ORDURES, ORDURES, ORDURES !
GRÈVE DES TRAVAILLEURS DU NETTOIEMENT
Même si la cohabitation n’est pas harmonieuse, les populations vivent avec les ordures depuis quatre jours. La grève des travailleurs du nettoiement est passée par là. Les techniciens de surface réclament de meilleures conditions de vie et de travail
Sur l’avenue Bourguiba, un camion de ramassage d’ordures chargé de déchets ménagers de toutes sortes. Sur le trottoir, le trop-plein s’éparpille et rend la circulation un peu inconfortable le long de l’allée. Les passants sont obligés de contourner l’obstacle. Ce décor rythme toute l’avenue et se poursuit jusqu’au marché Castor. Ce lieu est devenu invivable. La puanteur qui s’y dégage atteint directement le système nerveux. Le relent qui émane des légumes pourris, mêlé à l’odeur des poissons séchés, alourdit l’atmosphère et rend la respiration très difficile. Aussi, le remugle en provenance du dépotoir d’ordures érigé pour la circonstance pousse l’inconfort à l’excès. Au milieu de la rue, réduite en ruelle par les étalages anarchiques, des tas d’ordures de légumes et d’épices naturelles sont dispersés. Certains marchands font l’effort de les mettre dans des sacs pour ensuite aller les jeter dans le dépotoir circonstanciel à quelques mètres, ceinturé par des étals de légumes, des boucheries et autres installations. Brouette garée à côté et pelle à la main, Djiby Ndiaye tente de réduire l’amas d’ordures qui fait face à sa table. « Nous vivons des moments difficiles avec la grève des véhicules de ramassage d’ordures. Nous sommes obligés de cohabiter avec les déchets que nous produisons, puisque nous n’avons pas d’autres moyens pour nous en débarrasser », explique-t-il, tout en essuyant la sueur qui perle sur son front. Lui et ses collègues ont juste érigé un dépotoir pour essayer d’amoindrir les dégâts. Ce qui n’est pas une solution, d’autant plus que la décharge s’agrandit petit à petit et risque d’envahir les étals de certains marchands.
Djiby Ndiaye pense que les techniciens de surface doivent être rétablis dans leur droit. Un peu plus loin, toujours sur la grande avenue du marché Castor, Khadim tient son commerce. Il vend de l’arachide, du mil, du maïs et autres céréales. Sa table est à quelques centimètres du dépotoir d’ordures érigé pour la circonstance. Mais il ne semble pas être dérangé par la situation et poursuit son travail en toute tranquillité. « Les gens du marché n’ont d’autres solutions que de créer un dépotoir de fortune. Cela fait des jours que les camions de ramassage ne viennent pas. Et si cette grève perdure, elle risque de causer beaucoup de dégâts », soutient-il.
Dépotoirs de fortune
Une vendeuse de salades installée à côté de lui lance : « Les ramasseurs d’ordures ont raison. Ils sont dans leur droit. Il faut que les gens leur donne plus de respect, puisque le travail qu’ils abattent n’est pas du tout facile ». Elle affirme commencer à perdre ses clients.
Au marché Grand Yoff, la situation est la même. Les ordures font désormais parti du décor. Certains commerçants qui officient dans ce lieu craignent pour leur santé si la situation ne revient pas à la normale.
Cette situation d’insalubrité n’affecte pas que les marchés. Les ménagères en souffrent énormément. A Dieuppeul, Amina dépose ses déchets ménagers à la devanture de sa maison en attendant désespérément l’arrivée des camions de ramassage. « Nous ne pouvons pas vivre au milieu des ordures ; c’est impossible. Il faut que l’Etat règle ce problème au plus vite possible afin que les ramasseurs puissent reprendre le boulot », avance-t-elle.
A Sandaga, les commerçants appellent à l’aide
Sur l’avenue Lamine Guèye qui mène au rond point du marché Sandaga, certains commerçants étaient obligés de fermer boutique. Les clients les fuient. Les passants dépassaient les commerces hâtivement. L’on se bouchait les narines à l’aide d’une main, d’un pan de boubou, d’un mouchoir ou d’un cache-nez. Une image forte ! Lorsqu’un camion censé ramasser les ordures en temps normal défilait devant ce spectacle désolant, les marchands pensaient aussitôt à la fin de leur calvaire. « Venez ramasser ces ordures », suppliaient-ils. « Payez nous », répondit froidement un éboueur.
El hadji Mar Sall, un commerçant, charge : « Nous vivons trois jours de calvaire. La respiration est plus que mauvaise ». Son voisin, Bara Diouf, appelle au secours : « Ce tas d’immondices était à 30 mètres de nous, mais la nuit, les gens profitent de l’obscurité pour déverser des saletés ». Impuissants devant la situation, nos deux interlocuteurs évoquent des risques de maladies.
