ANTA MAJIGÉEN NJAAY, LA LINGEER DE CUBA ET FLORIDA
Ce qui m’intéresse chez elle, c’est sa sénégalité et son rang qu’elle a défendus hors du pays, dans un contexte difficile d’affirmation de soi - Son intelligence et sa bravoure ont fait d’elle, la figure d’histoire la plus marquante de Jacksonville
Question douloureuse
Question complexe
Question Universelle.
Depuis les temps premiers, des hommes ont réduit d’autres à la servitude ou à la mort, sur tous les Continents, par la force ou par des moyens plus complexes, plus subtils, plus insidieux. Et l’esclave, c’est toujours l’autre, le slave que chassait le gréco-latin, l’ilote de la Rome Antique, le hébreu et le Hittite que chassait le pharaon, le Nègre entre les violences des blancs (européen et arabe), l’indien, le chinois, l’Amérindien… En Afrique, puisqu’il faut rappeler, Le ROI et le COMMUN, chacun avait son esclave. Et chacun, a vendu à l’acheteur qui a créé le désir de vendre, contre l’appétit de ce qu’ils désiraient (Tabac, alcool…).
Et, c’est ainsi que sur l’Amérique ont atterri d’abord comme esclaves, des captifs vendus par leurs maîtres et puis, quand il n’y en avait plus, les rois, les communs, les transitaires, les intermédiaires, les mercenaires se sont mis, les uns à la chasse de l’autre, le voisin de l’autre tribu et, la plupart (les mercenaires) sans distinction de classe, de clan, prenait des communs, des princes, des savants, des artisans de talent et des artistes au grand âge de leur créativité. Et beaucoup sont partis parmi lesquels, des rois, des princes, de grandes dames. Ainsi, avant le 08 Mars 1857 à Chicago, date prétexte pour célébrer la femme, une femme, une africaine du Grand Jolof, ce pays qui n’était pas encore intégré à ce qui sera le Sénégal, une jeune fille au destin immense, entre dans l’histoire de l’Amérique et du Monde : ANTA MAJIGÉEN NJAAY, la princesse devenue esclave, puis Grande Dame et Héroïne d’un combat pour la dignité, contre un système qui a fait aux africains, des torts beaucoup plus forts et plus barbares parce que peu médiatisés, que le NAZISME n’a fait aux juifs. Ses origines plongent dans les racines du Jolof, pays mis en valeur, réveillé et révélé par son glorieux ancêtre Ahmadu Njaajaan Njaay le premier BUURBA (roi des rois), le rassembleur qui nous marque aujourd’hui comme SUNJATA le fut pour l’Afrique occidentale. Ses origines aristocratiques nous rappellent ses frères et sœurs d’autres contrées du continent, Gaspard Yanga (1570 – 1609) appartenant à la famille royale du Gabon et qui, déporté, dirigea la résistance africaine au Mexique où il a fondé en 1630 la première cité libre d’Amérique, YANGA – VERA –CRUZ. Elles nous rappellent KING AMADOR de KILOMBO (SAO Tome et Principe) en 1595 et qui a tenu débout et Victorieux à l’esclavage atlantique, tout comme QUEEN NANNY (1680-1750) héroïne de la Jamaïque. La jeune Jolof Jolof s’inscrit dans cette longue chaine d’honneur.
Certains auteurs affirment qu’elle appartient à la famille de Bakar Koor Njaay et qu’elle est la sœur de Lat Koddu Majigéen et Biraayim Majigéen Njaay qui se sont battus pour devenir Buurba et avoir, les moyens de la retrouver, hélas. Capturée à 13 ans en 1806 au cours d’un grand raid négrier de la période de l’accélération de la traite consécutive à une forte demande de main d’œuvre dans les plantations, elle est arrachée à son Jolof natal, un soir, pendant certainement sa promenade vespérale, avec sa courette dans laquelle il y’avait certainement une servante de son âge et, une jeune gawlo complice d’enfance qui pourrait s’appeler Bambi Gise !
