RETOUR EN GRÂCE ?
Au Sénégal, dit-on, le pétrole va couler à flots dès 2023. Nous rentrons de plain-pied dans… le vif du sujet, objet de tant de spéculations ! Des prévisions optimistes tablent même sur des recettes déjà incorporées dans le budget consolidé et voté
Au Sénégal, dit-on, le pétrole va couler à flots dès 2023. Nous rentrons de plain-pied dans… le vif du sujet, objet de tant de spéculations ! Des prévisions optimistes tablent même sur des recettes déjà incorporées dans le budget consolidé récemment voté à l’Assemblée nationale.
Une période de prospérité relative s’ouvre ainsi puisque la croissance fera un bond significatif pour se retrouver à deux chiffres. Inédit dans ce pays « indigent » (le mot est du Président de la République) qui s’apprête à être « émergent ». Sommes-nous dans un contexte d’expansion où l’or noir serait une réelle couverture contre l’inflation ? Le scénario est séduisant. Mais il n’est pas suffisamment explicite sur les repères de marché.
Quitter l’indigence s’organise et se prépare. Atterrir sur l’émergence constitue une finalité conçue en amont et amorcée de manière graduelle moyennant toutefois des ajustements au gré de la progression. Il s’agit d’un élan, autrement dit d’un décollage qui doit se profiler.
Le Sénégal, pays pétrolier et gazier ? Vivement. Mais gardons-nous de toute euphorie anesthésiante. Laquelle secrète une forte espérance que rien ne vient conforter. Dans le domaine mouvant des hydrocarbures, les vérités d’un moment ne sont pas celles du moment d’après ou d’avant. Les valeurs ne sont jamais constantes.
Par essence même, le secteur est changeant, fluctuant au gré des humeurs des forces qui y interagissent. Quel sera le prix du baril en 2023 ? Va-t-il subir des variations dictées par des effets de conjoncture ? Qu’est-ce qui pourrait advenir en cas de brusque chute ou de hausse de l’or noir ? A-t-on intégré dans les paramètres d’appréciation, les éventuels déséquilibres résultant de la croissance de la demande (mondiale) et l’hypothèse de saturation des facteurs de production ?
Les grandes manœuvres et les petits jeux tactiques peuplent l’univers « impitoyable » du pétrole qui, soit dit en passant, a cessé d’être le produit vedette de l’énergie. Certains analystes lui prédisent même une fin imminente dont l’échéance, toujours annoncée, est toujours repoussée.
En revanche, comme énergie fossile, il n’est plus en cours, chahuté ici ou là par des énergies vertes, dites propres qui tiendraient la dragée haute. Les pays occidentaux n’en démordent pas. De plus en plus sensibles aux effets de changement climatique, ils appuient fortement (et puissamment) la recherche pour des solutions alternatives.
Rien qu’à voir les efforts et les moyens consacrés, le doute n’est plus permis sur les options fondamentales que projettent les cercles d’influence à l’échelle du monde. Ils scénarisent le futur à partir de la préservation des équilibres écologiques pour continuer à tirer parti des ressources de la planète. Cette lente reconversion des puissances industrielles induit des changements notables dans les années à venir.
Déjà la transition s’effectue dans bien des activités jadis gourmandes en charbon, gaz et pétrole. Bien que nettement amélioré, le processus de transformation n’évacue pas la pollution très décriée dans les opinions publiques. Or celles-ci représentent un poids électoral très courtisé par les dirigeants politiques (au pouvoir et dans l’opposition).
D’ailleurs ces derniers redoutent les « exaspérations sociales » nées du « pouvoir de marché » que détiennent les grandes entreprises plus sensibles aux profits qu’aux équilibres. On leur prête même une influence plus grande sur les pouvoirs politiques dans les pays fragiles pour les inciter à légiférer dans leurs intérêts au détriment des peuples dont la colère monte pour changer l’ordre établi.
A cet égard, l’histoire récente est pleine d’ironies. Il y a quelques années, le monde libre, Etats-Unis en tête, refusait d’admettre la réalité du changement climatique. George W. Bush fils alors au pouvoir évacuait toute idée d’adaptation aux mutations écologiques qui équivalait, selon lui, à une perte de prospérité inacceptable. Normal, il est Texan. Et, comme tel, il défendait mordicus les intérêts bien compris des pétroliers de cet Etat qui détient le quart des réserves américaines.
Plus tard, l’Amérique allait découvrir les perturbations du climat avec les successions d’inondations, d’incendies, de sécheresse et de hausse des températures par une étonnante fonte des glaces de l’Alaska. A quelque chose, malheur est bon… Le propre des dirigeants est de prévoir les crises, les ruptures d’équilibre ou les dysfonctionnements.
Le pétrole et le gaz, pour les évoquer à nouveau, ont encore de beaux jours devant eux. Ils irriguent toujours une bonne partie de l’activité industrielle et sont d’un poids prépondérant dans la transformation de bien des produits de grande consommation. Nous détenons du pétrole au large de nos côtes. Mais en sommes-nous les propriétaires réels ? La question peut paraître saugrenue.
Néanmoins, détenir une richesse et être incapable de la mettre en valeur conduit à l’impasse si une issue n’est pas trouvée. Le tout est dans l’effectivité de la jouissance. Ceux qui détiennent les moyens colossaux (financiers et technologiques) négocient toujours en position de force et parfois imposent des conditions humiliantes aux pays producteurs de l’or noir.
Le Venezuela en Amérique latine et plus près de nous le Nigéria, possèdent de faramineuses réserves. Mais ils peinent à en jouir par un défaut rédhibitoire de gestion planifiée de la ressource. Conséquence : aux pénuries d’essence succède une inflation généralisée des prix des denrées de première nécessité. L’effondrement du pouvoir d’achat se combine à la rareté, ce qui débouche inéluctablement sur des dérives sociales et des émeutes.
L’autre élément à retenir a trait aux inégalités entre citoyens d’un même pays. Une gestion biaisée de la manne comporte des risques qu’il importe de cerner en amont pour éviter le syndrome algérien d’une redistribution tatillonne des dividendes des hydrocarbures. La perspective d’une embellie économique va rendre la destination Sénégal intéressante, captivante et attractive.
Du beau monde est attendu. Il ne faut pas exclure la pègre et les gens de mauvais acabit. Ils écument les places fortes et anticipent en s’octroyant des rôles et des responsabilités factices. Pour avoir expérimenté ailleurs ces pratiques, ils débarquent avec des armes de séduction massive susceptibles de piéger plus d’un.
Les forces de sécurité (et de défense) sont prévenues. Le danger rôde. Autant dire que la menace se rapproche de sa cible potentielle. Par des moyens accrus, notamment dans le précieux domaine de la technologie avancée, le renseignement et la veille sécuritaire peuvent endiguer la délinquance à « col blanc ».
Le pétrole est à la fois panacée et épouvantail. Il nourrit de vieilles pulsions qui s’activent avec le réveil des égoïsmes. Poseidon, Dieu des mers et des océans, s’est sûrement penché sur le berceau Sénégal pour la sauvegarde de son identité et des valeurs collectives de son modèle de société, autrement plus importantes que le pétrole et le gaz.