«Une tyrannie inqualifiable»
Pour Modou Fall, le Sénégal n’est pas encore sorti de l’ornière, parce que des fondamentaux liés à la propreté de Dakar, la capitale, ne sont pas encore réglés. Mame Touré, vendeuse de poulets déplumés, fait face aux ordures. « Nous n’avons pas le choix, parce que la dépense quotidienne est une obligation. Nous savons tous que saleté et denrées alimentaires ne vont pas ensemble », confesse la jeune fille.
Dans ces conditions, les plus vulnérables sont obligés d’aller voir ailleurs. Sur place, 3 cantines sont fermées. « C’est une catastrophe. On est au bout du rouleau. Le matin, avant d’ouvrir, il fallait dégager ces saletés. Ce n’est pas possible. Nous vivons une tyrannie inqualifiable », martèle un commerçant libano-sénégalais, un cache-nez à la bouche. « On ne doit pas négliger ces éboueurs et choyer des soi-disant cadres. Cela mène à la frustration », reconnaît avance-t-il. Marie Michelle Bora, une employée de ce commerçant, ne décolère pas : « Nous n’avons plus de clients. Notre patron était pour qu’on ne vienne pas travailler. Mais nous sommes des mères de famille. Le danger est permanent ». Quant à Mamadou Diallo, il estime qu’il urge de réagir, avec célérité, avant que l’irréparable ne se produise.
Amy Ndiaye, au moment de notre entretien, nettoyait toujours la devanture de sa boutique, aidée en cela par Thierno Barry, un commerçant d’origine guinéenne. « Nous vendions chaque matin jusqu’à 80 mille FCfa. Mais depuis cette grève, il n’y a plus de clients. Avant-hier, j’ai payé 3.000 FCfa pour qu’on me nettoie la façade du magasin », raconte-t-elle. « Aucun acheteur ne viendra acheter une marchandise de 15.000 FCfa pour contracter une maladie », philosophe Vieux Touré.
Les populations de la banlieue dakaroise souffrent le martyr
Derrière le mur de clôture du poste de santé Ousmane Bâ de la Cité Icotaf 1, une dizaine de sacs et poubelles remplis d'ordures y trônent depuis trois jours. A défaut de trouver un moyen de s'en débarrasser, c'est là que la direction de l'école Seydou Nourou Tall les a déposés en attendant qu'une solution soit trouvée. Tout autour des ordures, une foule d'élèves déambulent. Apparemment, ils ne se soucient guère de ces déchets qui, en temps normal, sont évacués au quotidien. Assis devant son bureau entassé de dossiers, Babacar Diop, directeur de l’école, expose toute sa préoccupatio. « L'impossibilité de trouver où jeter nos ordures nous porte un lourd préjudice. Néanmoins, nous avons sollicité les services d'un charretier qui a accepté de passer tous les jours pour aller les jeter » », révèle le directeur.
A Deux cents mètres de là, deux femmes en pleine discussion s'empressent de répondre à nos questions. L'une d'elle, Fama Sarr, pointe du doigt aussitôt le pied d'un arbre où sont déposés plusieurs bacs à ordures et fulmine : « Tu n’as pas vu ? Depuis quatre jours, nous peinons à jeter nos ordures ménagères. C'est difficile. Nous n'en pouvons plus », ajoute-t-elle sous les rires de son amie, Adja Diouf, pressée de jouer sa partition, comme dans un concert de lamentations. « La situation aurait été moins grave s'il y avait des charretiers privés qui passent tous les jours, comme on en voyait dans un passé récent », enchaîne-t-elle avant de désigner, à son tour, un monticule d'autres sacs d'ordures issus du balayage des alentours de la mosquée d'en face. « Tu penses que ça c'est normal ? » s'interroge-t-elle.
Cap sur le marché Zinc sis à Pikine Tally Bou Mack à bord d'un car rapide. L'air frisquet est subitement embaumé par une odeur nauséabonde qui oblige la majorité des passagers à se boucher le nez avec promptitude. Pourtant, on est à deux cents mètres du dépotoir d'ordures du marché. Ce dernier est jonché de déchets s'étalant sur une longue distance, le long du trottoir exigu. Tout autour, les commerçants continuent à vaquer tranquillement à leurs occupations comme si de rien n'était. « Nous ressentons l'odeur infecte au même titre que vous, mais nous n'avons pas le choix », réagit Cheikh Guèye, un marchand. D'un signe de la main, Abdou Lahat Fall qui suivait les échanges depuis sa table située à trente mètres, nous demande de nous approcher.
« Je ne sais pas qui de l’État ou de la mairie est responsable de ce calvaire des commerçants du marché, mais il est en train de nous causer des dommages incommensurables », se plaint-il.
