LA REPUBLIQUE DANSE SUR LES TOMBES DES VICTIMES DES ACCIDENTS
Le 11ème Festival national des arts et cultures (FESNAC) en cours à…Kaffrine est mal perçu. Les populations déplorent le timing de cet événement organisé dans la ville même où s’est produite la tragédie de Sikilo
On a comme l’impression que l’Etat se montre insouciant et insensible à la douleur des personnes disparues dans les accidents tragiques de Kaffrine et de Sakal. Deux accidents qui ont fait plus de 60 morts et des dizaines de blessés graves. Moins de 15 jours après le premier accident et à peine une semaine après le second, l’Etat, à travers son démembrement en charge de la Culture, a organisé en très grande pompe un Festival national des arts et cultures (Fesnac) à… Kaffrine, lieu du plus grave accident de la circulation jamais survenu au Sénégal avec 42 morts au total. Un accident qui, en quelque sorte, venait inaugurer la série puisque, huit jours plus tard, il était suivi par celui de Sakal où l’on a dénombré 20 morts! Et pourtant à l’annonce de la mort du premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, le 20 décembre 2001, l’Etat avait jugé utile d’interrompre le même festival qui se déroulait alors à Ziguinchor. Aujourd’hui, le même Etat est en train de danser joyeusement sur les corps de plus de 60 cadavres.
La République danse sur « les tombes » des victimes de Sikilo et Sakal ! Le 11ème Festival national des arts et cultures (FESNAC) qui se déroule présentement, c’est-à-dire du 21 au 28 janvier 2023, à…Kaffrine est mal perçu. Les populations déplorent la tenue de cet évènement bien avant la célébration du 40ème jour de deuil. Et dans la ville même où s’est produite la tragédie. Comme s’il s’agissait de la fêter! Selon ces populations, il est indécent d’organiser un tel évènement dans une région où 42 personnes ont perdu la vie dans un accident tragique. Ce, sans compter le drame de Sakal avec ses 22 morts et de multiples blessés graves. Alors que la tristesse et l’angoisse n’ont pas encore totalement quitté les populations sénégalaises choquées par cette série macabre, le ministre de la Culture choisit d’organiser en grande pompe un festival et dans même lieu où le drame s’est produit. On y danse, on y chante, on y déclame des poèmes, on y bat le tam-tam, on y joue de la guitare, du « riti », du balafon et du khalam, on y distribue aussi des billets de banque. Que la fête soit belle ! Surtout qu’elle est financée avec les deniers de l’Etat !
En effet, le ministère de la Culture et du Patrimoine historique a fêté au rythme des chants et danses de tous nos terroirs le FESNAC avec la participation de son homologue ministre de l’Urbanisme et… maire de la commune de Kaffrine, terre de « l’hécatombe nationale ». Abdoulaye Seydou Sow, désigné comme parrain de la 11ème édition, est pourtant celui-là même qui jouait les éplorés après le drame, lorsque le président de la République est venu dans sa bonne ville se rendre compte de lui-même de la situation, organiser les secours, présenter ses condoléances aux familles des personnes décédées, réconforter les blessés internés à l’hôpital Thierno BIrahim Ndao de Kaffrine et proclamer « plus jamais ça ! ». Moins de deux semaines après, Abdoulaye Seydou Sow a oublié tout cela et danse joyeusement ! Aujourd’hui, cette ville, tristement célèbre en tant que symbole des carnages sur nos routes, est le lieu de convergence des artistes, venus des 14 régions du Sénégal en plus des pays invités
L’insouciance du gouvernement est à ce point révoltante qu’en décembre 2001 pourtant, alors que le même festival battait son plein à Ziguinchor, les autorités de l’époque avaient interrompu l’événement qu’ils avaient reporté à une autre année pour cause de décès du président Senghor. Là, on est dans une ville où 42 personnes ont perdu la vie. Et c’est sur leurs tombes que des centaines d’artistes dansent, chantent et rigolent joyeusement. Dérangent ainsi avec insouciance le sommeil des morts et la douleur des familles qui n’ont pas encore séché leurs larmes pendant que d’autres sont dans les couloirs des hôpitaux priant pour que leurs parents blessés dans ces accidents recouvrent la santé. Beaucoup de nos interlocuteurs pensent que l’acte posé par l’Etat leur parait gauche, maladroit et provocateur. A les en croire, l’Etat devrait beaucoup plus penser à chercher la vérité scientifique ou anthropologique des accidents. Présentement, souligne-t-on, les populations attendaient plus des séances de prières pour le repos de l’âme des morts des accidents et un prompt rétablissement des blessés graves. Et même si cet événement était déjà programmé dans le calendrier des activités culturelles à dérouler, certaines personnes indiquent qu’il devrait être reporté à un moment beaucoup plus propice le temps de panser les blessures et laisser les morts reposer en paix plutôt que d’interrompre leur sommeil.
Pris dans les embouteillages de Dakar et histoire de tuer le temps, ce taximan du nom de Atoumane Ndiaye exprime sa désolation et son regret. Sa peine est d’autant plus grande qu’il habite le village où s’est produit la tragédie. « J’habite à Sikilo où ma femme vient d’accoucher de notre premier enfant. C’est un garçon, mais je ne ferai pas une cérémonie festive pour le baptême. Je vais juste faire un récital du Saint Coran et donner le nom du bébé à un enfant de mes voisins, décédé lors de cet accident qui nous a mis tous dans une tristesse sans précédent », indique ce taximan. Quant à Abdoulaye Diallo, un artiste plasticien, il estime que les populations devraient arrêter de continuer à croire que tout procède de la politique. C’est -à -dire l’art de créer des faits, de dominer en se jouant des événements et des hommes.
« Aujourd’hui, nous sommes en deuil. Nos routes sont rouges de sang », se désole-t-il. L’artiste égratigne la gestion des transports motorisés, des infrastructures, des structures de délivrance et de contrôle de permis de conduire et celles délivrant les attestations d’aptitudes à circuler (visites techniques) pour les véhicules. Il brocarde aussi les policiers et les gendarmes sur nos routes. Il estime qu’il y a des responsables à toutes ces tragédies et que les responsables devraient être sanctionnés. Aussi, déplore-t-il la tenue de ce festival à Kaffrine. Lequel, selon lui, devrait être annulé ou à tout le moins reporté, ne serait-ce que, dit-il, pour le respect des morts et des blessés de Sikilo et de Sakal. Mais allez expliqué cette décence élémentaire à nos autorités tout occupées à fêter c’est-à-dire à chanter, à danser, à faire dans les louanges. Et à se trémousser au rythme des tamtams et des « tamas ». Reusguine et Sambaye Mbayane !