TEMOIGNAGES POIGNANTS DE MIGRANTS
Le Réseau Dupont-Verlon pour le journalisme d’investigation (Reji) a mené l’enquête sur le phénomène en Afrique de l’Ouest et du Centre.
L’immigration clandestine ou illégale a endeuillé beaucoup de familles. 2778 personnes ont trouvé la mort sur ces routes périlleuses du Sahara et de la Méditerranée. Le Réseau Dupont-Verlon pour le journalisme d’investigation (Reji) a mené l’enquête sur le phénomène en Afrique de l’Ouest et du Centre. Voici quelques extraits de ce document audio avec des voix de membres dudit réseau. Témoignages poignants. Explications de spécialistes. Propositions de solution.
La longue marche périlleuse vers l’Europe
«A Conakry, capitale de la Guinée, Ousmane est toujours hanté par la mort de son jeune frère. Le souvenir est encore frais. Mamadou Moussa, son frère, a perdu la vie en tentant de rejoindre les côtes italiennes. La plaie a du mal à se cicatriser. ‘’Il y a de cela, deux ans, moi, j’étais à la maison. Du coup, ses amis m’ont appelé pour me dire que mon jeune frère a rendu l’âme dans la Méditerranée. Au fait, il voulait se rendre en Italie. Un jour, il a pris l’argent de ma maman et il est sorti. Finalement, son rêve ne s’est pas réalisé. C’est très douloureux. A chaque fois que je m’en souviens, j’ai les larmes aux yeux Ma maman, mon papa n’étaient pas au courant de cela. Il a pris cette décision sans consulter un seul membre de la famille’’. Le quartier Guet Ndar de Saint-Louis, essentiellement habité par des pêcheurs, est une zone de départ pour l’immigration clandestine. Modou vit ici, depuis plus d’un demi-siècle. Cheveux grisonnants, la démarche lente, père Modou comme l’appelle ici la communauté, a perdu beaucoup d’amis dans cette aventure périlleuse. ‘’Vous voyez cette tente-là ? D’habitude, il y avait plus de 70 personnes, tous des pêcheurs. Aujourd’hui, c’est le désert. Samba, Abdoulaye, Mohamed, Ibrahima, Mactar Ndiaye, Iso, Jules Baldé…, tous sont partis, engloutis dans les eaux. Alioune Fall, Saliou Fall, ils étaient tous là, on partageait le même repas. D’habitude, il y avait une vingtaine de cuillères. Mais là, il n’y a que trois’’».
La témérité des candidats
«Au Sénégal, ils sont encore plus que nombreux, ces candidats, plus que jamais décidés à affronter les vagues de l’Atlantique. Les traitements inhumains et les milliers de morts enregistrés en permanence n’atténuent en rien leur détermination. Baye Moussé est un jeune pécheur originaire de Fass Boye, à 140 kilomètres au nord de Dakar : ‘’La mort, c’est du ressort de Dieu, on ne meurt pas deux fois. J’ai tenté l’aventure à plusieurs reprises mais, cela n’a pas abouti. Mais, je ne désespère pas. Je vais encore essayer parce que, vivre ici, devient insupportable.’’ Fatou est originaire de la Langue de Barbarie à Saint-Louis. Elle porte le poids de la perte de deux de ses neveux en mer. Des jeunes partis à jamais. La recherche d’une vie meilleure pour subvenir aux besoins de la famille. Malgré la douleur, elle dit comprendre cette détermination des jeunes à rejoindre l’Europe. ‘’C’est vraiment avec le cœur meurtri que nous assistons impuissants à la mort de nos enfants dans l’océan. Nous avons mal et même très mal. Si, cela ne dépendait que de nous, nos enfants allaient rester ici. Malheureusement, comme vous pouvez le constater, les ressources halieutiques sont épuisées, nos enfants sont fatigués. Ils veulent bien aider leurs familles, mais ce n’est pas possible. Voir ses enfants prendre le large, c’est la dernière des choses qu’une mère de famille peut souhaiter pour son fils’’».
Les causes sont multiples
«Professeur Djiby Diakhaté, enseignant-chercheur en sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar explique : ‘’Lorsque l’individu est en situation de migration, sa réussite, signifie la réussite de la famille, du lignage et de toute la communauté parce qu’il aura tendance à partir de sa localité d’accueil, d’envoyer la perche aux autres qui sont restés dans la localité d’origine et de faire en sorte que ces gens-là puissent bénéficier des privilèges qu’il a actuellement.’’ Les causes de l’immigration irrégulière, sont bien multiples selon le docteur Balama, géo-politologue camerounais. L’enseignant à l’université estime que l’immigration clandestine est la résultante d’un système de gouvernance défaillant dans la majorité des Etats d’Afrique sub-saharienne. ‘’Malgré toutes les ressources naturelles que nous connaissons, le niveau de vie ne fait que baisser et il y a une forte paupérisation des populations et les emplois se font de plus en plus rares. Et, cela contraste avec la situation scolaire ou académique de ces jeunes-là qui sont de plus en plus scolarisés. L’Occident est en ce moment vu comme un eldorado parce qu’il y a des opportunités. Dans les Etats d’Afrique, notamment d’Afrique Noire, vous allez constater qu’il y a de gros soucis dans la gestion des biens publics. De plus en plus, les fonds publics sont privatisés par les uns et les autres. Au-delà des facteurs politiques, on a aussi des facteurs sécuritaires. De plus en plus, vous voyez de grands conflits qui font qu’on se sent beaucoup plus en sécurité à l’extérieur du pays’’». L’accès inéquitable des ressources financières de l’Etat handicape le fonctionnement des pays. Le docteur Biaya, économiste, expert certifié de l’Onudi pense lui, ‘’que la répression serait la solution pour rétablir l’ordre économique afin de réduire la pauvreté, l’une des causes majeures de l’immigration clandestine’’».
La passivité des Etats
«L’intensité des flux migratoires, semble prendre le dessus face à la coopération entre l’Union européenne avec les Etats africains pour juguler la crise. Dans certains pays d’Afrique, l’Etat semble avoir démissionné, confiant à chaque jeune le créneau pour dessiner sa propre voie de sortie de la pauvreté. Dans d’autres encore, malgré les opportunités d’entreprendre existant sur place, la jeunesse n’a que son regard tourné que vers l’occident qui offrirait plus de chance et de possibilité d’émergence. Fin novembre 2023, la junte militaire au pouvoir au Niger, a abrogé la loi anti-passeurs adoptée en 2015 qui criminalisait le trafic de migrants. Le Niger, point de passage entre le Sahel et le Sahara est donc désormais ouvert au trafic de migrants. Sur le continent africain, le défi de l’assèchement des routes migratoires clandestines risque de ne pas être pour demain».