ANTON WILHELM AMO (1703-1753), PREMIER AFRICAIN NOIR A AVOIR OBTENU UN DOCTORAT DANS UNE UNIVERSITE EUROPEENNE
Coin d’histoire – Il fut pourtant un esclave «offert» à un duc allemand !
La vie et l’œuvre de ce philosophe ghanéen sont méconnues de beaucoup d’Africains. Mais, en Allemagne, une université lui a construit une statue et un prix « Anton Wilhem Amo » est remis chaque année, depuis 1994, aux étudiants étrangers les plus brillants par l’université Martin Luther de HalleWittemberg.
Anton Wilhelm Amo est né au Ghana. On situe sa date de naissance vers 1703, mais peut-être est-il né bien avant cette date. Car, c’est en 1707 qu’il a été capturé par des esclavagistes de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales dans une région du Ghana colonisée à l’époque par l’État de Brandebourg-Prusse, appelée Groß Friedrichsburg, et offert en « cadeau » à Anton Ulrich, duc de Brunswick-Wolfenbüttel. On suppose qu’il n’a pu être capturé à l’âge de quatre ans seulement, ce qui soulève des doutes sur sa date de naissance officielle.
Quoi qu’il en soit, Anton Wilhem Amo a été baptisé le 29 juillet 1707. Il est ainsi mentionné pour la première fois dans les registres de la chapelle de Brunswick-Wolfenbüttel, sous le nom d’Anton Wilhelm, par ses deux parrains, le duc Anton Ulrich et son fils August Wilhelm de Brunswick-Wolfenbüttel.
Dans cette famille de l’aristocratie prussienne, Anton reçoit une solide éducation bourgeoise. Les historiens ont consulté les registres financiers du château de Brunswick-Wolfenbüttel qui font état de deux dons au nom d’Amo aux années 1716/1717 et 1719/1721 pour financer ses études.
En 1727, Amo est inscrit au Collège de Philosophie et de Sciences Humaines à l’université de Halle où il obtient une licence en droit en 1729, après un mémoire sur les droits des Noirs en Europe, intitulé « De Jure Maurorum in Europa » (Du droit des Maures en Europe). Une année plus tard, en septembre 1730, il rejoint l’Université de Wittemberg où il poursuit ses études en médecine. En avril 1734, il soutient sa thèse intitulée « De Humanae mentis apatheia » (De l’Apathie de l’âme humaine).
Il devient alors le premier Africain noir à être docteur en lettres et philosophie dans une université européenne. Il est nommé professeur à l’université de Halle en 1736. C’est là qu’en 1738 il publie son deuxième ouvrage, le « Traité sur l’art de philosopher de manière simple et précise ». Et en 1740, il reçoit une chaire de philosophie à l’Université d’Iéna où il enseigne la philosophie jusqu’en 1747. Puis, sans doute pour éviter le contexte raciste de l’époque où les préjugés sur les Noirs restaient encore tenaces, il décide de retourner au Ghana en 1751.
Naturellement, du fait de ses origines, la philosophie d’Amo a été largement occultée. Néanmoins, celui-ci est mentionné par différents auteurs dans le but de prouver la valeur potentielle des Noirs, dans une époque où les préjugés racistes sont nombreux. En 1787, dans « Von den Negern » (Des Nègres), Johann Friedrich Blumenbach, biologiste de renom, cite le nom d’Amo parmi d’autres Africains pour prouver l’égalité intellectuelle entre Africains et Européens. En 1808, l’abbé Grégoire, dans son ouvrage intitulé « De la littérature des Nègres », présente des « Notices de Nègres et de Mulâtres distingués par leurs talents et leurs ouvrages ».
Dans cet ouvrage, il accorde quatre pages à la vie et à l’œuvre d’Amo et déclare que « l’Université de Wittemberg n’avait pas, sur la différence de couleurs, les préjugés absurdes de tant d’hommes qui se prétendent éclairés ». Au XXe siècle, Anton Amo a surtout passionné quelques auteurs par son parcours atypique. En 1916 et en 1918, un bibliothécaire du nom de Wolfram Suchier consacre deux biographies à la vie d’Amo, soulignant son caractère exceptionnel.
C’est cette même exceptionnalité de voir des Africains qui expliquerait, selon Suchier, la reconnaissance de ses pairs pour la philosophie d’Amo. En 1946, dans un contexte international encore largement inégalitaire, Beatrice Fleming et Marion Pryde publient « Distinguished Negroes Abroad » (Noirs éminents à l’étranger), où la vie d’Amo est décrite. En 1957, dans son autobiographie, Kwame Nkrumah, président du Ghana, rappelle qu’il a éprouvé un grand intérêt pour cette personnalité africaine de premier plan dont l’œuvre était jusque-là ignorée.
La figure d’Amo a été également instrumentalisée par le régime communiste de la République démocratique allemande. L’université de Halle, située en Allemagne de l’Est, s’est enorgueillie d’avoir accueilli un des premiers étudiants noirs en Europe. Elle cherchait ainsi à prouver l’existence d’une alliance historique entre les pays socialistes et les pays africains.
Dans ce contexte, l’université a dressé une statue d’Anton Wilhelm Amo. Burchard Brentjes, en 1976, dans « Anton Wilhelm Amo – Der schwarze Philosoph in Halle » (Anton Wilhelm Amo – Le Philosophe noir à Halle) présente Amo comme un contre-exemple de l’histoire de la colonisation. Si la figure d’Amo a été largement utilisée pour défendre les droits des Noirs ou revendiquer leur égalité intellectuelle, son œuvre a rarement été prise en compte comme pilier des « Aufklärung ».
Anton Amo est ainsi largement emblématique, mais sa philosophie est peu connue et peu discutée. C’est dans une perspective symbolique que, depuis 1994, l’université Martin Luther de Halle-Wittemberg remet un prix « Anton Wilhelm Amo » destiné aux étudiants étrangers. Au Ghana, Anton Amon s’est paradoxalement reconverti dans… l’orfèvrerie, ce qui confirme que c’était un personnage atypique, touche-à-tout et curieux de tout. C’est là, dans son pays d’origine, qu’il trouvera la mort en 1753.
Par Mohamed Bachir DIOP