«LE FUTUR DU CINEMA AFRICAIN ET CELUI DU FESPACO EST MON COMBAT»
Alex Moussa Sawadogo, délégué général du Fespaco, évoque la place du continent dans le cinéma
Le Délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou a pris part à un panel sur les industries culturelles, organisé par l’Unesco. Dans cet entretien, il évoque la place du continent dans le cinéma.
L’un comme l’autre, vous assumez le rôle de «Délégué général» d’un festival international de cinéma. Serait-ce déplacé de vous présenter comme le Thierry Frémaux (homme-orchestre du Festival de Cannes) africain?
Respectons donc les échelles (rire)… Lui est le directeur artistique d’une manifestation se voulant d’envergure planétaire, le Festival de Cannes. Pour ma part, j’ai plus modestement, disons, en charge depuis 2020, le Festival panafricain du cinéma et de l’audiovisuel (Fespaco) de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Cela dit, je m’emploie de mon mieux à ajouter une pierre à l’édifice que j’ai reçu en héritage de mes prédécesseurs et de ses fondateurs, s’agissant d’un des plus importants festivals de cinéma africain : il a vu le jour en 1969 et prépare désormais sa 28e édition (prévue en 2023). C’est dire que j’ai une pleine conscience de l’importante responsabilité m’incombant. Il s’agit pour le Fespaco, de contribuer à favoriser le développement du cinéma africain des générations à venir. C’est ce qui sous-tend les différentes innovations déployées lors de la précédente édition en 2021, ma première : un «Fespaco pro» pour l’accompagnement des films en post-production, des ateliers Yennenga destinés à l’immersion des aspirants aux métiers du cinéma, une «Yennenga académie» pour les jeunes, y compris ceux non formés par une école de cinéma, et aussi des Masterclass. Mais encore, un «Fespaco perspectives» dédié aux premiers et seconds films, ainsi qu’un «Fespaco classics» avec des films africains historiques fraîchement restaurés. Car le passé est garant du futur. Il n’y a pas d’ailes sans racines, on le sait tous.
De Ousmane Sembène (1923-2007) ou encore Idrissa Ouédraogo (1954-2018) à Mati Diop, première femme africaine Grand prix du jury de Cannes en 2019, comment résumeriez-vous l’évolution du cinéma d’auteur africain ?
La génération Sembène, que j’ai côtoyée, a été portée par un grand enthousiasme pour ce qu’elle offrait d’innovant et de puissant en son temps. Puis, cet enthousiasme s’est, disons, émoussé. Idrissa Ouédraogo dont j’ai été proche, vainqueur ici à Cannes du Grand prix du jury en 1990 pour Tilaï, a été un phare et reste, selon moi, un modèle à suivre. S’il nous a, hélas, quittés à l’âge de 64 ans en 2018, ce qu’il a réussi à poser en fait d’écriture cinématographique demeure dans les esprits et les cœurs. Cela constitue, selon moi, un legs qui doit être transmis aux générations futures. C’est tout le sens que prend la multiplication des résidences pour cinéastes et des laboratoires ou ateliers d’écriture, tel le Ouaga film lab, s’implantant ici et là en Afrique (ndlr, même si selon ses propos, Idrissa Ouédraogo se défiait des script doctors…). Ce réseau permet d’améliorer la qualité et la force des scripts, et donc des films. Mati Diop, en personne, en est une illustration vivante, à travers son superbe film Atlantique, présenté ici à Cannes juste avant la pandémie en Europe. A l’instar de nombreux autres auteurs africains, je tiens à le signaler, elle a investi énormément d’énergie, de temps et d’argent à peaufiner l’écriture de cette œuvre en amont de la production. C’est le genre de démarche qui me procure un bel optimisme pour le futur du cinéma africain. La nouvelle génération, celle de Mati si vous préférez, a pleinement conscience de sa responsabilité. Elle sait qu’elle doit obtenir et/ou se donner les moyens d’écrire de belles histoires qui nous ressemblent à nous Africains tout en étant, j’insiste, universelles. Car, certes oui, l’Afrique est en soi universelle. Mais encore faut-il pouvoir et savoir conter des histoires qui peuvent aussi toucher et émouvoir, dans le meilleur sens du terme, ceux qui n’ont pas le bonheur de respirer sur notre continent.
Comment percevez-vous l’absence, en 2022, de toute création purement africaine, en termes de production et ou réalisation dans la sélection officielle du présent Festival de Cannes ?
