BRUNO DIATTA, LA COURONNE ET LES ÉPINES
POINT DE MIRE SENEPLUS - Ces politiciens qui angélisent Bruno, le couvrent d’éloge et de larmes, lui ont pourtant fait avaler des couleuvres sans aménités dans le cadre de son travail
Rigueur, sens de l'Etat, fidélité à la République, Bruno Diatta était une référence et un exemple. Ainsi la République a rendu un hommage national le jeudi 27 septembre 2018 à cet homme d’Etat et serviteur de la République qui fait incontestablement partie des Sénégalais dont les noms resteront gravés à jamais dans l’histoire du pays. Mais cette couronne d’hommages cache mal les épines sur lesquelles Bruno a marché pendant plusieurs années dans l’exécution de sa mission.
Le chef du protocole de la Présidence, Bruno Diatta, a tiré discrètement sa révérence ce 21 septembre 2018. Comme à l’accoutumée, la classe politique et les citoyens lambda qui ne le connaissent qu’à travers la télévision lui ont rendu un hommage unanime. Le concert d’hommages posthume de femmes et d’hommes politiques témoigne de la dimension exceptionnelle du disparu. Si la nation lui a rendu un hommage national, c’est parce qu’il a été un digne fils de ce pays, un pays qu’il a chéri et servi sa patrie avec amour et passion. Il était un homme réservé, affable, serviable, dévoué, loyal. Sa rigueur, son sérieux, son expérience, voire son expertise, ses compétences sont reconnus et unanimement appréciés. Mais aussi son humilité, sa modestie, son élégance vestimentaire légendaire. Fatigué et souffrant, il l’était mais dans la discrétion. Son stoïcisme extraordinaire est la preuve que Bruno a joué sa partition jusqu’à son dernier souffle au service de son pays.
Bruno, grand commis, occupa le poste avec abnégation le poste de chef du Protocole de la Présidence de 1978 jusqu’à 2018. Serviteur hors-pair de l’Etat, Bruno l’était. Il l’incarnait comme un véritable chef, c'est-à-dire comme celui qui agit, qui prend des décisions et en assume les conséquences. Au regard de ce parcours quarantenaire sans faille, le Sénégal vient ainsi de perdre l’un de ses fils les plus méritants qui a servi l’Etat au plus haut point et la patrie avec abnégation, avec loyauté et constance durant toute sa vie.
Bruno est parti comme il a vécu. Plus que tout autre, il incarnait un combat : celui de la République. Ils sont nombreux à le pleurer en toute sincérité tant l’homme ne laissait personne indifférent par son attitude de réserve et sa maîtrise de la science protocolaire. S’il fallait désigner ce que furent les plus grandes qualités de Bruno Diatta, ce seraient le professionnalisme, la discrétion et la rectitude. Cela est attesté par son brillant parcours d’homme d’Etat et par ses qualités humaines exceptionnelles. Son naturel, son extrême bon sens, ses qualités d’organisation, son intelligence lui permettaient de manager le protocole de la Présidence avec maestria au point de se révéler aujourd’hui indispensable.
Bruno transcendait les contingences politiques partisanes, les appartenances ethniques, les confessions religieuses. Il appartenait au Sénégal et non à un camp et encore moins à un clan. Dans la politisation tous azimuts de tous les secteurs de la République actuellement en cours dans notre pays, Bruno sans étiquette politique a sauvé le poste de protocole de la Présidence de la partisanerie politicienne même si certains sous le magistère de Wade ont vainement cherché à le défenestrer.
