IL FAUT QUE NOS ETATS ARRETENT DE CONSIDERER LA CULTURE COMME LE MAILLON FAIBLE DANS LE DEVELOPPEMENT D’UN PAYS»
Palabres avec… MOUNA NDIAYE, ACTRICE
Elle n’est plus à présenter sur la scène du cinéma et du théâtre africain. Il s’agit de l’actrice Maïmouna Ndiaye dite Mouna. Cette célèbre comédienne burkinabé, d’origine sénégalaise, guinéenne et ivoirienne, a été rendue célèbre par son rôle d’Inspectrice teigneuse dans la série « Super Flics ». Depuis, elle a fait du chemin et sillonne le monde pour livrer une autre image de la femme africaine. Elle était à Dakar pour animer des stages de perfectionnement en « actorat » lors des Recidak (Rencontres cinématographiques de Dakar). Entretien…
Quelle appréciation faites-vous de cette formation que vous venez de faire suivre à des acteurs sénégalais?
Pour moi, le terme de formation n’est pas adapté. Parce que je pense que ce sont plutôt des échanges d’expériences... J’apprends aussi bien d’eux, qu’eux aussi apprennent de moi. Donc, je dirai plutôt que ces échanges-là sont une très bonne initiative. Et nous les acteurs, nous sommes assez solidaires là-dessus. Parce que la transmission de techniques de jeu, de concentration est universelle à tous les acteurs du monde entier. Que ce soit en Afrique ou en Europe. Donc, moi, je suis très contente de participer à ces échanges là et j’espère qu’il y aura d’autres occasions pour qu’on puisse encore échanger et approfondir tout cela. Parce que le temps imparti a été trop court.
Quel effet cela vous fait de vous retrouver au Sénégal, l’une de vos nombreuses « terres d’origine ». Car quatre pays africains vous revendiquent comme fille ?
Je regrette d’abord que cela ne se soit pas fait plus tôt. Mais comme on dit de manière assez triviale, chaque chose arrive en son temps. Je pense que le moment n’était pas arrivé et les choses se font au moment où elles doivent se faire. Et le moment est arrivé, c’est pourquoi ça se fait maintenant. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Plusieurs pays se disputent votre nationalité ivoirienne, burkinabé, guinéenne, sénégalaise. Et vous, vous sentez quoi ?
(Elle éclate de rire). Moi, je suis une panafricaine !
Non, mais vous avez choisi d’être burkinabè ?
C’est effectivement le Burkina - Faso qui m’a adoptée et m’a donné la nationalité. Et je trouve que c’est une belle reconnaissance pour moi. Ce que j’ai eu, c’est à travers mon film que j’ai fait au Burkina- Faso. C’est un très beau cadeau pour ma modeste personne.
Justement, vous êtes choisie pour être l’égérie du cinquantenaire du Fespaco. On découvre votre photo sur les affiches. Quel effet cela vous fait?
A bon, vous avez vu ça où ? (Éclats de rire). Non, c’est un honneur ! En plus, avec le succès du film « L’œil du cyclone », j’ai eu des reconnaissances en Tunisie, au Maroc. Donc je vais rajouter la Tunisie et le Maroc sur ma nationalité. Parce que c’est le Maroc qui a commencé en me choisissant comme égérie pour le quarantième anniversaire du festival. Et cette année, le FESPACO a choisi mon image pour plusieurs raisons d’abord. Parce que justement, je revendique sincèrement mon panafricanisme. Et comme on dit Festival panafricain de Ouagadougou et de la diaspora, ils se sont dits, il n y a pas meilleure figure qu’on peut prendre que celle de Maïmouna. Car c’est elle-même qui se définit comme une panafricaine. Et je suis très fière pour l’Afrique, pour notre corps de métier, pour le cinéma, mais aussi pour les générations à venir. Parce qu’il y a plein de jeunes filles que ça peut encourager. A mon avis, c’est vraiment l’élément qui manque car les jeunes filles ne sont pas très persistantes dans notre métier. Et ça peut aussi se comprendre…
Au FESPACO, vous aviez reçu le Sotigui d’or. Quelles étaient vos relations avec Sotigui Kouyaté et qu’est-ce que cela vous fait d’être souvent primée en Afrique ?
