JE COMBATS L'ASSIGNATION IDENTITAIRE
Avec « Marianne face aux faussaires », l’écrivaine Fatou Diome dénonce à la fois le racisme et les formes radicales d’antiracisme dans une langue acérée
En 2017, en pleine période électorale, Fatou Diome publiait Marianne porte plainte !, un poème en prose qui interrogeait le concept d’identité nationale, son omniprésence dans le débat politique et les excès de ses défenseurs. Cinq ans plus tard, dans un contexte similaire, l’écrivaine franco-sénégalaise de 54 ans revient avec Marianne face aux faussaires, un essai incisif et inquiet sur la défense des valeurs républicaines, dans une France prise en tenailles entre identitaires xénophobes brandissant la menace du « grand remplacement » et militants antiracistes prisonniers d’un passé colonial qui dévoient la lutte qu’ils prétendent mener. Une France qui doit supporter leurs discours amers, tristes et déclinistes.
Dans une langue acérée, l’autrice, entre autres, du Ventre de l’Atlantique et de Celles qui attendent, qui dit écrire pour réparer son chaos intérieur, s’interdit de regarder sans broncher les loups dépecer la Constitution et la transformer. Forte de sa double identité, elle tente de dessiner une autre France, la vraie, qui véhicule des valeurs humanistes et lui donne envie de se sentir pleinement française et sénégalaise.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui justifie ce nouveau rendez-vous avec Marianne ? Votre coup de gueule de 2017 contre la cristallisation du débat autour de l’identité, l’islamophobie et l’instrumentalisation de la laïcité a-t-il échoué à apaiser le climat politique ?
Fatou Diome : Il y a cinq ans, l’extrême droite, déjà fort inquiétante, n’avait encore qu’une branche. Aujourd’hui, elle s’est ramifiée, et sa progression dans les urnes apparaît absolument effrayante. Marine Le Pen s’est « normalisée » aux yeux de nombreux Français alors même que ses thèses n’ont pas changé. Je pensais naïvement que la période agitée qui avait motivé la rédaction de Marianne porte plainte ! disparaîtrait. La situation s’est plutôt envenimée, un discours violent et identitaire décomplexé a envahi l’espace médiatique. Je veux marquer ma désapprobation. Comme disait mon grand-père, l’inertie hâte le naufrage, même à terre. Alors, je fais ce que je peux pour tirer la sonnette d’alarme.
Vous dressez le portrait des faussaires qui, selon vous, menacent la cohésion de la République. Qui sont-ils ?
Ils appartiennent à deux camps opposés, mais s’entretiennent et s’alimentent mutuellement. D’un côté, les loups de l’extrême droite qui hurlent fort leur détestation de l’altérité. Ils désignent sans vergogne des boucs émissaires – forcément Noirs ou Arabes – qu’ils tiennent pour responsables de tous les maux, et n’aspirent qu’à les voir chassés hors du territoire. Face à ces loups, les faux bergers. Piètres activistes, ils détournent le militantisme des causes honorables qu’il défend pour l’installer dans l’invective, la haine et l’agressivité, lesquelles sont dirigées non seulement contre les loups, mais aussi contre toutes les personnes qui ne partagent pas leurs points de vue ou leurs méthodes – et qu’ils considèrent comme des traîtres à la cause noire. Ces faux bergers s’accommodent tellement de l’idée d’être des victimes désignées qu’ils ne peuvent plus se départir de leur posture victimaire.
Comment l’obsession identitaire s’est-elle progressivement installée en France ?
Depuis mon arrivée en France, en 1994, le champ sémantique du discours politique n’a cessé d’évoluer. On est passé de la « fracture sociale » de Jacques Chirac, lors de la campagne présidentielle de 1995, à « l’identité nationale » de Nicolas Sarkozy, en 2007 et en 2017, puis au « grand remplacement » en 2022. Au fil des ans, à cause du terrorisme, on a stigmatisé tous les musulmans et évoqué la déchéance de nationalité. Et, parce que quelques Africains ne parvenaient pas à s’intégrer – souvent faute d’emploi ou de logement –, on a dénié aux autres leur nationalité française. Comment voulez-vous que celui à qui on répète à longueur de temps qu’il est un étranger développe un réel sentiment d’appartenance à la nation ?