Nonobstant tous les qualificatifs mélioratifs que l’on dit de l’illustre disparu, son existence au palais n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a souffert le martyre, subi des avanies, avalé des couleuvres sans moufter. Les moments de deuil sont les moments les plus prisés par nos hommes politiques pour se fendre en éloges très souvent hypocrites. Le discours empreint d’émotion du président Sall prononcé lors des honneurs funèbres bourdonne encore dans mes oreilles. Chaque phrase, chaque mot sonne comme un lénifiant pour atténuer la douleur qui étreint les Sénégalais consternés par le décès de Bruno. Mais combien de fois certains de ses collaborateurs sous son œil approbateur ont chahuté lors de certaines grandes manifestations le schéma organisationnel de Bruno que le Président magnifie paradoxalement ? La dernière en date, c’était lors de l’inauguration de l’Aéroport international de Blaise Diagne où le défunt chef du Protocole a eu la désagréable surprise de voir tout son dispositif organisationnel être littéralement chamboulé par un proche collaborateur du président de la République, disciple de Bacchus trouvé éméché, dès potron-minet devant un camps d’étudiantes, dans les bras de Morphée. Lors du 5e anniversaire de l’APR, le 30 novembre 2013 au King Fahd Palace, la Première dame placée dans le rang des chefs de parti de Bennoo invités, avait exigé que le Protocole l’installât juste à la droite de son mari où trônait l’alors Premier ministre Aminata Touré. Ce qui fut fait sans tambours ni trompette.
Quand je lis encore le texte testimonial où le Président Wade parle de « Bruno, l’inimitable », j’ai envie de rire parce que dès qu’il a pris ses quartiers au palais de l’avenue Senghor, l’une des premières mesures phare qu’il a prise est l’affectation de Bruno à l’ambassade de France. Si hier le chef du protocole n’avait pas rechigné de rejoindre son alors lieu d’affectation qui paraissait plus à un limogeage diplomatique qu’à une promotion, peut-être qu’on n’en serait pas aujourd’hui à cette successivité de témoignages de circonstance venant de politiciens dont la plupart de leurs larmes ne sont que crocodilesques. Combien de fois Pape Samba Mboup s’est cru à bon droit être le chef de protocole autoproclamé de la Présidence ? Cette intrusion de tiers dans le protocole présidentiel a failli faire capoter la cérémonie d’investiture de Wade au stade Léopold Senghor. Pourtant ce sont ces politiciens, tels des tartuffes amnésiques, qui angélisent Bruno et qui ne tarissent pas d’éloge et de larmes à son endroit qui lui ont fait avaler des couleuvres sans aménités dans le cadre de son travail.
L’une des épreuves les plus difficiles que Bruno a vécue, c’est la missive de feu que feu Mbaye Jacques Diop lui a écrite le 10 juin 2013. L’ancien président du Conseil de la République pour les Affaires Economiques et Sociales (Craes) n’a pas mis de gant pour cracher le feu de ses vérités à Bruno Diatta qu’il accusait de s’opposer à sa participation aux manifestations de la République. En voici quelques passages qui détonnent avec la nature du serviteur de la République qu’est Bruno Diatta : « En ma qualité de président honoraire d’une institution nationale de la République, le décret me conférant l’honorariat dispose entre autres que je sois invité aux cérémonies officielles dès la République… J’ai été tout simplement stupéfait d’apprendre de très bonne source que vous vous opposez systématiquement à ma présence aux cérémonies officielles parce que j’aurais combattu Macky Sall. Quelle aberration ! Quelle forfaiture ! Au plan de l’éthique qui accompagne le haut fonctionnaire, vous n’êtes plus digne à la tête du protocole d’Etat…
Vous avez officié sous les magistères de Senghor et Diouf et après sans état d’âme vous avez enfilé le même manteau sous Wade… Très à l’aise, vous vous sentez bien aujourd’hui dans les habits d’un Fourcher sénégalais et vous osez porter un jugement de valeur sur mes choix et combats politiques. Je suis profondément affligé non pas par des gestes ou paroles vulgaires de subalternes, mais par ce masque hideux qui, si l’on en juge par vos attitudes et vos propos me concernant, cachent une nature qui est aux antipodes de ce que sont les valeurs. Je rappelle simplement que je ne sollicite rien, je demande que soient appliquées les dispositions du décret me conférant l’honorariat en ce qui concerne les cérémonies officielles de la République. »
Bien que profondément formalisé par la missive de feu Mbaye Jacques Diop, dans la plus grande discrétion, le diplomate Bruno avait fini par régler ce différend qui paraissait plus être un malentendu qu’une inimitié contre le défunt président du Craes. C’est cette grandeur chevaleresque qui faisait la marque de ce diplomate exemplaire et légendaire qui nous a quittés.