ADIEU CAMARADE !
Le journalisme fut pour Babacar Touré, et nous par ricochet, plus une mission quasi impossible, un sacerdoce qui énervait bien de bien-pensants et autres « eau de pirogue » qui valsent au gré des vagues
Il y a d’abord l’Histoire avec un grand H. C’est celle d’une aventure. Sud. Les années 80 avec sa nouvelle guerre Nord-Sud. Se situer, se définir, prendre parti, assumer ses responsabilités. Alors, une bande de jeunes « fous » décida de s’assumer ; d’assumer les responsabilités de l’époque : recentrer les débats du continent dans le mouvement pendulaire d’une époque qui appelait à la résistance.
Sud sera une des armes de ce combat démocratique. Au réveil et aux luttes des forces démocratiques et patriotiques, Sud serait un porte-voix majeur. Il sera de tous les combats ; il rendra compte de toutes les plaintes et complaintes. Il s’incrustera dans les entrailles des détresses des petites gens ; il hantera le sommeil et la quiétude des gouvernants pour qu’ils entendent les supplices de celles et ceux qu’ils sont censés servir.
Bref, il sera le vigie et la sentinelle pour que les promesses soient tenues. L’Afrique et le Sénégal des années 90 étaient un brasier où se consumaient les espoirs d’un monde meilleur et de fortes aspirations démocratiques pour enterrer l’Afrique monolithique des coups d’Etat et de partis uniques. Il y a aussi les histoires de …Sud. C’est-à-dire les cadavres qu’il déterra, les débats qu’il imposa, les conflits qu’il assuma et géra. Des débats tenus et soutenus : la démocratie et les institutions par de grands intellectuels comme le Professeur Kader Boye ou Me Ousmane Sèye, des intellectuels comme Boris Diop, Souleymane Bachir Diagne, des sommités médicales, des leaders des syndicats autonomes en gestation ou en période d’affirmation. Ces multiples combats feront dire aux mauvaises langues et à ceux que Sud empêchait de dormir qu’il était « le premier parti d’opposition » du pays. Il assuma sa ligne éditoriale. Il amplifia le combat des forces démocratiques et pourchassa les fautes de gestion des gens du pouvoir.
Et Sud, ce bateau « ivre » de justice avait un timonier hors pair : BT. Parce que voyez-vous, personne ou si peu, ne l’appelait Babacar Touré dans la maison. Respect et familiarité. Parce que derrière sa « masse » imposante et qui en imposait, il y avait comme une âme de grand garçon jovial avec des éclats de rire apaisant. Il souriait ou éclatait de rire après vous avoir engueulé la minute d’avant. Il détestait le job mal fait, les sources imprécises ou les périphrases d’intello ou la langue de bois de juristes. (N’est-ce pas Latif ?) Mais il détestait par-dessus tout, les faux jetons et autres faux-culs, les m’as-tu vu. Les faux amis et faux compagnons de route. Parce que BT était entièrement et tragiquement entier.
Voilà pourquoi il traversa le dernier demi-siècle du XXe comme un ouragan rédempteur. Voilà pourquoi, le journalisme fut pour lui, et nous par ricochet, plus une mission quasi impossible, un sacerdoce qui énervait bien de bien-pensants et autres « eau de pirogue » qui valsent au gré des vagues. Parce que de là où tu es maintenant je sais que tu es en train de fulminer par tant de mots que tu qualifiais de maux dont nous étions souvent porteurs, diffuseurs, comme cette saloperie corona qui a emporté tant de gens de bien, je m’arrête là et te dis : A Diarama, Al Touré. Je t’appelais ainsi parce que tu ne m’appelais pas autrement que par « Al Demba ». Et je n’ai jamais compris pourquoi.