LES PERSONNES ÂGÉES MENACÉES
Les cas communautaires et les décès sont entrain de prendre des proportions alarmantes dans le pays. Et comme il a été indiqué depuis le début, la pandémie s’accentue sur les patients vulnérables et les personnes de troisième âge
Les cas communautaires et les décès sont entrain de prendre des proportions alarmantes dans le pays. Et comme il a été indiqué depuis le début, la pandémie s’accentue sur les patients vulnérables et les personnes de troisième âge. Au Sénégal, les cas graves notés jusqu’à présent confirment ces tendances, menaçant du coup une couche qui, contrairement aux pays occidentaux, joue un rôle déterminant dans les foyers et dans la société. Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont bel et bien dans une situation dramatique en Europe.
Selon le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé Publique France, publié vendredi dernier, la moitié des décès liés au coronavirus en France entre le 1er mars et le 14 avril étaient rapportés chez des résidents d'Ehpad. 6 339 personnes âgées sont mortes au sein de leur établissement durant cette période. Il faut y ajouter 1 799 résidents décédés après leur transfert à l'hôpital. Ce sont donc 8 138 décès dus au coronavirus qui ont été dénombrés en un mois et demi quand, dans le même temps, le coronavirus faisait 16 653 victimes en France. Un bilan apocalyptique qui renseigne aussi sur le nombre de retraités et personnes du troisième âge qui sont dans les maisons de retraite. Un ostracisme social qui tranche d’avec le rôle important joué par les personnes âgées au Sénégal et en Afrique où quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. C’est pourquoi la conjoncture actuelle recommande une vigilance accrue par rapport à cette partie importante dans l’équilibre social.
En effet, Il y a quelques semaines, le directeur du COUS Dr Abdoulaye Bousso révélait que la tranche d’âge des 25-60 ans représente 64% des cas positifs de coronavirus recensés au Sénégal, et 14% des patients sont âgés de plus 60 ans. Il rappelait dans la foulée que les personnes âgées sont plus vulnérables que leurs cadets à la maladie du coronavirus.
Et force est de constater que depuis le début, les décès liés au Covid-19 dans le pays n’ont touché pratiquement que des sexagénaires. Une situation alarmante eu égard au rôle prépondérant que les personnes âgées jouent dans la société, contrairement en Europe où ils sont mis à l’écart. « Le rôle ne peut être le même qu’en Europe parce ce que le contexte et les environnements ne sont pas les mêmes, les approches socioculturelles ne sont pas les mêmes », soutient l’enseignant en sociologie Dr Abdoukhadre Sanoko.
C’est pourquoi d’après lui, fondamentalement, il va y avoir une certaine disparité entre les approches. En effet, insiste-t-il, entre les personnes âgées et le reste de la population au Sénégal et en Afrique, il y a ce qu’on appelle un retour de bâton ou un retour d’ascenseur. « Les générations juvéniles sont encadrées, protégées par ceux que les Anglais appellent ‘’The elders’’, c'est-à-dire les aînés et tout ce que nous autres pouvons faire ou réaliser, c’est parce que nous avons eu au préalable l’accompagnement, la prière, l’encadrement, le suivi et l’investissement des parents », renseigne le sociologue pour expliquer pourquoi les personnes du troisième âge doivent être beaucoup plus protégées du Covid-19.
A l’en croire, le socle dans les pays africains et dans la famille africaine réside dans la légitimation des aînés. Donnant les raisons qui fondent le pouvoir des anciens dans les pays africains, il a estimé que le succès en Afrique est consubstantiel à la bénédiction des anciens ou au club des seniors. Alors qu’en Europe, signale-t-il, c’est tout à fait le contraire parce que les occidentaux sont allergiques à la progéniture à telle enseigne qu’ils ont un nombre d’enfants très limité ; et dès l’âge de la majorité, ils coupent le cordon avec tout ce qui peut constituer une sorte d’encombrement familial. « Ils vous laissent libre cours par rapport à votre avenir et ça, tout le monde le sait. En Europe, la règle, c’est qu’à 18 ans, vous devez obligatoirement sortir du giron familial et en Afrique au contraire, il peut arriver qu’un octogénaire puisse subvenir aux besoins de sa progéniture qui du reste est dans l’activité professionnelle », affirme Dr Sanoko qui ajoute qu’il connaît des pères de famille qui disent que tant qu’ils vivront, ce sont eux qui s’occuperont de la maison.
Pour le sociologue, les anciens doivent être protégés du Covid-19 pour plusieurs raisons. « Quand ces derniers deviennent inactifs, malades, fragiles, c’est même un investissement qui s’effrite parce notre investissement humain ne se limite pas simplement à subvenir aux besoins de nos enfants, mais à encadrer nos personnes âgées », dit-il avant d’ajouter qu’en Europe, ils ne croient pas à toutes ces considérations car étant trop rationalistes. Ils réfléchissent, estime-t-il, en termes de coût, de pertes, en termes d’avantages et ils réfléchissent aussi en termes de risques et de perte de temps. C’est pourquoi dans leurs sociétés, ils ont besoin de mettre en place des mécanismes en termes de prise en charge, d’accueil des personnes âgées alors que nous, c’est dans l’espace familial que tout se passe. « D’autant que parfois c’est le père de famille qui intègre tous les enfants au sein de la maison et malgré leurs réussites socioprofessionnelles, il exige que chacun reste dans l’enceinte familiale. Il se crée ainsi plusieurs ménages composés de la fratrie alors qu’en Europe, c’est rare de voir ça », informe l’enseignant qui souligne que même si la tendance se modernise, le patriarche existe encore. Car même les religions au Sénégal recommandent un accompagnement jusqu’au dernier moment des personnes âgées. « En Afrique, la vie est régie par la hiérarchie », renchérit Dr Sanoko
« IL FAUT DEVELOPPER DES STRATEGIES ALLANT DANS LE SENS DE PROTEGER LES PERSONNES AGEES »
Mesurant l’importance et le rôle joués par cette couche de la population dans la société sénégalaise, Dr Abdoukhadre Sanoko pense qu’il faut développer des stratégies allant dans le sens de protéger les personnes âgées, « surtout de tout contact susceptible de leur faire contracter le virus ; et il faudrait que chaque Sénégalais responsable puisse exiger que les personnes âgées ne sortent pas ces temps-ci de l’environnement familial », préconise-t-il. Il trouve aussi que l’autre disposition qui doit être prise, c’est de ne pas rendre visite aux personnes âgées pour ne pas les exposer à la maladie. Toutefois, il invite les Sénégalais à ne pas les isoler parce qu’une personne âgée a besoin de vie et de chaleur.