«POLITIQUEMENT, MACKY SALL «SAÏ-SAÏ BU MAAK LEU, IL A REUSSI A ELIMINER TOUS SES ADVERSAIRES»
Babacar Niang alias Matador ne s’est pas vraiment assagi. Au contraire, il est devenu plus virulent et plus engagé. Après la polémique née à la suite de la sortie d’un titre sur le TER, nous l’avons rencontré.
Dans cet entretien, l’enfant terrible du rap sénégalais connu pour la profondeur poétique de ses textes se livre au Témoin. Le vieux militant n’a rien perdu de sa verve. Jugez- en par vous-même…
Vous êtes en train de célébrer les trente ans du hip hop au Sénégal. Pouvez-vous nous faire l’économie ?
On essaie de maintenir le cap. Le hip hop sénégalais continue de se battre et d’exister. Ce qui est loin d’être le cas pour certains pays du continent. En termes d’organisation et de création de structures, on peut dire que le Sénégal est vraiment en avance. Il existe de nombreuses structures et organisations qui ont fini de faire leurs preuves. Parmi elles, on peut citer : YaKaar, G Hip Hop, Africullturban etc. Ce sont des entités qui délivrent des formations et qui donnent des opportunités à des jeunes de se former à des métiers comme l’infographie, la vidéo, la photo etc. etc. Et ça, c’est une spécificité sénégalaise. Même au niveau des pays développés, il n y a pas autant de bouillonnement. En certains points, le Sénégal est vraiment à la pointe surtout au niveau crucial de la formation et de création de structures viables et performantes. Cela ne signifie pas que tout marche à merveille, car il y a des manquements. Ces ratés ne concernent pas seulement les cultures urbaines, mais bien tout le secteur de la culture en général. Le secteur n’a pas été vraiment bien pris en compte par les différents régimes qui se sont succédé. L’on a tendance à considérer les acteurs culturels comme des amuseurs publics. Donc c’est un combat de tous les jours. C’est certainement ce qui explique qu’on ait réussi à avoir, après trente ans, le Fonds de Culture Urbaine qui a été créé, il y a deux ans. L’Etat a consenti à sortir trois cents millions pour le développement des cultures urbaines. Ils ont promis récemment de le porter à six cent millions. Ce qui est un peu juste, car rien qu’avec le rap, on compte au Sénégal plus de trois mille groupes. Et là, je ne parle pas des graffeurs, des Dj, des techniciens, des beat -makers et de tout ce beau monde qui se déploie dans les cultures urbaines. Ce sont des milliers de jeunes qui sont dans le milieu. Et six cent millions, c’est vraiment très peu. Tout cela pour vous dire le manque de considération des autorités envers les acteurs des cultures urbaines. N’empêche, on va se battre comme n’importe quel Sénégalais pour que nos intérêts soient mieux pris en compte. Pour les trente ans, on a organisé plusieurs débats. Car chaque mois, on organisait des panels concernant les différents acteurs du mouvement comme les ingénieurs de son, les managers. C’était vraiment une manière de favoriser une introspection commune et bénéfique pour voir tout ce qu’on a réalisé durant ces trois décennies. Il y a eu également des conférences comme le « Jotay Hip Hop » organisé mensuellement pour les mêmes raisons. Ce qui nous a permis de comprendre pas mal de choses.
Est – ce que cette prise en charge de l’Etat qui fait que les rappeurs sont moins virulents qu’en 2012. Qu’estce qui a changé entre temps ?
Je suis vraiment à l’aise pour répondre à cette question. Cependant, je tiens à préciser que je donne un point de vue personnel. Il n’existe plus beaucoup de rappeurs engagés au Sénégal. Vraiment, c’est un triste constat. Les rappeurs ont été critiqués et traités de tous les noms d’oiseaux. Actuellement, on parle de « Old School » et de « New School ». Chaque dix ans, il y a une génération qui vient au -devant de la scène avec ses propres préoccupations. Il faut vraiment admettre que parmi les jeunes qui sont au -devant de la scène, on voit de moins en moins de rappeurs engagés. Il y a moins d’engagement politique par rapport à tout ce qui se passe au Sénégal. Et cela peut se vérifier par rapport à ce qui se passait avant 2000. Pourtant, le rap a besoin de ça et cela ne doit pas changer. C’est très normal et les choses devraient se passer toujours comme cela. Maintenant, il y a une nouvelle génération qui arrive. Et si elle ne porte pas le combat, ce n’est pas à nous de le faire à leur place. En ce qui nous concerne, le combat continue. Moi je ne peux pas faire autre chose. Je suis toujours dans le rap engagé, social ou politique. Maintenant, comme on n’est pas toujours au- devant de la scène, les gens pensent à tort, qu’on a abdiqué, qu’on est moins virulents. Ce qui est loin d’être le cas. On est toujours là et on continue le combat. Pour preuve, dans mon dernier album, je disais que « Kuni Nguur Nexul sa baay dasse Bokul ». Ce qui fait qu’on ne le passe pas à la télé ou à la radio. Car comme je dis, les gens ont faim. « Nitt yii daniou xiff ». On ne va pas attendre pour attaquer. On l’a fait avec Wade. On l’a attaqué très tôt. En 2007 déjà, j’avais sorti l’album « Xippil Xol ». Je leur disais que « Diourom Niaarri Bethie fekla ngay Nelaw ». Juste pour leur dire qu’après sept ans, les Sénégalais continuaient de dormir. Il faut donc toujours réagir. Quand Macky est venu, il a promis de faire un mandant de cinq ans. Et après, il a fait ce qu’il a voulu. Nous ne sommes pas restés les bras croisés. Nous avons sorti ce fameux « Kuni Nguur Gi Nexul sa baay dasse bokul ». Macky Sall n’a pas respecté sa promesse, car entre temps, il a goûté aux délices du pouvoir et il a ajouté deux années supplémentaires. Et là, il se démène pour décrocher un second mandat. Je me suis dit qu’il fallait le laisser travailler pour le voir à l’épreuve. Maintenant on l’a vu et il y a des choses que l’on ne peut plus laisser passer. Et on s’est dit, à partir d’aujourd’hui, on va commencer à parler. Parce que ce n’est pas normal que certaines choses qu’on a combattues sous Diouf et sous Wade, continuent d’avoir lieu ici. On ne cautionne pas tout et on va toujours le dire.
