ET SI 2022 ÉTAIT LA PLUS DOUCE DES ANNÉES
EXCLUSIF SENEPLUS - La vidéo des gamins de l’école Afia de Kolda apprenant par terre fait désordre à l’heure du TER. 4,6 milliards dérobés au Trésor et il nous faut juste comprendre que ce sont les risques du métier. On croit rêver !
Sans rien y laisser paraitre, la société sénégalaise est indéniablement une société de connivences et de privilèges. Il y a une ligne de démarcation bien nette entre les uns et les autres. Les uns représentent une caste de bien-pensants et de nantis, et les autres le peuple, plus communément : le Sénégal d’en bas. L’entrée de nouveaux venus dans la caste du haut est toujours triomphante. Djibril et Fatoumata n’ont pas dérogé à la règle. Ils se délectent dans la collusion des privilèges comme ceux qu’ils y ont trouvés, ils s’y ont fait de nouveaux amis, tancent vertement ceux qu’ils ont laissés à l’orée des délices et les traitent de jaloux, d‘envieux. Ils sont dans le Sénégal d’en haut. Demain, quand ils auront maitrisé les règles de la courtisanerie, ils intègreront le clan des fortunes immobilières, poussés qu’ils seront par leurs nouveaux mentors. Telle serait la récompense de la fourberie, de la félonie. Le modèle régalien de la réussite ne serait plus l’éducation (au sens anglo-saxon du terme) mais l’adhésion à un parti politique, surtout celui au pouvoir. Senghor, dont on célèbre les vingt ans de la disparition, doit se retourner dans sa tombe.
L’ascension sociale, par les partis politiques, est si fulgurante, que l’on se bouscule pour emprunter le raccourci de « l’ascenseur politique » à la place des « escaliers éducation ». Chacun veut, à n’importe quel prix, atteindre au plus vite les cimes enivrantes de la réussite sociale. Comme le décrivait Günter Anders*, le système a triomphé depuis longtemps, sous nos cieux, en instaurant la peur de ne pouvoir accéder aux conditions matérielles nécessaires au bonheur. Ceux qui sont dans le cercle n’osent rien entreprendre de peur de perdre leurs privilèges. Cela tombe bien car la plupart d’entre eux n’ont jamais rien entrepris. Ils n’ont d’avis que celui de leur chef. Il demeure l’unique référence. Quelles que furent les stations auxquelles le président les affecta, ils continuaient de souffrir de la peine des gens médiocres, belliqueux, susceptibles arborant des langages orduriers à la bouche dès qu’on pointait du doigt leurs limites. Et là était bien le problème et les philippiques de plus en plus fréquentes du président à leur endroit montraient bien la justesse de ce que pensait le peuple : le président est mal entouré. Telle était aussi la rengaine brandie par les premiers cercles qui s’érigeaient en boucliers du président, oubliant que la responsabilité de bien s’entourer lui incombait en premier chef. Nul autre que lui n’était responsable du choix de ses collaborateurs.
Naguère les dames (surtout les moins belles) tenaient toujours des singes en laisse lors de leurs promenades, pour paraitre plus belles car l’esprit humain est toujours tourné vers la comparaison. Le président souffrirait-il du syndrome de la « compagnie du singe » ? Qui dans son entourage a pris cette photo avec le renégat Djibril dans son bureau présidentiel ? Qui l’a publié ? On a du mal à y croire. J’ai dû me frotter les yeux et cru a un montage jusqu’ à ce que, tout le monde convienne que c’est bien ce qui s’est passé. Où sont passés ceux qui veulent apaiser les violences qui traversent le pays ? Y a t-il pire violence que cette photo ? Y a t-il pire violence que les propos de ceux qui travestissent le soir ce qu’ils avaient affirmé le matin ? Nos médias ne dénoncent pas ces pratiques. Or ne pas dénoncer, c’est approuver, c’est baisser la tête, c’est choisir le déshonneur. Dès lors, comment ne comprendrait-on pas que certains opposants, dont Sonko, Thierno Alassane et quelques autres, refusent de signer la charte de non violence que leur proposent Jammi Rewmi et le cadre unitaire de l’islam ? Y aurait-il un degré ou une différence dans les violences ? A ne considérer comme violences que celles liées aux élections, on accepterait les trahisons, les voltes faces, et autres partis pris qui pourtant, telle une gangue, portent en eux les germes des pires violences dans le pays.