« Je suis père de famille. Ma femme m'a appelé hier pour une ordonnance prescrite à mon fils que je dois payer alors que je n'ai rien à cause de ces ordures ».
Dans la banlieue, ni le marché de Thiaroye, ni celui de « Sandicat » de Pikine, encore moins les autres installations marchandes de Guédiawaye ne sont épargnés.
AMADOU BA, MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES : «Les arriérés de paiement débloqués au plus tard mardi»
L’Etat est disposé à trouver une solution rapide au problème du ramassage des ordures dont les responsables sont en grève depuis quelques jours. Mais cela doit se faire de manière transparente et légale. Le ministre de l’Economie et des Finances a promis que le reliquat de 1,5 milliard de FCfa sera versé intégralement ou partiellement au plus tard mardi.
Amadou Bâ a apporté l’assurance que les sommes nécessaires seront intégralement ou en partie versées à l’Entente Cadak-Car mardi au plus tard. « Le ministère de l’Economie et des Finances a pris toutes les dispositions et des contacts ont été engagés avec des banques. Je pense que d’ici lundi, ou au plus tard mardi, on pourrait mettre, de manière tout à fait légale et transparente, les sommes nécessaires, en totalité ou en partie, à la disposition de l’entente Cadak-Car pour que les salaires puissent être réglés », a-t-il promis, hier, en marge de la signature de convention avec l’Union européenne.
A en croire le ministre, c’est une volonté ferme du gouvernement, et le président de la République a donné toutes les instructions pour qu’une solution rapide soit trouvée au ramassage des ordures ménagères. Revenant sur la situation déplorable qui a conduit à cette crise, Amadou Bâ a indiqué que 12,5 milliards de FCfa avaient été inscrits dans le budget et ont été totalement consommés. Il y a eu ensuite une demande additionnelle de 1,5 milliard de FCfa pour compléter le paiement.
« Ces dépenses augmentent depuis quelques années, et 12,5 milliards de FCfa pour Dakar et Rufisque, c’est quand même beaucoup d’argent par rapport aux contraintes que nous avons », a regretté le ministre. Toutefois, il a assuré que le reliquat sera bien payé, mais en suivant la procédure normale, car on ne peut pas décaisser de l’argent publique sans une couverture budgétaire.
« C’est une situation très déplorable que nous regrettons. Nous allons très prochainement introduire une loi de finances rectificative, et nous allons inscrire sur le budget 1,5 milliard de FCfa pour pouvoir faire face à cette dépense », a affirmé M. Bâ. A l’en croire, « gérer les deniers publics de manière transparente doit être notre maître mot, nonobstant les difficultés conjoncturelles qui existent aujourd’hui et que nous regrettons et déplorons ».
Jusque là, la gestion des ordures ménagères était une prérogative des collectivités locales, comme cela se passe dans tous les pays. Mais, a rappelé le ministre, c’est en 2004 qu’il y a eu le transfert à l’Etat de la compétence d’intervenir dans l’enlèvement des ordures ménagères dans la région de Dakar. « Du point de vue du principe et de l’équité, on peut quand même se poser des questions sur cette loi », a affirmé le ministre, selon qui le gouvernement va rediscuter incessamment avec les collectivités locales pour le partage des ressources publiques.
Les concessionnaires exigent 1,8 milliard de FCfa d’arriérés
Selon le président du Collectif des concessionnaires sénégalais du nettoiement, Diop Sy, par ailleurs député à l'Assemblée nationale, ce mouvement d'humeur découle du fait que l'Etat sénégalais leur doit quatre mois d’arriérés de salaires qui s'élèveraient, d'ici le 25 décembre prochain, à 1,8 milliard de FCfa. « Nous avons décidé d'observer cette grève en attentant que nos arriérés de paiement soient rétablis, car là où je vous parle, nous n'avons plus de quoi payer le gasoil et remettre en marche les camions de ramassage d’ordures », soutient-il. Le coordonateur dudit Collectif, Ndongo Fall, fustige le fait que jusqu'ici, il n’y a eu aucune réaction des autorités : « Nous n'apprécions pas ce manque de considération de l'Etat face à cette situation que nous traversons. Personne n'est venue éclairer notre lanterne sur les 4 mois d'arriérés de salaires ». Sur ce, Ndongo Fall déclare qu'ils vont continuer la grève, parce qu’ils n'ont plus de gasoil et aucune banque ne leur fait confiance pour d'éventuels prêts.
MOUSSA TINE, DIRECTEUR DE CADAK-CAR : « Nous attendons l'adoption de la loi de finances rectificative… »
Les préoccupations des concessionnaires de ramassage des ordures ne laissent pas indifférent le directeur général de l'Entente de la communauté des agglomérations de Dakar et celle des agglomérations de Rufisque (Cadak-Car). Moussa Tine a précisé qu’il ne doit qu'un mois de salaire aux travailleurs, celui de novembre, évalué à 200 millions de FCfa.