La derrière actualité, c’est le single du groupe Keur Gui qui charrie beaucoup de critiques. Etes- vous en phase avec eux ?
Je suis totalement en phase avec eux. Je vous renvoie toujours à ce fameux son « Ngurgui ». Il y a beaucoup de choses à dénoncer et c’est la triste réalité. Maintenant, quand Keur Gui dit que « Saï-Saï leu » il faut essayer de placer ce terme dans son contexte.
Etes- vous d’accord sur le ton employé ?
J’allais y venir ! Il faut essayer de comprendre le sens donné au terme « Saï- Saï ». Quand on parle de Modou Lo, on dit « Saï –Saï » parce que c’est un grand lutteur. Idem pour Messi qui est pétri de talent. Il faut comprendre par -là que politiquement, Macky « Saï-Saï bu maak leu, parce qu’il a réussi à éliminer tous ses adversaires. Le PS n’existe plus, l’AFP, n’en parlons même pas. Il n y a presque plus d’opposants. Il n y a donc qu’un vrai « Saï – Saï » qui peut réussir cela. Aujourd’hui, il a mis tous ses potentiels adversaires en prison ou hors d’état de nuire. Il a réussi à se défaire de certains de ses rivaux. Pour réussir cela, il faut vraiment être un « Saï – Saï »
Il parait que vous aussi, vous préparez un son plus virulent. Qu’en est-il réellement ?
Effectivement ! Je confirme ! Il y a de cela deux mois, j’étais en tournée en Allemagne avec les gars du Keur Gui et Keyti. On a eu l’opportunité d’enregistrer en studio. J’en ai profité pour faire un son pour lequel, les refrains ont été assurés par Kilifeu et Keyti. Le projet s’appelle « Revue de Presse » et il est question de résumer la situation actuelle du Sénégal. Ça va sortir bientôt InChAllah. J’attends la publication de la liste définitive des candidats pour le sortir. On attend juste le moment opportun. Et à coup sûr, cela va faire tilt. Ça, je vous l’assure !
Pensez- vous que le régime va organiser des élections transparentes ?
Personnellement, avec ce qui se passe actuellement, il n’y a rien de transparent dans ce processus. On ne donne pas aux Sénégalais l’opportunité de choisir réellement la personne pour qui ils veulent voter. Si un Sénégalais a envie de voter pour un voleur ou pour une prostituée (excusez-moi le terme), c’est son droit le plus absolu de voter pour cette personne- là. Après tout, les voleurs et les prostitués sont des Sénégalais. S’ils ont envie d’être dirigés par un voleur, c’est leur affaire. Il ne faut pas user d’artifices pour éliminer de potentiels adversaires. Il faut ratisser le plus large possible et permettre à tout un chacun de se présenter car lui – même, il est arrivé au pouvoir de cette manière. C’est pour cela que je soutiens qu’il n y a rien de transparent dans le processus. Là, on nous parle de cinq candidats et c’est honteux. Actuellement, on va vers des élections pour lesquelles on nous propose des candidats. Ce qui signifie qu’en réalité, on n’a plus le choix. C’est vraiment scandaleux. Comment peut-on choisir des adversaires pour une élection présidentielle en 2019 au Sénégal ?
Dans ces conditions pourquoi avoir choisi de mêler votre nom au TER ?
J’ai commencé à mêler mon nom à ces histoires -là, il y a très longtemps. J’habite Thiaroye et c’est un quartier qui était là bien avant Pikine et Guédiawaye. Tout ce qui le touche me concerne. On voit qu’avec ce TER, il y a trois cents familles qui vont perdre leurs maisons. Ce sont des gens avec qui on a habité depuis toujours et on ne pouvait pas rester insensibles face à cette situation. Ils devaient perdre leurs maisons et on leur proposait deux millions huit cent mille pour les 150 mètres carrés. Quand ils sont venus me voir, on a commencé à nous battre pour qu’ils soient mieux rémunérés et que les prix soient revus à la hausse. Finalement on est passé à cent trente- trois mille deux cent francs.
