WINTER IS COMING
L’idée que notre pays, dans sa chute vers les abîmes, a enfanté des parlementaires fanatiques qui peuvent tuer au nom de leur croyance confrérique est terrifiante
Un chef religieux a le droit de s’engager en politique. Selon l’article 4 de la Constitution, un parti ne peut s’identifier à une religion, ethnie ou secte. Les propos de Mme Amy Ndiaye dans l’Hémicycle ne sont en rien injurieux. Au Parlement il n’y a pas de disciples mais des citoyens élus et soumis aux lois de la République. Ces rappels seraient inutiles dans un pays normal, ce que manifestement le Sénégal n’est plus.
Deux rustres fanatiques du Pur ont violemment agressé une députée de la majorité. Dans la forêt de réactions, deux choses m’interpellent. D’abord la légèreté au sein de Benno bokk yaakaar, où on n’a noté aucune prise de parole forte devant une circonstance historique qu’est l’agression d’une élue de la Nation au sein même du Parlement. Leurs prises de parole sont décevantes et montrent que ces gens n’ont ni substance républicaine ni sens de la hauteur devant l’histoire. Les propos du Garde des sceaux ont été désespérants, manquant de gravité et de solennité devant un fait qui sera consigné dans les annales de l’histoire politique sénégalaise. Ensuite, il y a le silence éloquent des leaders de Yewwi askan wi. Et au fond tout vient de leur empressement à grossir un banal fait : une femme politique qui critique avec véhémence un homme politique. L’injonction à elle faite de présenter des excuses et la convocation d’un point de presse ont constitué des appels publics au lynchage d’une parlementaire. Au mépris du principe sacré de la laïcité républicaine, des responsables publics, en meute, ont jeté l’opprobre sur une femme et ont mis sa tête à prix. Ces gens sont les commanditaires implicites de l’agression de Mme Amy Ndiaye.
Même devant l’honneur à leur fait d’être des élus, Massata Samb et Mamadou Niang ont choisi de rester des talibés foulant aux pieds les principes républicains, en premier la laïcité. Ils ignorent que l’Assemblée nationale n’est pas un lieu pour exhiber sa foi religieuse et son appartenance confrérique. Ils n’ont pas à imposer aux autres ce qui relève de l’intime. C’est un manquement grave à la dignité et la sacralité de l’élu dont la personne est inviolable.
Ces deux députés sont les symboles du danger du fanatisme et du populisme en démocratie. Fille de l’obscurantisme, le fanatisme, cette incapacité à faire preuve de mesure, de discernement et de jugeote, est la cause de milliers de morts partout dans le monde. Il faut imaginer le niveau de décadence morale et le danger qu’encourent les citoyens quand un parlementaire agresse sa collègue devant toutes les télévisions du monde car celle-ci aurait tenu des propos désobligeants sur son guide religieux. L’idée que notre pays, dans sa chute vers les abîmes, a enfanté des parlementaires fanatiques qui peuvent tuer au nom de leur croyance confrérique est terrifiante.
Mais je dois confesser que rien ne me surprend chez ces sauvageons qui sévissent au Parlement. Leur attitude lors de l’installation de la 14ème législature n’était que le premier acte d’une tragédie parlementaire en cours sous nos yeux. Je vois des intellectuels, journalistes, figures de la Société civile lancer des cris d’orfraie qui ne sont que vaste fumisterie. Quand ces députés aux attitudes primitives ont saccagé le Parlement et agressé leurs collègues le 12 septembre dernier, qui les avait défendus ? Qui les soutient quand ils accusent, menacent et insultent magistrats, intellectuels et officiers de l’Armée ? Qui leur trouve des justifications quand ils agressent des journalistes, saccagent des groupes de presse et incendient la maison d’un avocat ? Parce qu’ils ne sont ni démocrates ni républicains, ils ont permis la banalisation du mal, l’usage permanent de la haine, la violence, l’outrance et la systématisation du mensonge au service d’une ambition politique.
J’ai vu deux courtiers des droits de l’Homme réagir pour condamner les deux députés. Ils s’en prennent uniquement à Massata Samb et Mamadou Niang car ces derniers sont des seconds couteaux. Mais quand l’intermittent du spectacle de la compagnie Pastef, dans ses logorrhées sans fin, insulte et menace à tout va, les mêmes y vont de leur soutien ou de leur mutisme. Fourbes.
Par lâcheté et couardise ou bien parce qu’ils ont misé sur un homme et son clan en espérant demain une ristourne, beaucoup ont contribué à semer les graines de la violence qui devient quotidienne dans l’espace public.
Notre pays voit des gens de petite vertu, de vils personnages, qui symbolisent ce que le Sénégal a produit de pire en six décennies, nous propulser vers les abysses de la politique. Les combattre est une exigence républicaine, car leur projet est la guerre civile à force de diviser les Sénégalais et de les opposer pour ne pas répondre de leurs propres errances. Ils sont le symbole de la maturation de l’ignorance.
Je vois beaucoup de concitoyens se plaindre au motif que notre pays ne mérite pas ce spectacle. Au risque de les décevoir, notre pays est au cœur d’un cycle d’abaissement. Il mérite ce qu’il lui arrive car ces gens indignes du titre d’élus de la Nation ainsi que leurs amis et alliés ne sont d’aucune autre nation. Ils sont des nôtres, et poursuivent sans coup férir leur logique de guerre civile. Et pour ne rassurer personne, leur cible est l’édifice national qu’ils veulent voir s’effondrer pour mettre en œuvre leur tentation du chaos. Ils n’ont pas fini. Ce n’est que le début. Comme dans la série culte The Game of Thrones : winter is coming (l’hiver arrive). Le chaos frappe à nos portes. Le pire dans son sillage.