Les évènements de mars 2021 attestent de cette négligence. Rien n’est pire que le sentiment d’injustice. Quand on a l’impression qu’il y a un Sénégal d’en haut et un Sénégal d’en bas, et quand surtout on pense que ceux d’en haut ne valent pas mieux que soi, alors les ressentiments s’accumulent et les sédiments de frustrations seront les catalyseurs de la violence de demain. C’est ce sentiment d’injustice qui flotte dans le pays. Chacun veut passer de l’ombre à la lumière et le seul moyen pour y parvenir demeure d’investir le champ politique. Les détournements de biens publics de ces derniers jours par des agents de l’État, pour graves qu’ils soient, ne suscitent guère l’hystérie collective, qu’on serait en droit d’attendre, dans de pareilles circonstances, au sein de la majorité. La déclaration du directeur général de la comptabilité publique à ce propos est juste hallucinante : 4,6 milliards dérobés par ses agents, il nous faut juste comprendre qu’il y a des dysfonctionnements dans l’administration, que ce sont des risques du métier, mais que l’institution reste solide, debout et gagnante. Voila ce qu’il nous sert sur le casse du siècle. On croit rêver. Voila comment un scandale sans précédent est tourné en un banal fait divers. Circulez, il n’y a rien à voir. En attendant de situer les responsabilités et de prendre les sanctions, le directeur devrait démissionner de son poste. C’est comme cela que devrait fonctionner un État de droit, c’est comme cela qu’on délivre un signal fort, qui rassure les citoyens d’une part, et prévient que de pareils faits ne se reproduisent plus d’autre part. Combien de scandales récents, la Poste, la Lonase, le Trésor, les passeports diplomatiques et j’en passe, aurait–on évité si, par exemple, on avait sévit au Coud ? L’exemple de la sanction a des vertus.
Le TER, belle ouvrage. Des discours éloquents, dithyrambiques pour saluer cette merveille posée sur un Sénégal antique, parcouru la plupart du temps par des guimbardes cahoteuses, des vélomoteurs bruyants et de charrettes tirées à hue et à dia. Il faut remercier la France. Sans elle on ne serait rien, le président l’a dit lui même. Aussitôt élu en 2012, il s’y était rendu et la France, malgré sa période de transition pourtant prompte au statut quo – Hollande ayant battu Sarkozy –, nous avait assisté avec des espèces sonnantes. [Wade avait « cramé » la caisse comme dirait Pécresse]. Les Tirailleurs sénégalais ne bénéficiaient-ils pas d’un régime spécial ? La douceur du dessert, en ces temps de guerre leur était réservée. Alors pourquoi pinailler qu’on leur achète, certes cher, des trains pour sauver Alstom ? Serait-on devenu des ingrats ? La France a besoin d’exister pour qu’on existe. Une sorte d’ubuntu lie nos nations.
À défaut de parler éloquemment, Mme Diatta aurait parlé à propos. Sa vidéo sur les gamins de l’école Afia de Kolda qui apprennent par terre est devenue virale. À l’heure des manifestations joyeuses du TER, cela fait désordre.
Tenez l’année 2021 se termine, mon voeux le plus cher ? Que le président, dans son allocution du 31 décembre, réponde à une demande forte des Sénégalais : la transparence. Oui la transparence dans ses intentions. Imaginez qu’il nous dise simplement qu’il ne sera pas candidat en 2024. Il sera surpris de la ferveur des youyous et du vacarme des feux d’artifice. L’année 2022 sera alors la plus douce des années.
Bonne année.
Dr Tidiane Sow est coach en Communication Politique
Gunter Anders : L’obsolescence de l’homme