Je pense que les distinctions, c’est vraiment une reconnaissance par rapport à tout le travail que j’ai eu à faire pendant toutes ces années. Pour moi, le « Sotigui d’or », c’était très important. Il faut savoir que j’ai fait ma première scène de théâtre et mon premier film aux côtés de Sotigui Kouyaté. C’était mon maître, mon grand frère, mon papa, mon conseiller etc. Et il m’a transmis sa générosité, son humilité et ça m’a donné envie de continuer et d’approfondir et c’est ce que j’essaie de transmettre autour de moi jusqu’à présent.
Formée en France et exerçant en Afrique, quel regard jetez-vous entre les deux mondes. C’est à dire le cinéma européen et africain ?
Je dis toujours qu’il faut qu’on arrive en Afrique à faire des films africains. Qu’on arrête de dire qu’on fait du cinéma burkinabé ou du cinéma sénégalais ou béninois ou encore malien. Moi je voudrais jouer dans un film africain avec des acteurs africains. Qu’ils soient du Mali, de la Cote d’Ivoire, du Niger, du Nigeria entre autres. Il faut qu’on arrive à unifier notre cinéma. Et, c’est à nous acteurs, et quand je dis acteurs, je ne parle pas des acteurs qui jouent devant la caméra. Mais je parle des acteurs du monde de la culture qui doivent tous faire en sorte que notre cinéma soit compétitif et soit reconnu comme les autres cinémas.
Vous avez commencé par une série qui vous a rendue célèbre mais depuis lors vous avez complètement disparu des radars au niveau des séries. Pourquoi avez vous arrêté ?
Il est très difficile de monter des séries et c’est très compliqué à mettre en place. Il se trouve qu’il y a eu un petit remaniement au Burkina -Faso avec la révolution. De ce fait, les guichets qui pouvaient financer les séries étaient fermés et on est passé à autre chose. Entre temps, je suis revenue au théâtre avec un monologue. J’essaie de ne pas être inactive et de tout faire pour toujours travailler. Et c’est ce qui est normalement le devoir de tous les acteurs. C’est-à-dire de ne jamais se reposer sur des acquis, de continuer à travailler, d’aller voir ce que les autres font, regarder des films et continuer à s’entrainer.
Vous avez fait une formation académique au théâtre, mais vous êtes beaucoup plus présente au niveau du cinéma. Est-ce un choix ou une nécessité ?
Non, ce n’est pas un choix, ni une nécessite, c’est le hasard. Il se trouve que les opportunités, on les prend là où elles se présentent. Et quand c’est au théâtre, je suis au théâtre et quand c’est au cinéma, je suis au cinéma et quand c’est à la télé, je suis à la télé…
Vous êtes une femme mariée. Comment conciliez- vous la famille et ces nombreux voyages ?
Je m’organise ! Tout est question d’organisation (rire). Et ça se passe très bien. Mais là, c’est mon jardin secret et je n’en parle jamais.
Et ce que vous ne regrettez pas d’être venue assez tard au Sénégal et quels sont vos liens avec les Sénégalais ?
Ah non, je ne regrette pas. J’ai toujours des liens forts avec le Sénégal, même si je ne viens pas assez souvent. Mais je pense qu’à partir de maintenant, je vais venir assez souvent.
Est-ce que Mouna est féministe ?
Non, je ne suis pas féministe, mais je défends la cause des femmes. Et je me bats pour que les femmes soient reconnues à leur juste valeur.
Qu’est-ce que les violences entre femmes vous inspirent au vu de tout ce qui se passe actuellement au Sénégal ?
Ah, bon ! Non, je n’ai pas suivi l’actualité. Mais je trouve ça très déplorable et dommage. On ne doit pas se tirer dessus, il y a de la place pour tout le monde. Autant, nous sommes des femmes, autant nous sommes de caractères différents. Autant nous sommes de personnalités différentes, autant nous sommes des points positifs différents. Et on doit se servir de ça pour faire en sorte que l’image de la femme change et que ça avance. Au lieu de se tirer dessus, mettons-nous ensemble. Si les cinq doigts de la main commencent à se taper dessus et à se casser les uns, les autres, on ne pourra plus rien faire. Donc moi, je pense que chacune de nous doit relativiser et ne passe faire la guerre. Parce qu’en se faisant la guerre, les autres vont dire qu’on ne peut rien faire avec eux. On les laisse tomber. Je suis plutôt positive et je sais rassembler et j’espère que ces femmes prendront du recul pour ne pas ternir notre image qui est déjà assez difficile à mettre au-devant. En plus, ces petites querelles n’ont pas de sens pour moi.
