ATTENTION VIRAGE DANGEREUX
EXCLUSIF SENEPLUS - A force de vivre avec le virus, de l’esquiver dans sa mortelle course poursuite, nous avons perdu de vue sa contagiosité, désormais intégrée comme une donnée quotidienne. En nous habituant au danger, nous avons baissé la garde
« On guérit une maladie mais on ne guérit jamais une mauvaise habitude » (proverbe africain
Le petit virus armé de cinq gènes seulement continue de faire vaciller nos pays. Depuis une dizaine de mois, il met à genoux une planète de plusieurs milliards d’êtres humains ayant environ 30 000 gènes.
La COVID-19 donne l’impression d’avoir repris des forces entre confinement et déconfinement, accru sa vitesse de circulation et confirmé notre impuissance à la vaincre. Tout se passe comme si nous revenions à la case départ, celle de l’explosion de la pandémie à la fin de l’année dernière.
Les annonces de découverte imminente de vaccin ou de molécule ressemblent à des opérations de communication commerciale et non à des victoires. Les grands pays restent impuissants, piqués dans leur orgueil de leaders du monde et interpellés par la menace d’une nouvelle hécatombe, économique celle-là, avec la récession qui s’annonce pour eux. Les autres, comme d’habitude, suivent.
La COVID-19 nous soumet à son rythme, impose son taux de létalité comme unité de mesure. Confinement, déconfinement, reconfinement, état d’urgence sanitaire, couvre-feu strict ou allégé, fermeture ou ouverture des écoles, des frontières, gestion des espaces publics. Toutes ces mesures semblent obéir aux grandes tendances perçues de l’extérieur et non en fonction de la pandémie à l’intérieur.
Arrogance du confort
La COVID-19 n’a pas surpris que les scientifiques. Elle a aussi pris de court les dirigeants politiques et les voyageurs impénitents qui, immobilisés une semaine, se sentent en cage.
A l’éruption de la pandémie, les grands pays, ainsi nommés, se sont emmurés dans leurs certitudes, persuadés qu’une telle maladie, au-delà de son intérêt scientifique ne les regardait que très peu.
Pour ces nantis, leur niveau de développement les mettait à l’abri d’une telle bourrasque épidémique propre à l’hémisphère sud où les règles d‘hygiène sont ignorées, les équipements sanitaires, quand ils existent, rudimentaires.
Cette attitude, nourrie du complexe de supériorité et qui…confine à l’arrogance, explique la lenteur de la prise de conscience du mal. Conséquence immédiate : la panique née d’une propagation inattendue du virus et le retard pris dans la contre-attaque. L’improvisation qui a été la règle a désarçonné les nations riches et accru le nombre de victimes. Elle a aussi entamé la confiance que le reste du monde avait dans la science occidentale.
Encore aujourd’hui, on assiste à une bagarre de chiffonniers entre marchands de médicaments, scientifiques, ayant chacun ses maitres espions comme du temps de la guerre froide. Régulièrement est claironnée l’invention d’un vaccin ou la découverte de la molécule miracle. Cet optimisme n’a nullement empêché la fermeture d’espaces, l’imposition des mêmes mesures barrières dont la panacée semble être le port du masque.
Décisions précipitées
La raison ? Simple et édifiante. Les impératifs économiques et sociaux imposent le déconfinement, total ou partiel qui prend l’allure d’une décision précipitée. Un déconfinement qui met à l’épreuve notre capacité à observer les restrictions sans autre limite que notre sens des responsabilités. Ainsi se révèle la nature profonde de ce roseau pensant qu’est l’homme selon Pascal, ou un chef d’œuvre comme veut le croire Shakespeare. Au total, un être ondoyant, essentiellement social qui ne s’accommode que difficilement d’un internement prolongé provoqué par une maladie qui prend les allures d’une endémie comme le paludisme ou la grippe dont nous sommes depuis toujours familiers, responsables de nos souffrances quotidiennes.
Aussi, nous nous comportons comme si la COVID-19 était une douloureuse parenthèse fermée, tant nous sommes prompts à nous extraire de nos habitats pour envahir la rue et ses espaces libres, les pistes de danse ou encore à nous prélasser sur les plages quand elles sont à portée de maillot. Une invitation à l’explosion du virus et un retour aux précautions coercitives du début de la maladie à coronavirus. Précautions sitôt oubliées lorsque nous nous regroupons, sans masque ni distanciation physique dans des spectacles non virtuels où hommage mérité est rendu au corps médical par exemple.
Et pourtant, chacun, dans cet élan généreux, met en danger sa vie et celle des autres. Les lieux de loisirs sont assurément ceux où la COVID-19 est niée, renvoyée à des lendemains incertains, tombeau de notre insouciance, marque de notre vulnérabilité.
Ressorts prodigieux
Nul ne songerait à interdire une vie sociale, notre raison de vivre, encore moins des activités économiques, nos moyens de vivre. Mais cette pandémie nous oblige à respecter des obligations qui n’ont nullement contrarié, de façon générale, l’organisation quotidienne de nos sociétés.
Le confinement, a révélé ce que nous pouvons avoir de ressorts pour organiser nos sociétés dans le cadre du travail. L’enseignement et la restauration en sont des exemples. Nous avons découvert le confort du télétravail qui a rendu presqu’obsolète la nécessité d’aller au bureau. Nous avons appris à nous voir de loin grâce à la magie du numérique.
Il est vrai que nos vieilles habitudes nous ont manqué, tels les contacts physiques, marques de nombreuses civilisations : serrage de mains, accolades, embrassades, etc. Ces habitudes étaient-elles si mauvaises ? Si oui, alors « On guérit une maladie mais on ne guérit jamais une mauvaise habitude », dit le proverbe africain.
Nous avons vécu comme un manque la fermeture des boites de nuit, salles de cinéma et théâtres, ressenti la nostalgie des tintamarres de la trépidante vie culturelle et sportive. Le vide des salles de spectacle et les gradins sans supporters arrachent une part de nous-mêmes.
A force de vivre avec le virus à nos portes, de l’esquiver dans sa mortelle course poursuite, nous avons perdu de vue sa contagiosité, désormais intégrée comme une donnée quotidienne. En nous habituant au danger, nous avons baissé la garde. Pourtant, comme le dit le code de la route, attention virage dangereux ! Ce manque de vigilance a entraîné une augmentation exponentielle des cas à travers le monde, en particulier dans les pays développés dont nous dépendons pour beaucoup.
Peut-être, aurait-on dû se hâter avec lenteur pour ouvrir les frontières, surtout aériennes. Avons-nous suffisamment mesuré les risques de telles décisions ? Nous devons encore réprimer cette soif du voyage pour continuer de préserver nos vies.
L’observation des restrictions a eu des effets bénéfiques sur notre manière de freiner la propagation du virus. Les visioconférences ont par exemple drastiquement réduit les dépenses liées aux déplacements de certains des princes qui nous gouvernent. Du reste, il n’est pas superflu de chercher à savoir combien de respirateurs, de masques et d’équipements médicaux et même d’hôpitaux pourraient être acquis avec les économies réalisées par la suspension de certains déplacements inutiles à l’étranger.
La preuve aura en tout cas été faite que de grandes décisions sur la marche du pays, de la sous-région, du continent et même du monde, pouvaient être prises sans mobiliser des avions, des délégations pléthoriques avec la logistique humaine et matérielle budgétivore qui s’y attache.
Évitons de tomber dans la facilité qui consiste à renouer avec nos mauvaises habitudes car le virus n’a pas rompu avec les siennes, celles de tuer insidieusement. Ce défi est certes grand mais il reste encore à notre portée.