«NOTRE SERIE EST UNE SORTE DE DECLARATION D’AMOUR AUX CULTURES URBAINES»
Palabres avec … Fatou Kandé Senghor, artiste
Femme de son temps, Fatou Kandé Senghor a choisi d’user de sa caméra et de sa plume pour livrer des messages porteurs et conscients. Elle s’intéresse beaucoup aux cultures urbaines. Après avoir écrit un livre consacré à cette expression artistique, cette professionnelle de l’image a réussi à se mouvoir sur différents supports comme la photographie, la vidéo et le cinéma. Entretien avec une grande figure de la culture sénégalaise aux idées avant- gardistes.
Après un livre titré Walabok sur les cultures urbaines, vous avez conservé le même titre pour la série. Qu’est – ce qui explique ce choix ?
Je voulais que Walabok fonctionne comme un concept de label. Que le titre du livre soit le titre du film, de l’expo photo et de la base de données Hip Hop que j’ai soigneusement récoltée. De même que l’installation et le cycle de conférences.
On note la présence de rappeurs comme Fou Malade et d’autres figures du mouvement au niveau de l’écriture du scénario de la série…
Un scénario n’est jamais fermé. Il faut inviter les gens autour de vous qui viennent avec des idées pour enrichir le concept. J’ai invité de véritables artistes à contribuer à la matière première du film car l’écriture est la base de toute création. Ce, contrairement à ce que certains croient. Il n’y a pas de recette miracle quand on veut un produit de qualité. Mon team à moi est le meilleur et il y a toute une anthologie pour le prouver. Ils ont tous été généreux et solidaires car ils savaient que le hip hop en avait besoin.
Même dans la trame de la série, on note aussi la présence d’autres grandes figures comme Mona, Ada Anibal, Daara j, Nit Dof, Killah, One Lyrical, Dj G- Base, Xuman, Duggy Tee et tant d’autres…
Je tenais à ce que la série propose un casting de choix pour relever le niveau et donner la réplique à des acteurs savoureux. Je tenais à rendre hommage à plusieurs générations d’adeptes du hip hop. Notre série est une sorte de déclaration d’amour aux cultures urbaines. Et en même temps, une chronique radio des quartiers populaires. C’est pour cela que tout le monde se retrouve là-dedans.
Outre le choix des rappeurs, on remarque que les acteurs de la série ne sont pas de grandes figures dont des débutants ?
Les acteurs sont de toutes catégories. L’histoire leur plait, alors ils apportent un soin et une touche particulière à leur jeu. C’est une vieille recette qui paye toujours. Avec de la passion, on sait tout faire. Attendez de voir la tournure de l’histoire de notre saison 2 et les nouvelles pointures qui seront invitées.
Comment avez-vous choisi l’actrice principale ?
Le jeune cinéaste Al Hadji Demba Dia est un collaborateur de valeur dans le projet walabok. Il vit à Keur Massar, un quartier populaire intéressant et vibrant. Il tenait à débusquer la jeune rappeuse qui aurait aussi des talents d’actrice. Alors, il a quadrillé son quartier pour la trouver. Dans le hip hop, la notion de représentation d’un espace géographique est très importante.
Les femmes occupent une place prépondérante dans la série et pourtant le mouvement ne leur accorde pas souvent une place de choix. Est-ce votre fibre féminine qui a conduit à cette vision ?
Je suis une femme Africaine. Je ne peux écrire qu’avec ce vécu. Et dans notre quotidien, les femmes occupent une place prépondérante. Ça, c’est dans la vraie vie. Je n’ai pas eu à faire beaucoup d’efforts. Dans le hip hop, il n’y a pas beaucoup de femmes parce qu’elles ne sont pas très exposées à cette forme artistique. La misogynie de la culture sénégalaise est la même dans le hip hop. Ce sont les mêmes filles et fils de Sénégalais qui se retrouvent sous la bannière des cultures urbaines. Les femmes ont une tonne de choses à dire depuis toujours. Je pense que dans les temps modernes, les cultures urbaines sont un moyen d’expression parfait pour elles.
Comment appréciez-vous la prolifération des séries au Sénégal ?
Il faut de tout pour faire un monde. C’est dans la quantité que va émerger la qualité. Il faut que les Sénégalais soutiennent les séries made in Sénégal comme la sous-région le fait. Les séries sont de meilleure qualité technique. Les décors et le costume ont fait un énorme progrès. C’est tout cela qui fait le made in Sénégal. On est dans le monde de l’imaginaire. Toutes les thématiques sont permises. Il n’y a pas de raison pour que les Sénégalais se plaignent de ce qui existe en ce moment et pensent que nos productions doivent représenter à la lettre ce qu’ils appellent « nos valeurs ». Cette schizophrénie doit cesser. Après tout, le pays va vibrer dans des festivals parce que tel ou tel réalisateur a eu un film dans un grand festival international. Ce, à commencer par l’Etat lui-même.