Il se trouve que c’est l’homme qui est toujours la cause de toutes ces échauffourées par le biais de la polygamie. Selon vous est-ce que finalement l’homme en vaut la peine ?
Ah, ça, c’est autre chose ! On a toujours besoin des hommes. On ne peut rien faire sans les hommes mais aussi on ne peut rien faire sans les femmes. Maintenant, les histoires de polygamie, ça c’est culturel et c’est propre à certains pays. Au Burkina Fasso, elle n’est pas aussi répandue qu’au Sénégal. Et puis, après, ça dépend de beaucoup de choses et j’avoue que c’est un gros débat. Mais à mon avis, il vaut mieux être polygame que d’avoir une seule femme et avoir trois maîtresses par exemple. Après, il faut voir le juste milieu. Je ne défends ni l’un, ni l’autre. Maintenant, si un homme n’est pas capable de s’occuper de ses quatre femmes et qu’il n’est pas capable de les réunir et de faire en sorte qu’elles s’entendent, ça ne sert à rien. Nous ne sommes pas des objets, on ne peut pas dire : on va prendre quatre femmes parce qu’on a beaucoup d’argent pour faire le malin et dire voilà je peux entretenir quatre femmes, je peux entretenir 15 ou 20 enfants. Non, nous ne sommes pas des objets. Si cela signifie que je suis féministe. Je le revendique ! Oui, je suis une féministe ! Pour les jeunes filles, je leur dirai qu’on ne se marie parce qu’on n’a pas de travail ou parce qu’on veut quelqu’un pour s’occuper de nous. On doit se former, on doit être autonome. Et quand je dis autonome, ça ne veut pas dire qu’il faut rejeter les hommes. Cela veut dire qu’on doit être capable de se défendre, qu’on doit être capable de gagner sa vie, d’être fière et de ne pas dépendre d’une autre personne.
Quelle appréciation faites-vous du retour des RECIDAK ?
Ah, les RECIDAK ! Je trouve déjà que c’est bien. Je pense qu’il faut que nos Etats, nos dirigeants arrêtent de considérer la culture comme le maillon faible dans le développement d’un pays. Ce n’est pas de l’amusement. Dans certains pays, la culture rapporte plus que l’agriculture. Donc il faut qu’ils arrêtent. J’ai fait le tour du monde et je vois comment dans certains pays, dans certains Etats, le gouvernement investit dans le secteur culturel. Je suis plus connue dans beaucoup de festivals à l’étranger que dans mon propre pays. Cela veut dire ce que ça veut dire. Mieux, j’ai plus de reconnaissance à l’étranger que dans mon propre pays. Parce qu’eux, ils ont compris l’utilité de la culture. Ils ont compris la portée et l’importance de la culture. Quand je voyage, je voyage avec plusieurs drapeaux, je suis fière de porter l’Afrique à l’écran. Je suis fière de défendre et de porter une certaine image de la femme africaine à l’écran. Donc, il faut que les Etats comprennent qu’on contribue à 200% au développement d’un pays. Aujourd’hui, à travers tous les prix que j’ai glanés, tout le monde sait où se trouve le Burkina, où se trouve le Sénégal. J’ai été dans des endroits où des gens pensaient que l’Afrique, c’est un seul pays alors que c’est non. Aujourd’hui, je suis très contente de porter le drapeau africain et particulièrement de la femme qui existe en tant qu’elle-même.
Le bilan de votre long parcours, les bons moments, les déceptions et qu’est-ce qui vous reste à prouver ?
Le bilan de mon long parcours c’est toutes les reconnaissances que j’ai eues. C’est l’invitation que j’ai eu pour les RECIDAK, c’est l’opportunité de pouvoir m’exprimer par rapport aux medias, l’opportunité de pouvoir partager mon expérience. Mais aussi l’opportunité de pouvoir rencontrer des jeunes et transmettre quelque chose. Pour moi, c’est ça les résultats de mon long parcours. Et j’espère que mon passage ici ne fera qu’encourager les jeunes à se battre. C’est vrai que c’est dur, ce n’est pas facile. Et j’espère que nous, on a épluché, on a balayé le chemin et que la suite sera beaucoup plus facile pour eux.