RDC, IL S'APPELAIT KÄ MANA
Théoricien de la reconstruction, le philosophe congolais a été emporté le 19 juillet par le Covid-19. Retour sur une pensée consacrée aux crises traversées par le continent
Godefroid Kangudie vient de nous quitter. Plus connu sous son nom de plume, Kä Mana, le philosophe, théologien et analyste politique congolais vivait dans l’est de la République démocratique du Congo, où sévissent plusieurs groupes armés. De Goma, il bravait les miliciens autant que le pouvoir de Kinshasa, armé uniquement de son impétueuse plume.
Habiter les incertitudes
Il avait courageusement choisi de s’installer dans cette région dangereuse pour habiter les incertitudes africaines, qu’il ne cessait de penser dans ses œuvres philosophiques et théologiques.
Dans cet environnement violent, même le volcan Nyiragongo ne voulut pas être en reste. Il se mit à menacer et gronder, pour finalement cracher du feu le 22 mai 2021. M’inquiétant pour la vie de Kä Mana, je lui écrivis. Je reçus dès le lendemain, 26 mai, une réponse dont la sérénité donnait la mesure de son courage : « Je suis à Goma et je me porte bien. La colère du volcan se calme, mais la terre tremble de temps en temps. »
Ce ne sont ni les canons, ni le volcan qui nous l’ont finalement arraché, mais le Covid-19, qui a fait voler en éclats les frontières entre la vie et la mort, le visible et l’invisible, le virtuel et le réel, le bruit de la rue et la vie intérieure.
Cet être invisible a surtout rétréci l’entendement de l’essentiel à l’air qu’on respire. Le virus nous a pris Kä Mana ce jeudi 19 juillet. Et la question que le philosophe-théologien se posait sur l’Afrique, dans une de ses œuvres, de résonner en nous : « Kä Mana va-t-il mourir ? »
Profondément africain
Kä Mana a médité les apports et les échecs de courants de pensée qui ont précédé ses propres pratiques discursives de la reconstruction. Il a construit sa pensée à partir des deux piliers que sont les cultures africaines et l’idée de la libération.
Il a de même envisagé un discours sur Dieu ayant un impact sur la vie sociopolitique de l’Africain et qui se laisse informer et éclairer par la raison. Lui, profondément africain, ne manquait pas de stigmatiser « l’image de Dieu dans les religions africaines […] susceptible de dériver vers un imaginaire des conflits et une métaphysique des guerres ».
Bien que pasteur luthérien, il ne manquait pas non plus de souligner les dangers des religions d’origine étrangère dans la vie des Africains. Ainsi mettait-il en garde contre « les dérives guerrières du christianisme et de l’islam ».