« Concernant les concessionnaires, au lieu de 4 mois d'arriérés, comme ils le crient, nous leur devons une facture, un reliquat de facture et une facturation en cours qui n'est pas encore à échéance. Le tout fait un déficit de 1,5 à 1,8 milliard de FCfa », a-t-il fait savoir. A l'en croire, l'origine du problème vient du changement de tutelle qui avait en charge la gestion du ramassage d'ordures jusqu'au mois de mars, c'est-à-dire le ministère de la Décentralisation, qui a passé le flambeau à l’Etat. C’est à date qu’on a procédé à une passation de service.
« Je peux donc dire qu'il y a eu des efforts de gestion et de rationalisation pour réduire le déficit. Et c'est ce déficit que l'Etat doit nous remettre. Il s'est même déjà engagé à nous verser le crédit nécessaire de 1,5 milliard », a-t-il avancé. Toutefois, a souligné le directeur de l'Entente Cadak-Car, il faut que cela passe par une loi de finances rectificative. « Nous attendons l'adoption de cette loi pour payer les concessionnaires », a-t-il fait savoir.
DR ABDOURAHMANE NIANG, PNEUMOLOGUE : «Les ordures peuvent engendrer des maladies dermatologiques et des troubles digestifs »
Abdourahmane Niang, pneumologue à l’hôpital Principal de Dakar, a révélé que la présence des ordures peut entraîner des effets sur la santé des populations, comme les maladies dermatologiques, mais également la prolifération de certains germes qui entraînent des troubles digestifs.
La non-collecte des ordures a des conséquences sur la santé des populations. Selon Dr Abdourahmane Niang, pneumologue, par ailleurs spécialiste des maladies respiratoires à l’hôpital Principal de Dakar, il y a des effets à court, moyen et long termes. A court terme, cela peut engendrer des maladies respiratoires aiguës. Dans le moyen et long termes, dit-il, il y a d’autres effets, comme les maladies dermatologiques, mais aussi la prolifération de certains germes qui peuvent être à l’origine de problèmes digestifs. « Il y a aussi des maladies cutanées, des pneumopathies d’hypersensibilité et des maladies respiratoires d’origine allergique », ajoute Dr Niang. Le spécialiste souligne que ce sont des déchets hétérogènes qui, maintenus longtemps sans être ramassés, peuvent être source d’affections. Ce faisant, il conseille de bien trier les ordures avant la collecte, les poser dans des lieux bien fermés et les isoler des enfants. Par ailleurs, il informe qu’une recrudescence des pathologies liées à l’environnement est notée. Avec la pollution atmosphérique, avance Dr Niang, il y a une augmentation inattendue des maladies. « Les allergies respiratoires augmentent mais aussi les fibroses pulmonaires d’origine environnementale. Le milieu urbain est le plus exposé », soutient le médecin, non sans préciser que les enfants et les personnes âgées sont les plus vulnérables.
MADANY SY, SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DU NETTOIEMENT : « Nous attendons le paiement des salaires de novembre… »
Quelque 1.500 techniciens de surface de la région de Dakar observent le mouvement d’humeur et de grève déclenché, mercredi, par les concessionnaires de nettoiement. Si ces derniers, au nombre de 19 sociétés, réclament à l’Etat une enveloppe financière d’environ deux milliards de FCfa, les techniciens du nettoiement, eux, exigent le règlement des salaires du mois de novembre. Selon Madany Sy, secrétaire général du Syndicat national des travailleurs du nettoiement, le sort des techniciens de surface est lié à celui des concessionnaires. « Depuis mercredi, les concessionnaires ont garé leurs 200 véhicules de ramassage d’ordures, et nous sommes également obligés d’observer un arrêt de travail. Notre sort est lié au leur. Si l’Etat leur paye les arriérés, nous percevrons alors régulièrement nos salaires », a souligné M. Sy.
Cet arrêt du travail de la part des concessionnaires et le non paiement des arriérés se répercute donc sur la vie des techniciens de surface, remarque le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs du nettoiement. En effet, à chaque retard dans le virement de leur salaire, la régularisation de leur mutuelle de santé est perturbée. De même que le paiement de la scolarité de leurs enfants et du loyer, a-t-il noté. « C’est un manque de considération pour nous, agents du nettoiement. Et pourtant, c’est un secteur où l’on peut tomber malade à tout moment avec ces odeurs pestilentielles et autres germes… », a martelé Madany Sy. Depuis mercredi, a-t-il ajouté, plus de 6.000 tonnes d’ordures s’amoncellent dans les rues de la capitale sénégalaise. Une menace pour la santé des populations.