Revendiquer à toute force la présence d’un film africain, ou sub-saharien, dans chaque festival international comme à Cannes, me paraît infondé. D’abord, par nature, la créativité fluctue. Se suivent des années fastes, fertiles et d’autres, plus creuses. Ensuite, ici à Cannes, la compétition pour la Palme d’or comprend 21 films, alors que l’on compte 250 pays et plus dans le monde. Et, nous n’avons pas été conviés, ni vous ni moi, au visionnage des milliers de films qu’ils ont reçus, venant de tous les horizons. Je l’assume moi-même, en tant que directeur artistique d’un festival comme le Fespaco : je pense qu’on ne verra jamais à Ouagadougou 54 films issus de chacun des 54 pays de notre continent. Un festival de cinéma n’est pas un concours de la chanson où chaque Etat aurait droit à son candidat. Son intérêt repose sur des choix qu’il s’agit d’assumer. Selon moi, plutôt que de prétendre à une participation à tout prix à tous les festivals, nous devrions raisonner autrement. Et agir surtout en renforçant les dispositifs de toutes natures, publics comme privés, passant par diverses formes de soutien des centres nationaux du cinéma et autres directions culturelles, les coproductions sud-sud, etc., qui sont de nature à offrir toujours plus d’opportunités à nos créateurs. A ce prix, des créations authentiquement africaines, à dimension universelle, encore une fois, figureront sans débats dans la sélection la plus élevée des festivals internationaux de la planète. Sinon, on peut quand même s’estimer contents que nos productions soient régulièrement à l’honneur dans des sélections dites parallèles, telles la Semaine de la critique ou Un certain regard.
Justement, cette présente édition de Cannes a vu la projection, en ouverture d’Un certain regard, de Tirailleurs, une coproduction franco-sénégalaise, réalisée par le Français Vadepied, impliquant Omar Sy comme star et producteur. Né en France, à Trappes, Omar Sy revient pour la seconde fois, après Yao (2017), vers ses racines peules. Sa démarche est motivante pour le jeune cinéma africain ?
Je ne le formulerais pas exactement comme cela. J’ai vu Tirailleurs et je salue avec respect Omar Sy. Je considère ce qu’il fait comme un geste positif dans ce qu’il est un appel à toute la diaspora africaine à se mettre au travail pour contribuer au développement de notre industrie du cinéma. Nombreux sont ces Afro-Européens, ou membres de la diaspora en général dans le monde, qui disposent de la capacité à nous aider comme le fait Omar Sy. Puissent-ils se dire, à son instar, qu’il est temps d’utiliser leur notoriété et/ou leurs moyens dans ce but. Personnellement, j’ai franchi le pas en répondant à l’appel de mon pays, le Burkina, et de l’Afrique, quand il s’est agi de prendre part au fonctionnement du Fespaco à Ouagadougou, en 2020. J’ai ainsi quitté l’Allemagne où je collaborais, entre autres, à la Berlinale ou encore au Festival international de Hambourg, ainsi qu’au Festival du film africain de Berlin (Afrikamera). Ce qui ne m’a pas empêché de m’impliquer dans la création du laboratoire Ouaga film (Ouaga film lab), consacré au développement des co-productions africaines. J’estime aujourd’hui qu’il y va de notre mission première de prendre part au développement du cinéma depuis notre continent même. Voilà pourquoi je suis revenu en Afrique et souhaite la bienvenue à ceux qui souhaiteraient nous rejoindre.
A travers un partenariat avec la plateforme vidéo Tiktok, le Festival de Cannes 2022 a mis en avant Khaby Lame (1), un jeune Sénégalais de 22 ans qui réside et vit à Milan, en Italie. Ce «Charlie Chaplin» du XXIe siècle, comme le présentent les médias occidentaux, serait passé de la condition de chômeur au statut de star. Il serait suivi par 130 millions d’humains sur cette «Toile» contemporaine qu’est internet. Serait-il représentatif de ressources insoupçonnées du talent africain ?
Il n’est pas question pour moi de nier que ce jeune Khaby est un phénomène. Peut-être se peut-il que des dons comme le sien aient le pouvoir de faire bouger les lignes, sinon de changer le monde. Cependant, je le crois absolument, ces talents bruts existent partout, y compris aussi chez nous, sur le continent africain. La différence, d’après moi, est qu’un Khaby, pour ne citer que lui, a eu la chance de se procurer en Europe, un téléphone et/ou un Pc de qualité, ainsi qu’une connexion internet de haut débit lui permettant de dérouler son imagination. De combien de talents, de pépites du genre, recèlent notre continent ? Elles existent, en masse, je le crois profondément. Pour moi, en réalité, le talent en soi n’est pas une question. La seule question qui vaille, ce sont les moyens d’offrir les opportunités adéquates à tous les jeunes africains. C’est, je le répète, le combat du Fespaco et mon combat personnel aussi. L’Afrique, continent le plus jeune de cette planète, dont la moyenne d’âge est inférieure à celle d’un Khaby, représente le futur du monde. A nous de le mettre en action dans ce domaine du cinéma et de la culture qui nous est cher.
(1) Pour des raisons alléguées d’encombrement des «slots» ou créneaux d’interview disponibles, la plateforme Tiktok a fermement décliné la demande d’interview de Khaby Lame faite au nom de notre journal. Concrètement, la nouvelle star d’internet était accaparée par des activités liées à la promotion d’une marque de vêtements de luxe allemande.