Donc ce n’est pas le régime qui a commandité ce fameux morceau sur le TER
Pas du tout ! Comme je l’ai dit tantôt, on s’est vraiment battu pour que les déguerpis soient indemnisés de manière décente. On s’est alors dit qu’il y a beaucoup d’espace au camp de Thiaroye. Pourquoi donc les reloger ailleurs ? Ces gens -là ont passé toute leur vie à Thiaroye. Même si, nous, nous sommes épargnés, il fallait mener ce combat. Il fallait donc les recaser sur le vaste espace du camp. C’est vraiment le sens de ce combat. Il y a 1200 Watts de courant qui vont traverser Thiaroye avec le TER. C’est à ce titre que j’ai coopté Fou Malade et j’ai aussi donné des noms de tagueurs. Car on doit tagguer pour mieux faire parler l’image. C’est pour cela que j’ai copté Fou Malade qui habite la banlieue. Il s’agit juste d’un titre pour sensibiliser les populations sur ces nombreux impacts du TER. Je n’ai pas chanté Macky Sall. Je n’ai pas chanté le TER. Je n’ai pas donné un avis pour dire que c’est bon ou mauvais, mais juste pour dire que le TER a des dangers liés à l’électricité qui lui permet de fonctionner et tirer la sonnette d’alarme. Maintenant, si les gens veulent faire de l’amalgame pour penser que j’ai chanté Macky Sall alors ça me dépasse. J’en appelle à une lecture plus conforme à la réalité et surtout aux journalistes.
C’est certainement ce qui explique l’indignation de Fou Malade ?
Effectivement. C’est moi qui l’ai appelé. Quand je lui ai parlé de l’idée par rapport à la sensibilisation, il m’a dit : « Grand on fait ça ». Je ne suis pas dans ces histoires de magouille. J’assume vraiment ce geste et si c’était à refaire, je le referais encore à deux cent pour cent. Il faut savoir que s’il s’agit de faire de la sensibilisation, je vais toujours le faire sans hésiter. Je n’ai pas chanté Macky Sall. Je compte vraiment profiter de cette tribune pour demander une petite faveur et apporter quelques éclaircissements. J’ai eu à faire récemment une conférence de presse pour la sortie d’une compilation et j’ai parlé du Camp militaire de Thiaroye. Un reporter a mal compris et il a dit que j’ai parlé du camp pour dire que l’on ne devait pas y recaser les impactés du TER. Cela m’a fait très mal et je ne comprends pas. J’ai encore une fois dit que le Camp militaire est très grand et qu’on est en train d’y ériger des projets. Il faut donc trouver de l’espace pour recaser ce gens -là qui ne connaissent que Thiaroye. Il est question d’y construire un centre commercial. J’ai alors dit que l’Etat a le droit de préserver une partie du camp militaire. C’est avant tout un patrimoine de l’ensemble des tirailleurs sénégalais. De ce fait, il n’appartient pas seulement à notre pays. J’insiste vraiment sur cet aspect. Je n’ai jamais dit que le camp ne doit pas accueillir des recasés. C’est un haut lieu de mémoire pour la tragédie du massacre de Thiaroye. Et à ce titre, il doit être préservé pour l’ensemble des Africains. Il n’appartient pas seulement au Sénégal. Il est chargé d’histoire souvent tronquée et on doit nous battre pour cela aussi.
Un message aux Sénégalais en ce moment précis ?
Je vais demander à mes concitoyens d’être conscients et de faire beaucoup attention. Il n’est plus question de sanctionner seulement pour se débarrasser d’un dirigeant. Le Sénégal n’est plus ce petit pays pauvre qui crevait la dalle. On a du pétrole et beaucoup de ressources naturelles comme le gaz etc. Ce qui va aiguiser des appétits féroces. Ces loups vont se mêler de la politique uniquement pour tirer profit de ces richesses. Il n’est donc pas seulement de la responsabilité de Macky Sall, Khalifa Sall ou Karim Wade de préserver tout cela. Nous devons tous s’y mettre. Quand un pays est pauvre, il est vraiment tranquille et il est à l’abri de certaines tentations. La preuve nous a été fournie avec la récente tontine décrochée par Macky Sall à Paris. Figurez-vous, quelqu’un qui avait juste besoin de deux mille milliards, on lui en propose plus de sept mille. Ce n’est vraiment pas pour ses beaux yeux. Ces gens-là savent qu’ils ne seront pas payés en argent, mais par nos ressources qui sont là pour combler le gap. Ce qui est regrettable, car ces richesses devraient normalement profiter à tout le monde et surtout éviter à nos jeunes de risquer leur vie à bord d’embarcations de fortune pour un chimérique eldorado.