Ce qui m’intéresse dans son histoire, c’est sa « sénégalite » et son rang qu’elle a défendus hors du pays, dans un contexte difficile d’affirmation de soi. Pour dire que, si éloigné et si difficile de conditions, ceux et celles moulés dans nos valeurs authentiquent n’abdiquent pas et, ne s’oublient pas. En effet, sur un marché du nouveau monde des européens, à Cuba alors lieu fort d’un empire colonial espagnol avide de richesses, elle est repérée et achetée par un planteur du nom de Zephania Kinsley ou kingsley qui, séduit par l’allure princière, le port altier de la jeune Noble, la beauté de son corps moulé par des traditions de préparations aristocratiques au mariage, Zephania l’épouse contre l’ordre de cette époque et s’inclina à son désir de célébrer l’événement à la manière de son jolof et de son rang.
Et des griots (d’occasion certainement) chantèrent le Furiye (d’occasion certainement) qui réveillait ses ancêtres tous les matins là-bas entre les kàdd et les Baobab qu’elle ne verrait plus. Et elle devint, à la mode de ce pays, SEÑORA ANNA, Anna Kinsley, la Lingeer de Cuba dont j’aime raconter le courage dans mes sorties. Et, cet épisode de sa vie me rappelle une autre dame africaine, une certaine SALLY HEMINGS, la Favorite secrète du 4éme président américain, Thomas Jefferson (1800-1809) et dont l’histoire nous est merveilleusement racontée par Barbara Chase Riboud dans son magnifique et volumineux ouvrage « La VIRGINIENNE ». Anta vécut à Cuba avec Zephania jusqu’à leur installation en Floride alors possession Espagnole, à Jacksonville où leur plantation est devenue un grand musée.
A la mort du mari, Anta se battit avec courage contre la sœur de ce dernier qui voulait la déposséder et, son courage et sa pugnacité supplantèrent vite son manque d’instruction et elle gagna le procès. Elle reprit et dirigea la plantation jusqu’à la guerre hispano-américaine qui l’oblige à retourner à CUBA. Mais, consciente de ses responsabilités avec les esclaves, ses frères, qu’elle traitait en employés, elle revient à Jacksonville les affranchir, bravant la mort, supportant les énormes souffrances de cette longue guerre de survie entre l’Espagne installé par la conquista et les larmes des Amérindiens, et les USA naissants. En cela elle a fait honneur à ses 04 enfants nés de son union avec Zephania, de sa petite fille Bessie Coleman, première femme afro-américaine pilote en Amérique et son arrière-petite-fille Johnetta Cole, première afro- américaine aussi présidente du spelman Collège à Atlanta.
Anta Majiguéen a été rappelée à Dieu en 1870 – Elle avait 77 ans. Son intelligence et sa bravoure ont fait d’elle, la figure d’histoire la plus marquante de Jacksonville. Et pour terminer, je rappelle que le journaliste Malick Rokhy BA a été le premier à en parler dans les années 90 à la Suite de la parution de l’ouvrage du Dr DANIEL SCHAEFER qui révélait au monde cette star du 19e siècle Hispano-Américain. Les frères Guissé lui ont dédié une chanson. Aujourd’hui, après l’ouvrage publié par Univesity Press de l’université de la Floride du Nord – Jacksonville et intitulé « ANNA MADGIGINE JAI KINSLEY » African Princess /Florida Slave / plantation slaveowner, un film est en train de lui être consacré avec la proposition de partenariat de la ville de Rufisque d’où elle partit (et certainement avec CÉNGG son terroir natal !).
A l’heure actuelle, SERIGNE MOR THIOUNE, un de mes élèves du lycée Banque Islamique est le récitant du texte sur la vie de Anta Njaay, écrit par JENNIFER CHASE, là-bas à Jacksonville. Et, le jour où la voix de nos ténors, soutenue par le xalam des gawlo, chantera au cœur de Floride le « Furiye » et déclinera la liste de ses ancêtres héroïques, l’Amérique saura qu’on ne tue pas l’histoire.
Babacar Mbaye Ndaak est professeur – Chercheur en histoire et littérature traditionnelles