L’INDUSTRIE DU LIVRE CHERCHE SON SOUFFLE
À l'occasion d'une réunion organisée par l'Association de la presse culturelle sénégalaise, un panel a été organisé pour examiner les multiples facettes de la critique littéraire.
''La critique littéraire : pluralité des perspectives et place dans la chaîne du livre''. À l'occasion d'une réunion organisée par l'Association de la presse culturelle sénégalaise (APCS), un panel composé de journalistes, d’universitaires, de critiques, de professeurs de français et de lecteurs s'est réuni, ce samedi, pour examiner les multiples facettes de la critique littéraire.
La critique littéraire, traditionnellement, s'effectue après la sortie d'un livre. Cependant, l'écrivain Idrissa Sow Gorkoodio propose de rompre avec cette approche.
Selon lui, pour donner toute sa dimension à la critique, il est essentiel de l'intégrer dès la phase de création de l'ouvrage. "Il est souhaitable, dit-il, d'avoir une diversité de textes littéraires et que la critique littéraire ne se limite pas à une évaluation finale, mais qu'elle intervienne dès le stade initial". Selon lui, en intégrant la critique dès le processus de fabrication, cela permettrait une meilleure compréhension et appréciation de l'œuvre, tout en offrant aux auteurs l'opportunité de bénéficier des retours et des perspectives variées dès les premières étapes de leur travail.
Il donne l'exemple d'un de ses travaux avec une maison d'édition. ''Avec les éditions Aminata Sow Fall, nous avons en chantier une anthologie qu’on a titré : ‘3 juin 2023, l’appel de Rabat pour un Sénégal de paix et de prospérité.’ On a fait d’abord la couverture. On a envoyé la maquette à une dizaine de critiques littéraires et à tous les auteurs de l'anthologie pour qu'en amont, ils critiquent cette couverture'', a-t-il révélé, hier, lors d'un panel organisé par l'Association de la presse culturelle sénégalaise sur le thème "La critique littéraire : pluralité des perspectives et place dans la chaîne du livre".
Le retour qu'il a eu a permis d'améliorer le projet. ''On est en train de poursuivre la même chose avec le texte. Le comité scientifique est en train d'y travailler. Moi, je suis pressé, en tant qu'éditeur, mais on me dit qu’il faut attendre qu’on corrige le texte'', dit-il. L'approche adoptée consiste d'abord à solliciter les critiques littéraires et les auteurs de l'anthologie pour évaluer en amont la couverture.
Selon lui, si la critique littéraire est intégrée à ce stade, cela permet à l'éditeur de résoudre de nombreux problèmes, de sorte que, lors de la sortie du livre, moins de défauts seront soulignés. L'auteur pourrait également adopter une approche similaire, en soumettant son texte à des proches ou à des professeurs de langue. De même, l'imprimeur pourrait solliciter des retours sur les épreuves, avant même la parution de l'ouvrage. Enfin, le libraire pourrait impliquer le critique littéraire dans la sélection des ouvrages, contribuant ainsi à une meilleure qualité de choix.
Ainsi, en intégrant la critique littéraire à différents niveaux du processus, tous les acteurs de la chaîne du livre pourraient bénéficier d'une amélioration continue, favorisant une plus grande qualité et une meilleure réception des œuvres littéraires.
L'écrivain Idrissa Sow Gorkoodio souligne que la critique littéraire occupe une place importante dans le domaine de la littérature, tout comme l'évaluation joue un rôle clé dans la pédagogie de l'intégration. Selon lui, en pédagogie de l'intégration, l'évaluation est une démarche systématique visant à évaluer le niveau de connaissance acquis par l'élève. Cette démarche comprend plusieurs étapes telles que la collecte, l'organisation et l'interprétation des données. Ensuite, l'enseignement et l'apprentissage se déroulent de manière globale, où une évaluation est effectuée après un certain nombre d'apprentissages globaux.
En effet, M. Sow propose que la littérature et la critique littéraire adoptent une approche similaire à celle de la pédagogie de l'intégration. Cela signifie que l'évaluation et l'analyse critique des œuvres littéraires devraient suivre une démarche rigoureuse et systématique, permettant de mesurer et d'apprécier le niveau de qualité et d'impact d'une œuvre. Cette approche favoriserait une compréhension approfondie de la littérature et permettrait aux auteurs et aux critiques de développer leurs compétences et leurs connaissances de manière plus holistique.
"La première démarche consiste à envisager la critique d'un texte littéraire dans une perspective transversale et disciplinaire. Cela signifie que, au-delà du champ littéraire, on peut faire appel à l'histoire, à la sociologie, etc. Le critique littéraire pourrait emprunter le regard du metteur en scène Pape Faye, de l'historien comme Alioune Diop, du sociologue, etc. S'il ne possède pas cette compétence, il pourrait demander à des spécialistes d'éclairer ces perspectives", soutient l'écrivain.
