ÇA GALERE EN MAURITANIE!
Les premières opérations de rapatriement officiel de réfugiés ont commencé effectivement en 2008 après la signature de l’accord tripartite suivi de la mise en place d’une commission tripartite (HCR, Mauritanie, Sénégal).
Officiellement, d’après les chiffres du rapport sur le profil migratoire du Sénégal en 2018 produit par l’agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ansd) et l’organisation Internationale pour les Migrations (OIM), ils sont 24.000 réfugiés à avoir jusque-là bénéficié du programme de rapatriement volontaire. a ce nombre, s’ajoutent les premiers retours organisés par les associations de réfugiés au Sénégal en 1995 et ceux effectués individuellement sans passer par aucune organisation. Quoi qu’il en soit, ils sont nombreux à galérer en Mauritanie.
Les premières opérations de rapatriement officiel de réfugiés ont commencé effectivement en 2008 après la signature de l’accord tripartite suivi de la mise en place d’une commission tripartite (HCR, Mauritanie, Sénégal). Des dispositions techniques et organisationnelles pratiques ont été prises pour faciliter ces opérations et l’installation de plus de 20.000 rapatriés négro-mauritaniens dans les différents sites choisis au niveau des régions frappées par les évènements «sanglants» de 1989. Pour autant, le retour de ces ex-réfugiés chez eux a été pour la plupart une grande désillusion.
Et les conclusions du rapport de la mission de l’Association du Barreau Américain, Initiative Etat de Droit en Mauritanie (ABA ROLI) effectuée du 06 au 12 octobre 2016 à Boghé sont révélatrices de cette situation. La mission s’était rendue dans le village de Houdallaye qui compte environ 4000 habitants essentiellement composés de populations rapatriées victimes des évènements de 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal. D’après le rapport ABA ROLI, ces populations constituent 541 familles de rapatriés et 30 familles de populations autochtones (village d’accueil) qui vivent d’élevage et de petit commerce. Et les conclusions sont les suivantes : « Les populations de retour sont frustrées, certaines même regrettent d’avoir accepté volontairement ce retour pour la simple raison que les promesses d’une vie meilleure ou acceptable n’ont pas été tenues par l’Etat mauritanien qui en est le principal responsable. Les rapatriés vivent une situation de marginalisation corolaire d’une mauvaise gestion administrative engendrant l’absence d’état civil pour beaucoup d’entre eux surtout les enfants. Certaines familles n’ont presque pas de papiers d’état civil et n’ont pas accès aux services administratifs et judiciaires détenus entièrement par des responsables maures blancs qui font ce que bon leur semble pour marginaliser ces négro-mauritaniens victimes des évènements de 89. Certains vont jusqu’à parler de racisme d’Etat imposé par un système de gouvernance politique en place. (…)
Les pratiques déloyales des agents de l’état civil montrent qu’il manque une volonté réelle et manifeste de l’Etat de mettre fin à cette situation de marginalisation. La preuve, les agents administratifs s’adonnent dans l’impunité, à ce genre de pratique discriminatoire consistant à vouloir marginaliser à dessein ces populations dans tout le processus d’enrôlement en leur ôtant leurs droits sacro-saints d’obtenir des pièces d’état civil leur permettant de jouir de leurs droits civiques. Ce qui constitue à n’en pas douter, une violation de leurs droits. (…) Plusieurs rapatriés risquent fort bien de devenir des apatrides faute d’état civil.»
LES REFUGIES ONT LEUR «ROBIN DES BOIS»
Trois ans après cette mission d’ABAROLI, le problème subsiste encore. Pourtant, dans l’accord tripartite le gouvernement mauritanien s’était engagé à adapter les structures administratives, aux niveaux central et régional, qui sont nécessaires à la mise en œuvre du retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité, et à leur pleine réinsertion juridique, sociale et économique au sein de la communauté nationale. II s'engageait à délivrer aux réfugiés rapatriés mauritaniens et à leurs enfants, tous les documents d'état civil auxquels ils ont droit, et de mettre à jour en conséquence les registres d'état civil. Mais en Mauritanie, tous les ex réfugiés s’accordent à dire que ce programme de retour est un échec cuisant. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux sont revenus au Sénégal. La plupart n’a pas supporté les promesses non tenues en plus des tracasseries liées à l’obtention des documents d’identité. I. Sow est un ex-réfugié revenu au pays. Malgré sa désillusion, il n’a pas baissé les bras. Pour aider ses frères, il répare l’injustice par l’injustice. Il utilise tous les moyens en sa possession pour aider les réfugiés mauritaniens de retour comme ceux établis à l’étranger qui souhaitent revenir. Son téléphone ne cesse de sonner durant notre entretien.
