«POUR MACKY SALL ET ADAMA BARROW, L’HEURE DE CRÉER UN SEUL ÉTAT A SONNÉ !»
Me El Hadj Guissé, juriste à la cour africaine d’Arusha (Tanzanie) plaide pour la refondation de la Sénégambie - ENTRETIEN
Célèbre avocat et ancien magistrat, Me El Hadj Guissé a eu à occuper différentes fonctions dans le système judiciaire de notre pays. Il a aussi exercé de hautes responsabilités sur le plan international. Si nous l’avions perdu de vue, c’est parce qu’il est actuellement en service à la Cour Africaine de Justice à Arusha (Tanzanie). En sa qualité de citoyen sénégalais et de militant africain des droits de l’homme, Me El Hadj Guissé a choisi « Le Témoin » pour sortir de sa réserve et s’adresser aux présidents Macky Sall et Adama Barrow pour la création d’un seul Etat : la Sénégambie. Entretien.
Le Témoin : Pourquoi voulez-vous vous adresser directement aux présidents Macky Sall du Sénégal et Adama Barrow de la Gambie ?
Me El Hadj Guissé : Parce que ces deux chefs d’Etat ont actuellement en mains le destin de nos deux peuples liés par la géographie et malheureusement séparés par l’histoire. Aujourd’hui, ces mêmes peuples de la Sénégambie payent un lourd tribut à cette histoire coloniale du Sénégal et de la Gambie. Et les présidents Macky Sall et Adama Barrow sont appelés à corriger ce sombre cahier d’histoire. Car les événements douloureux, accidentels ou volontaires qui endeuillent régulièrement le Sénégal et la Gambie en sont les preuves. Depuis notre accession à la souveraineté internationale, l’idée d’une Sénégambie réunifiée avait été nourrie et caressée par nos peuples. Cette idée, il ne faut jamais l’abandonner car nos difficultés, quelle que soit leur nature, ne trouveront de solution que dans la réunification de la région naturelle de la Sénégambie. Du fait de cette ambiguïté historique et stupide, des foyers de tension, qui auraient pu être évités, ont éclaté faisant des milliers de victimes et des destructions insupportables du peu de nos biens. Sans oublier le naufrage du bateau « Le Joola » qui aurait pu être évité si les voies terrestres qui traversent la Gambie avaient été sérieusement libérées ou encore si les routes avaient été sécurisées. Mais si rien n’est fait par les chefs d’Etat, les peuples de la Sénégambie mèneront peut-être leur propre lutte pacifique pour se retrouver et pour reconstituer leur entité.
Pensez-vous que cette lutte pourra porter ses fruits sans la volonté des présidents Macky Sall et Adama Barrow ?
C’est justement pour cela que je lance un appel à nos chefs d’Etat que sont Macky Sall et Adama Barrow pour qu’ils reprennent la vieille idée de la réunification de la Sénégambie qui seule pourra assurer notre sécurité et notre développement économique et social. Nous ne devons pas oublier que notre indépendance économique, qui elle seule peut nous libérer, est loin d’être acquise. Je lance le même appel à tous nos frères et sœurs sénégambiens pour la réalisation de notre rêve commun. Nous souhaitons que naisse et se développe chez chacun d’entre nous, la volonté ferme d’atteindre cet objectif. Nous en appelons également aux anciennes puissances coloniales, dont les engagements positifs constitueront le test de leur bonne volonté de voir nos peuples s’épanouir après tant de siècles d’esclavage, de colonisation et d’exploitations de toutes sortes. Cet appel, je l’avais lancé à l’occasion du premier anniversaire du naufrage du bateau « Le Joola » où nous avons perdu des milliers de nos frères et sœurs sénégambiens. Nos hommes politiques du Sénégal et de la Gambie doivent comprendre que le pouvoir n’est pas le seul objectif à atteindre dans la vie en société. La politique n’est pas là pour faire le bonheur des hommes, elle est là pour combattre le malheur et la souffrance des peuples. Vous savez que les anciennes puissances coloniales ne nous faciliteront pas la tâche car ce n’est pas dans leurs intérêts. L’indépendance, la vraie pour nous peuples de la Sénégambie, sera obtenue le jour où le Sénégal et la Gambie formeront un seul et même Etat.
Vous dites un seul Etat ! Votre position nous renvoie à la position du colonel Abel Ngom, ancien commandant de l’opération « Fodé Kaba 2 », qui disait que le Sénégal d’Abdou Diouf a raté le coche d’annexer la Gambie en 1981. Est-ce que vous partagez cet avis ?
Moi, je vous renvoie à la question suivante que me posait un journaliste : « quel est votre plus grand souhait aujourd’hui » ? Je répondais en disant que c’est de voir se réaliser la Sénégambie et le peuple sénégambien réunifié. Je rêve de pouvoir un jour exhiber ma nationalité : la nationalité sénégambienne, c’est-à-dire rendre formel ce qui est déjà réel. Le croyant que je suis a intégré dans ses prières ce souhait ; je demande à tous les Sénégambiens, quel que soit leur appartenance religieuse ou ethnique, d’intégrer ce vœu dans leurs prières et d’œuvrer pour sa réalisation. Pour en revenir à votre question, peut-être qu’à l’époque de Fodé Kaba 2, le contexte n’était pasfavorable à un seul Etat ou un Etat sénégambien. Mais aujourd’hui, les présidents actuels, à savoir Macky Sall et Adama Barrow, semblent se trouver dans de bonnes dispositions pour atteindre cet objectif. Doncl’heure de créer un seul Etat a sonné ! Les partis politiques doivent aussi inscrire cette idée dans leur programme de lutte pour accéder au pouvoir.
Pensez-vous que le sport puisse être le déclic de cette Sénégambie, quitte à intégrer un jour des clubs gambiens dans notre championnat ?
Une très bonne question ! Car le sport, particulièrement le football, est aujourd’hui largement reconnu comme facteur d’intégration. Combien de fois des combats de lutte sénégalais ont été organisés à Banjul ? Et combien de fois des lutteurs gambiens sont venus lutter à Dakar ? Ce sont des affiches que les amateurs ne peuvent plus compter ! Donc, il est temps que les mouvements sportifs organisent des tournois de football et autres rencontres pour entretenir l’idée de la Sénégambie. Les historiens, les géographes, les économistes, les professionnels de la santé, les juristes et les universitaires doivent aussi être au centre de toutes les réflexions tendant à la réalisation de cet objectif c’est-à-dire la création d’un seul Etat entre le Sénégal et la Gambie.