La pluralité des perspectives, un merveilleux facteur d'enrichissement des œuvres''
De son côté, le critique littéraire et fondateur de la maison d'édition Nuit et Jour, Waly Ba, a souligné d'emblée que "l'art est aisé, c'est la critique qui est difficile". Selon lui, le critique littéraire, logiquement, s'appuie sur des bases théoriques élaborées par un courant critique et il ne doit pas perdre de vue que son propos sur l'œuvre doit faire autorité. Et pour être autoritaire, il doit se distinguer d'une manière ou d'une autre.
Pour Waly Ba, pour que la diversité soit efficace, elle doit nécessairement reposer sur le socle de l'originalité. ''La pluralité des perspectives en matière de critique est un merveilleux facteur d'enrichissement des œuvres et de leurs auteurs. Des œuvres, parce qu'elles leur révèlent des valeurs ou des failles dont elles ne se savaient pas porteuses et des auteurs, parce qu'elles les promènent comme des touristes venus de loin sur des sites qu'ils ont eux-mêmes créés'', indique le critique.
''Par ailleurs, poursuit-il, nous ne devons jamais oublier que la quête d'originalité en matière de critique littéraire a presque toujours un coût ; un coût qui peut bien être en défaveur de l'agent critique. Un critique littéraire, qui connait bien son métier, s'il pense qu'il a raison par rapport à un travail précis, ne doit pas hésiter à nager à contre-courant et à se soustraire à toutes les tutelles critiques connues. Il doit négliger les risques encourus et rester fort devant les attaques pour sécuriser définitivement sa position''.
Waly Ba de souligner que sur une même œuvre, celle de Camara Laye, ‘’L'enfant noir’’, Mongo Béti et Senghor ont eu des positions diamétralement opposées et se sont laissés entrainer dans une mémorable guerre des mots. ''Chacun a eu ses pro et ses anti. Aujourd'hui, plus de 60 ans après, que retenons-nous de cette querelle ? Une seule chose : Béti et Senghor ont eu tous les deux raisons !'', a indiqué le fondateur de la maison d'édition Nuit et Jour.
Qu'en est-il maintenant de la place de la critique littéraire dans la chaine du livre ? ''Récemment, il m'a été donné d'entendre Abou Thioubalo se plaindre auprès du célèbre animateur Sidate Thioune que si les résurrections qu'il a tentées ces dernières années n'ont pas abouti, c'est parce que des animateurs comme lui n'ont pas parlé des opus qu'il a sortis. La même plainte pourrait légitimement être portée par tous les auteurs qui sortent à longueur d'année des livres qui meurent dans le plus triste anonymat'', soutient Waly Ba, soulignant qu'un livre a besoin d'être jugé.
A ses yeux, c'est un impératif esthétique et éthique.
Selon M. Ba, puisque le critique littéraire fait métier d'interpréter, d'analyser, il peut, par son aventure herméneutique, arriver à polariser les attentions autour du produit. Il invite à faire attention : ''La responsabilité du critique littéraire n'est pas forcément de faire aimer l'œuvre. Elle consiste essentiellement à susciter l'intérêt à son encontre. Il en est ainsi, même si le discours critique cherche à détruire l'œuvre ciblée, à la rejeter dans ce grand Néant d'où elle vient.''
Il note que les grandes aventures littéraires ont été accompagnées par de prodigieuses initiatives critiques, soit pour les soutenir ou pour les dénigrer. Pour s'en convaincre, fait-il remarquer, ''il suffit de se demander ce que serait le 'Nouveau roman' sans Gérard Genette, Jean Ricardou et tant d'autres figures de proue du structuralisme. Ce que seraient les créations des poètes de la Négritude sans Wolé Soyinka, Jean Baptiste, Tati Loutard et autres Stanislas Adotevi, avec son fameux 'Négritude et négrologues'. Ce que serait la littérature africaine de façon générale sans les contributions bienveillantes de Jacques Chevrier, George Ngal, Lilyan Kesteloot, Locha Mateso, Pius Ngandu Nkashama''.
A noter qu'en marge de ce panel dont l'objectif a été, entre autres, de promouvoir la première édition de la rentrée littéraire au Sénégal, l'APCS a eu à remettre des diplômes d’honneur et des écharpes aux parrains et conseillers spéciaux : Fatimatou Diallo Ba, Gacirah Diagne, Baba Diop, Sada Kane, Pape Faye, Alassane Cissé, Alioune Diop, Kalidou Kassé, Lamine Ba, Aboubacar Demba Cissokho et Fadel Lô.