FRANCAFRIQUE, SUITE ET PAS FIN
EXCLUSIF SENEPLUS - La participation d’intellectuels africains aux côtés de Macron au sommet Afrique-France, relève d’une manœuvre de mondialisation de la vieille méthode gaullienne de domination du continent
« Ceux qui se demandent comment en finir avec la Françafrique ont un train de retard. Cette relation se dissout progressivement dans un mouvement de démultiplication des partenariats », nous dit M. Souleymane Bachir Diagne.
« Depuis 2017, le président Emmanuel Macron a constamment affiché sa volonté de redéfinir ce qu’il appelle "les fondamentaux de la relation" entre l’Afrique et la France. Il a posé un certain nombre d’actes dont chacun est libre d’apprécier la teneur… Mais c’est aussi à nous de faire en sorte que ces gestes ne soient ni anodins ni sans conséquences. Pour cela, il ne faut pas se croiser les bras et attendre que la manne tombe du ciel. Maintenant, il veut mettre à profit le nouveau sommet Afrique-France, qui se tiendra à Montpellier les 9 et 10 juillet prochain… », avance pour sa part Achille Mbembé
Nos deux intellectuels considèrent donc que la Françafrique, dont Georges Pompidou, alors Premier ministre, disait en 1964 qu’elle est : « la suite de la politique d'expansion de l'Europe au XIXe siècle », est maintenant révolue ou en voie de l’être.
Que la Françafrique soit encore « une réalité formelle » pour parler comme les philosophes, l’actualité se charge de nous fournir des exemples tous les jours ! Voyez la précipitation avec laquelle le président de la République française s’est rendu à N’Djaména le 23 avril dernier aux funérailles d’Idriss Déby ! Comment expliquer que le président Emmanuel Macron fut placé là, au-devant même de la famille biologique et du gouvernement tchadien, seul chef d’État non africain à cette cérémonie ? Comment expliquer son message d’adoubement de la nouvelle junte au pouvoir, message qui partout ailleurs eut été une « ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d’un État souverain » ? "Nous ne laisserons personne mettre en cause ou menacer aujourd'hui ou demain la stabilité et l'intégrité territoriale du Tchad", disait-il, mettant en garde l’opposition tchadienne contre tout soulèvement contre la junte qui venait de s’installer au pouvoir en violation des dispositions constitutionnelles pertinentes.
Au Tchad, en Afrique, en France et à travers le monde, on a aisément compris la posture et le discours du président français : ils s’inscrivent dans le cadre « des accords de coopération technique et militaire », établis dès 1976 entre les deux pays et renouvelés en 2019. Ces accords concèdent deux bases militaires permanentes à la France dans le pays : la base aérienne 172 Sergent-chef Adji Kosseï à N'Djamena le camp capitaine Michel Croci à Abéché, dans l'Est du pays.
C’est grâce au dispositif militaire et d’espionnage mis en place sur la base de ces « accords » que la France a favorisé la prise du pouvoir de Hussein Habré en 1981 puis celle d’Idriss Déby en 1990. De même, l’armée française est intervenue à plusieurs reprises en 2006, 2008, 2019 et encore récemment en 2020 pour protéger le régime de N’Djaména contre l’opposition armée tchadienne.
Quand on sait par ailleurs que le Tchad est toujours partie de la convention de coopération monétaire entre les pays membres de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la République française du 23 novembre 1972 qui fait du FCFA la monnaie ayant cours dans le pays, peut-on dire que la Françafrique s’y est « dissoute » ?
Considérons maintenant « la volonté » de « redéfinir les fondamentaux de la relation entre la France et l’Afrique » que M. Achille Mbembé prête au président de la République Française, et les « actes » et « gestes » qu’il aurait posés. Ne dissertons pas sur la « volonté » de M. Emmanuel Macron : M. Mbembé, philosophe de formation connait l’ambiguïté du concept qui renvoie aussi bien à l’obligation morale et au devoir éthique que se donne le sujet qu’à "sa volonté de puissance, c’est-à-dire l’appétit insatiable de manifester la puissance”.
Prenons le concept dans le sens courant que la psychologie lui prête : celui de projet, de décision. Donc l’actuel président de la République Française aurait le projet d’en finir avec la Françafrique, il aurait d’ailleurs posé « des actes » et des « gestes » dans ce sens ! M. Mbembé énumère ces « actes » et « gestes » : le rapport sur la restitution des objets d’arts africains, l’exposition culturelle et artistique Saison Africa2020 confiée à une Sénégalaise, « l’ouverture de la digue du FCFA » et le rapport commandité sur le Rwanda. Il pourrait ajouter à cette liste « les déclarations » de M. Macron et notamment « le discours du 27 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou ».
Quand on considère que la « restitution des biens culturels » n’en est qu’à la phase initiale préconisée par le rapport Felwine Sarr/ Bénédicte Savoy de novembre 2018, on se doit de relativiser la portée du « geste » du président Emmanuel Macron.
Le bouleversement historique comparable à « la chute du Mur de Berlin ou la réunification des deux Corées » dont rêvait « le jeune ministre du Tourisme, de la Culture et des Sports au Bénin » n’a décidemment pas eu lieu[1].