En lieu et place des canaux habituels que sont les chaînes de télé de la place, vous avez choisi Internet et wido…
Le grand public sénégalais a l’habitude de la gratuité, il fallait créer la rupture. Wido est la plateforme d’Orange Sénégal payante et mon coproducteur principal est Orange studio France. L’intérêt d’un coproducteur, c’est de recouvrer ses fonds. Alors, il faut faire du chiffre. Nos productions ne peuvent pas vivre de subventions uniquement. Après Wido, la série sera distribuée sur toutes sortes de canaux jusqu’à nos télés locales un jour. En attendant, un épisode est visionné à à100 F Cfa. Ce n’est pas un bras, c’est changer d’attitude envers la création qui est importante.
Comment jugez-vous l’évolution du cinéma sénégalais ?
C’est l’étape du moment qui m’intéresse. 2021 et à venir, je sais que ça a été une année particulière. La condition sanitaire du monde est alarmante et nos productions ont souffert. Ma jauge à moi, c’est le Fespaco, notre festival de cinéma du continent. Cette année, le Burkina Faso, pays organisateur, a fait du Sénégal son invité d’honneur. C’est à cet événement là que nous devons étaler notre moisson. Le savoir-faire qui grandit en fiction, long et court métrage, documentaire et série pourra s’étaler et prouver l’évolution de notre cinéma et audiovisuel. Je ne parle pas de compétition. Je parle de proposition artistique pour un pays qui se targue d’avoir eu deux maitres comme Ousmane Sembene et Djibril Diop Mambetty. A cet effet, pour cet événement prévu en octobre de cette année, nous espérons faire preuve d’organisation et d’excellence avec un concept et un vrai programme et une délégation solide et représentative de tous les corps de métier de notre discipline. Bien-sûr, il ne faut pas oublier d’emmener avec nous les acteurs des autres disciplines artistiques. Mais tout cela se réfléchit et s’organise. C’est mon message personnel au Chef de l’Etat en tout cas.
À l’origine le milieu était accaparé par les hommes, Safi Faye mise à part. Actuellement, beaucoup de femmes ont investi le créneau et sont devenues des réalisatrices confirmées…
Le cinéma, la production télé visuelle sont assez récents. Finalement, en y repensant bien, l’ère numérique a fait souffler la démocratisation du secteur. C’est normal que nous soyons à une époque où il y a plus d’engouement chez les hommes comme chez les femmes pour le métier. La nouvelle génération vit les questions de genre différemment de l’époque. C’est tous les produits qui devront être de qualité que l’on soit homme ou femme. Je reste cependant une grande défenseuse de la discrimination positive car les histoires racontées par les femmes ont quelque chose que les mentalités sur le continent ont besoin.
Photographe, vidéaste, réalisatrice et écrivaine. Qu’est –ce qui fait courir Fatou Kande Senghor ?
Je suis une artiste, une citoyenne, une maman, un être plein de passion et motivée par le collectif, la transmission et la création en masse. Je ne suis pas une compétitive, une accapareuse ou je ne sais quoi que les gens s’autoproclament dès qu’ils sont reconnus dans un milieu et j’aime les compétences réelles. Vous voulez défendre, parler, représenter, protéger, organiser, vous avez intérêt à apprendre le métier. La théorie, la pratique et la réflexion pour faire une différence constructive et utile. Nous vivons dans un pays où l’amateurisme peut être plébiscité, l’ignorance validée, la méchanceté cautionnée. Moi, je fais attention de sorte que ni ma création ni ma personne ne soient prises au piège dans ces prismes-là.
Pouvez-vous nous expliquer cet attrait manifeste pour les cultures urbaines. Seriez-vous une rappeuse ratée ?
Oui ! J’aurai pu être une super rappeuse et je le regrette tous les jours. J’ai 50 ans. Ce que le rap était au début, je ne vois pas de famille qui était assez ouverte d’esprit pour vous laisser oser le faire en public. Je reste sur ma faim, car ma chance est passée. Cependant, les jeunes sœurs au Sénégal ne tiennent pas la route au-delà des 40 ans. Elles sont prises dans l’étau des fantasmes de la communauté, du clan, de la religion, du patriarcat. Personne n’envisage d’exister pleinement dans son art avec un mari, un bébé et une belle famille fière de ce que vous faites. La pression est trop forte et elles ne sont pas assez solides pour y résister.
Quelle surprise nous réserve encore Fatou ?
Le Hip Hop et les cultures urbaines ne devraient pas être un fourre-tout pour cas sociaux et jeunes révoltés. C’est une communauté de guerriers des temps modernes, intelligente, vive, sincère et visionnaire acquise à la cause du vivre ensemble. C’est cet état d’esprit qui a permis à Fatou Kandé Senghor à devenir une artiste pluridisciplinaire en mission. Alors, les surprises, elles arrivent et toujours dans mon univers naturel Hip Hop.
Magatte Diop envisage de réunir la grande famille du cinéma au sein d’une même entité après le décès de Cheikh Ngaido Ba. Que vous inspire cette démarche ?
No comment !