Monsieur Sow, qui se présente comme un «Robin des Bois» pour les réfugiés, se confie : «Si quelqu’un a des problèmes pour se faire recenser et obtenir des documents d’identité, je l’aide. C’est vrai qu’il me rétribue. Mais je le fais plus pour réparer une injustice.»Téméraire, il n’hésite pas à corrompre à l’administration pour satisfaire ses clients, avoue t-il. Sa conviction, l’administration est corrompue. Et comme injustement on prive à des gens leur nationalité, lui aussi, il n’hésite pas à négocier pour décanter les situations. Pour accélérer les procédures, il corrompt l’administration particulièrement le personnel de l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés. «Je connais bien le circuit. L’administration mauritanienne est corrompue. Je travaille le plus souvent avec les réfugiés établis en France et partout en Europe. Je les aide. Etant réfugié comme eux par le passé, je suis sensible à leur situation», soutient-il. Marié, papa de 4 enfants et formateur en langue nationale, I. Sow effectue en même temps le travail de courtage dans le domaine de l’immobilier. Si aujourd’hui, il passe beaucoup de temps à régler les problèmes de papiers des réfugiés ; c’est parce que le gouvernement mauritanien, de par les procédures et les documents demandés, compliquent la tâche aux réfugiés.
LE MEMORANDUM DU REVE
SI Sow préfère emprunter des voies peu orthodoxes pour combattre l’administration, Souleymane Lo, ex-contrôleur des Douanes déporté, président du Regroupement des Victimes des Evènements de 1989-1991 (REVE) mise lui sur le plaidoyer. Membre fondateur du Forum des Organisations Nationales de Droits Humains (Fonadh), Monsieur Lo est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs de la lutte pour le respect des droits des ex-réfugiés. D’ailleurs, avec ses camarades de l’Association des réfugiés mauritaniens au Sénégal, il avait initié les premiers retours volontaires en 1995 sans l’implication des Etats et du HCR. Juste après le dégel entre la Mauritanie et le Sénégal, ils ont entamé des négociations avec les autorités de la Républiques islamique de Mauritanie. Il se remémore : «Dans les camps de réfugiés à l’époque, on était partagé entre les radicaux qui voulaient utiliser les armes pour rentrer de force dans notre pays et les démocrates comme moi qui prônaient le dialogue et la négociation.» Finalement, à travers ce programme initié par l’association des mauritaniens au Sénégal, 15.000 réfugiés sont retournés au pays. Selon Souleymane Lo, ils avaient trouvé sur place 30.000 autres réfugiés qui étaient revenus individuellement en utilisant leurs propres canaux. Malgré la désolation et le non-respect des engagements de la Mauritanie, ils sont restés pour essayer d’imposer à l’Etat le respect de leurs droits. Depuis, à la moindre occasion, ils ne manquent pas de rappeler à l’Etat mauritanien ses engagements. Le 22 avril dernier, le Regroupement des victimes des évènements de 1989/1991 (REVE) qu’il dirige a sorti un mémorandum pour faire le point sur les revendications.
A en croire le sieur Lo, tous les rapatriés du Sénégal sont concernés qu’ils soient rentrés soit par le Programme Spécial de Réinsertion Rapide (Psir) ou d’une manière spontanée appelée «moylu koota (Ndlr : rentrez vite en Puular)» et ceux qui sont rentrés par l’accord tripartite entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR. Dans le document publié et adressé aux autorités mauritaniennes, il est écrit : « 30 ans durant, les victimes continuent de souffrir de pauvreté, d’oubli et d’humiliation. (…) Concernant la régularisation des fonctionnaires et agents de l’Etat, sur 1159 victimes recensés comme appartenant à la Fonction publique, 985 cas ont été traités soit par leur mise à la retraite par limite d’âge ou réintégrés dans leur fonction. Et sur ces 985, les 70 victimes réintégrées entre 1992 et 95 n’ont pas bénéficié de l’indemnisation symbolique pour le préjudice moral. Les agents auxiliaires de l’Etat victimes n’ont pas jusqu’à présent bénéficié de pension de retraite au niveau de la CNSS.»
Poursuivant, Souleymane Lo et ses camarades estiment que le dossier des fonctionnaires victimes retardataires reste bloqué au niveau de la Direction de la Fonction publique et du ministère de l’Economie et des Finances. Et que la majeure partie des fonctionnaires victimes réintégrée est mise à l’écart. Sans compter le fait que la régularisation n’a pas tenu compte de la reconstruction de carrière des fonctionnaires en raison de la date du licenciement ou de la révocation (1989). Toujours dans le mémorandum, il est écrit : «pour ce qui est des établissements publics, 14 sur 16 établissements ont, procédé à l’indemnisation de leurs agents, mais refusent catégoriquement d’effectuer le versement des cotisations à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour le paiement éventuel des pensions des retraités victimes et des agents réintégrés. Le dossier des ex-employés de la société Mauritanienne des Industries du Sucre (SOMIS) et de l’Union des Banques de Développement (UBD) est bloqué au niveau du ministère de l’Economie et des Finances. Le dossier des ex-employés d’Air Mauritanie et l’Asecna n’a pas encore été traité.» Entre autres doléances, loin d’être exhaustives, le REVE 89/91 exige des solutions durables pour leur réinstallation dans la vie économique et sociale, par l’accès à la propriété foncière, l’obtention de documents d’état civil, y compris pour les enfants.