Du reste, on peut mettre au compte de la realpolitik, une initiative qui vient bien après l’appel « pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable » lancé le 7 juin 1978 déjà par l’UNESCO sous la présidence d’Amadou-Mahtar M’Bow. Initiative que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) et d’autres associations africaines et d’afro descendants ont réactivé depuis au moins 2013 ainsi que le rappelle le rapport Felewine Sarr/ Bénédicte Savoy.
Quant à « l’entrouverture de la digue du FCFA », M. Mbembé en reconnait lui-même la véritable portée : « c’est au prix du sabotage de l’éco », le projet de monnaie porté par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O) !
Pour ce qui est du « discours du 27 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou », il n’est pas un discours nouveau de la part d’un président français en direction de l’Afrique ni dans la forme ni dans le fond. Nicolas Sarkozy déjà s’est adressé à la jeunesse africaine, quasiment dans les mêmes termes : « Je crois indispensable de faire évoluer, au-delà des mots, notre relation. L’immense majorité des Africains n’ont pas connu la période coloniale. 50 % des Africains ont moins de 17 ans. Comment peut-on imaginer continuer avec les mêmes réflexes ? », disait-il ainsi dans un discours prononcé à Cotonou en 2006. Nicolas Sarkozy avait aussi appelé dans ce discours à une « nouvelle relation entre la France et l’Afrique », « débarrassée des réseaux d’un autre temps. Notre relation doit être décomplexée, sans sentiment de supériorité ni d’infériorité, sans sentiment de culpabilité d’un côté, ni soupçon d’en jouer de l’autre, sans tentation de rendre l’autre responsable de ses erreurs ».
On connait la suite : le « discours de Dakar » du 26 juillet 2007, qui a l’a révélé tel qu’en lui-même : raciste et suprématiste, puis l’agression armée contre la Libye et l’assassinat de Mouammar Kadhafi.
De fait, de George Pompidou à Emmanuel Macron, tous les présidents de la République française, s’en sont tenus à la doctrine instaurée avant même « les indépendances africaines » par le Général De Gaulle et Jacques Foccart. Chacun des successeurs du Général De Gaulle a pourtant déclaré, à un moment ou à un autre, vouloir s’en défaire.
Tous auront ensuite recours tour à tour aux « coups tordus » d’agents secrets, aux interventions militaires, et à la corruption à grande échelle, en Afrique comme en France, comme « l’affaire Elf » l’a révélé.
C’est que la Françafrique a de profondes racines : elle vient de la « vision stratégique gaullienne » de procéder à la décolonisation, sans pour autant que rien ne change quant à l’essentiel, en « accordant l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d'intransigeance » selon le mot de Premier ministre sous George Pompidou, ancien Haut-commissaire français au Cameroun, Pierre Messmer.
Ceci non seulement pour assurer le contrôle des « matières premières stratégiques » que sont pour la France le pétrole et l’uranium mais aussi pour assurer sa « puissance », son « rayonnement » dans le monde, sa « grandeur » et renforcer son influence au sein des instances de l’ONU.
Or cette « vision gaullienne » de la France qui, aura permis au pays de devenir une puissance pétrolière et nucléaire en même temps qu’un acteur majeur de la communauté internationale, est partagée par toute la classe politique française, droite et gauche confondue et participe de « l’identité nationale » au moins pour les élites françaises.
François Mitterrand, ministre de la France d’Outre-Mer en 1948 déjà, acteur majeur de la France coloniale, était déjà arrivé à cette même vision. « Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire de France au XXIe siècle », écrivait-il déjà en 1957, dans Présence française et abandon. « Dans le pré carré, je distingue en premier notre langue, notre industrie et notre sécurité qui sont autant de fronts où garder nos défenses sans les quitter des yeux. Que l’une cède et la citadelle tombera », précisera-t-il plus tard.[2].
Ainsi, les héritiers du Général De Gaulle sont d’accord avec ceux de François Mitterrand sur ce fait : le contrôle de l’Afrique est indispensable à la prospérité et au « rayonnement » de la France, aujourd’hui comme hier.
C’est pourquoi cette « nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies » que François Xavier Verschave a appelé la Françafrique opère encore et continue d’assurer le maintien du contrôle des pays africains par la France.
On pourrait penser qu’Emmanuel Macron qui n’est l’héritier ni de De Gaulle ni de François Mitterrand et n’est tenu par aucune allégeance idéologique pourrait opérer la rupture avec la Françafrique. Ne doutons pas que dans ce cas, ce héraut assumé du néolibéralisme, procéderait ainsi pour faciliter la « marchandisation » plus poussée de l’Afrique, c’est-à-dire son exploitation plus accrue par le capitalisme international.
Dès lors, le système qui tel « un genou posé sur le cou de l’Afrique », l’asphyxie méthodiquement, qu’on l’appelle françafrique ou par un autre terme, restera en vigueur.
C’est pourquoi la participation d’intellectuels africains aux côtés du président de la République française et à son invitation au prochain sommet Afrique–France participe d’une manœuvre pour travestir et « mondialiser » la vieille méthode gaullienne de domination et de contrôle de l’Afrique.
[1] Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, Felwine Sarr et Benedicte Savoy, page 17.
[2] Réflexions sur la politique extérieure de la France (1981-1985), Paris, Fayard, 1986, p. 14