TOUT S'EFFONDRE, L'HOMMAGE À L'AFRIQUE ANTECOLONIALE À L'HEURE DE SA DÉSAGRÉGATION
Le Nigérian Chinua Achebe raconte la destinée d’un héros tragique dont le monde disparaît avec l’arrivée des colons
À la fin du XIXe siècle, dans un village du Nigeria, Okonkwo est un notable et un chef de famille respecté par ses pairs pour son courage et la solidité de ses convictions. Il doit pourtant tout abandonner du jour au lendemain en raison d’un accident mortel dont il est tenu pour responsable. De retour de sept années de bannissement, il trouve sa communauté profondément transformée. Des hommes blancs se sont installés dans le pays et leur influence s’étend, modifiant tous les aspects de la vie quotidienne, les croyances religieuses et l’éducation des enfants. Héros tragique, Okonkwo va se confronter à ce nouveau monde et lutter contre la disparition de l’ancien.
Telle est l’histoire contée dans Things Fall Apart, ou Tout s’effondre* (éd. Actes Sud), par l’écrivain nigérian Chinua Achebe (1930-2013). Paru en anglais en 1958, ce roman a connu depuis lors une extraordinaire carrière de « long-seller », avec une cinquantaine de traductions aux quatre coins du monde et plus de 10 millions d’exemplaires vendus. Quant à son auteur, paradoxalement méconnu en France en dehors des milieux avertis, il possède une aura d’une tout autre envergure au sein du monde anglo-saxon. « Si vous demandez à des gens, au hasard dans la rue, le nom d’un écrivain africain, il y a de grandes chances qu’ils vous citent Achebe », résumait en 2013 son ami l’écrivain congolais Emmanuel Dongala dans la revue américaine Warscapes.
« Un trou sur l’étagère »
S’il ne peut évidemment anticiper son succès lorsqu’il rédige Tout s’effondre, Achebe sait en revanche parfaitement quelles raisons le poussent à écrire un tel récit. Venu au monde en 1930 à Ogidi, dans le sud du Nigeria, il est prénommé Chinualumogu, « Dieu lutte pour toi » en langue Igbo. Albert, prénom chrétien placé devant le nigérian, indique qu’il est « protégé par la Couronne » – en d’autres termes soumis au régime colonial britannique.
Parmi les livres anglais émaillant la scolarité du jeune homme, rares sont ceux qui évoquent son continent, si ce n’est pour mettre en scène une Afrique de clichés, primitive et sans culture. L’écriture procédera pour Achebe de la révolte. « Je savais qu’il fallait faire quelque chose, expliquera-t-il, que je définisse ma place dans le monde en rédigeant une histoire à propos de mes origines et de mon peuple. C’était comme s’il y avait un trou sur l’étagère des livres, comme si on en avait enlevé certains. »