pas même celui de la lutte contre le terrorisme, car les Africains sont, sous réserve de bonne gouvernance, tout à fait à même d’en venir à bout via des structures autonomes. Les bases militaires françaises sont un anachronisme auquel il faudrait mettre fin, d’autant que l’on sait que ces dernières années, les faits d’armes tricolores ont autant permis de sauver des satrapes alliés de l’Elysée que de repousser les colonnes djihadistes.
Les relations économiques entre la France et le continent africain ne sauraient être plus longtemps des rapports d’oppression, favorisant les grandes multinationales hexagonales qui ont trop souvent fait la pluie et le beau temps au sud du Sahara. On se souvient notamment du rôle trouble d’Elf dans la guerre civile au Congo-Brazzaville ou plus récemment, des errements d’Areva en Centrafrique ainsi que du pacte de corruption entretenu par Bolloré avec les présidents de Guinée-Conakry et du Togo. Dans le même esprit, la question du franc CFA doit être posée. Comment l’Afrique pourrait être pleinement indépendante quand quinze de ses pays sont dépossédés de leur souveraineté monétaire et voient leurs devises imprimées à Chamalières, village auvergnat blotti au pied du puy de Dôme ? Enfin, la langue française ne doit plus être un instrument de domination de la «métropole» envers ses anciennes colonies. Elle doit être réappropriée, «pliée au vouloir dire» des Africains comme le revendiquait Aimé Césaire, pour que le français ne soit plus seulement la formidable pâte pétrie par Hugo ou Chateaubriand, mais celle où s’expriment la vitalité et la différence de 150 millions d’Africains libres. Enfin libres.
Signataires
Clément Boursin défenseur des droits de l’homme ;
Julie Dénès auteure, cofondatrice de l’ONG «DIPLO21» ;
Thomas Dietrich écrivain ;
Laurent Duarte coordinateur de la campagne «Tournons la page» ;
Yann Gwet essayiste, chroniqueur au Monde Afrique ;
Stéphanie Hartmann journaliste à Africa n°1 ;
Théophile Kouamouo journaliste au Média ;
Francis Laloupo journaliste à Africa n°1, enseignant en relations internationales ;
Yannick W.J Nambo, auteur, cofondateur de l’ONG «DIPLO21» ;
Makaila Nguebla journaliste ;
Mahamat Nour Ibedou secrétaire général de la convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme ;
Abdourahman Waberi écrivain.