VALORISER L’HISTOIRE ET LA CULTURE DES PEUPLES D’ASCENDANCE AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il serait naïf de penser que la discrimination se limite au domaine interracial. Nous sommes à la croisée des chemins entre exclusion organisée et nécessite de réécrire le récit de l’identité multiforme de nos peuples
Les héritiers de l’Afrique
Il faut veiller à ce que l’Afrique ne fasse pas les frais du progrès humain. ( ) froidement écrasée par la roue de l’histoire(…).on ne saurait échapper aux nécessités du moment historique auquel on appartient ». Cheikh Anta Diop
L’avènement de la suprématie blanche aux États-Unis et la montée en puissance des ultra-droites en Europe invitent à une indéniable prise de conscience de ces courants pour les peuples d’ascendance africaine. Nous sommes à la croisée des chemins entre exclusion organisée et nécessite de réécrire le récit de l’identité multiforme de nos peuples. Construire une identité pour un peuple victime de dénis d’identité est un exercice mémoriel difficile du fait du matraquage culturel et médiatique qui produit et assène des archétypes des cultures humaines dominantes depuis des siècles. Selon Jung “ l’archétype se définit comme le symbole de l’être primitif, contenu de l’inconscient collectif qui se trouve dans l’imaginaire d’un individu, les productions culturelles d’un peuple”.
Le Sénégal avec l’accession au pouvoir d’une jeunesse patriotique décomplexée peut en prendre le leadership pour convoquer le premier congrès mondial des peuples d’ascendance africaine à Gorée.
Environ de 200 millions de personnes d’ascendance africaine concernées vivent en Amérique et des millions d’autres dans les autres régions continentales (Europe, Asie et moyen orient). Leur particularité́ reste la pauvreté́, la marginalité et la vulnérabilité.
La discrimination prive les gens de leurs droits, ce qui conduit à l'érosion des croyances et des pratiques culturelles et à une crise d'identité́ générale. Il s'agit d'un stratagème utilisé au fil du temps par des forces désireuses de contrôler prioritairement les ressources. Lorsque les colons sont arrivés en Afrique, ils se sont comportés comme si le continent était un vaste espace matériel et sans habitants humains. Dans les écoles, l'histoire enseigne encore que David Livingstone a découvert le lac Victoria, ce qui nie complètement la riche histoire des Bantous et des tribus nilotiques qui pêchaient sur ses rives et constituaient une plaque tournante vitale pour le reste du continent. Vasco De Gama s'est vu attribuer tout le mérite d'avoir « découvert » les routes et les vents commerciaux vers l'Inde, négligeant complètement le commerce dynamique entre l'Afrique et l'Asie, comme en témoignent les broderies complexes des robes portées par la royauté́ Ethiopienne et les perles de porcelaine et de verre provenant de Chine et de Perse trouvées dans les ruines du Grand Zimbabwe, qui sont antérieures de plusieurs siècles à la colonisation européenne. Les exploits de Winston Churchill et d'Alexandre le Grand sont évoqués avec beaucoup de ferveur, tandis que Zwangedaba : (1785-1848) fut le premier roi des peuples Ngoni et Tumbuka du Malawi, de Zambie et de Tanzanie du clan Jere Ngoni de 1815 à 1857). Les horreurs du règne d'Idi Amin Dada sont présentées comme un exemple de mauvaise gestion africaine, alors que les exploits du roi Léopold, qui a tué 10 millions de Congolais, sont minimisés. De plus, il a été décoré́ de l'Ordre de la Jarretière en 1916, huit ans après avoir été contraint de céder le pays au gouvernement belge...
Les Nations Unies avaient consacré les années 2015-2024 comme décennie des personnes d’ascendance africaine (Résolution de l’assemblée générale des Nations Unies A/RES/68/237) victimes de toutes les formes d’esclavage et de la colonisation. Elles continuent cependant de subir une exclusion sans précèdent de toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle.
« Reconnaissance, justice et développement », cette déclaration constitue la première plateforme pour aborder cette question cruciale des droits de l'homme, qui touche au moins 16 % de la population mondiale si l'on considère uniquement les Africains vivant en Afrique.
Même l’aide au développement au continent n’est pas fournie aux propres conditions africaines. Il existe une pléthore de projets mal planifiés dans lesquels des ploutocrates souvent instrumentalisés de la communauté se voient sciemment confier la responsabilité́ de développer des projets d'infrastructures complexes, ce qui entrainé des conséquences désastreuses dont la communauté́ locale est blâmée. La plupart des aides seront assorties de réserves quant à l'origine de l'équipement et à la personne qui dirige la gestion du projet – avec de grandes disparités de revenus entre les expatriés et les locaux. Il n’est pas rare de voir un chef de projet embaucher des « oui-oui » au profit de personnes compétentes qui dénonceront les mauvaises décisions. Le pire, c’est lorsque « l’aide » se présente sous la forme d’un prêt dépensé par les pouvoirs en place mais payé par les populations locales qui n’ont pas eu leur mot à dire sur ce qui les attend.
Les Africains de la diaspora cachent leur fierté africaine chez eux, craignant d’afficher leur culture par peur des moqueries et de l’exclusion. Il est donc d’autant plus poignant de retrouver certaines traditions persistantes chez les Africains qui ont été expulsés de force de leur pays d’origine il y a des siècles.
L’Afrique est confrontée à une multitude de défis dont les conséquences se répercutent sur la diaspora africaine – y compris sur les descendants des esclaves capturés de force.
L'Afrique souffre d'une multitude de problèmes, dont les résultats se reflètent dans la diaspora africaine. La corruption et la mauvaise gestion, qui ne sont pas propres à l'Afrique, sont présentées comme des exemples de l'incompétence africaine. Ainsi, alors que le pétrole a apporté́ le développement et la richesse au Moyen- Orient, il a entrainé́ la violence et la dégradation de l'environnement là où il a été trouvé en Afrique. Peu d'attention est accordée au fait que la structure de direction en Afrique a été héritée des colonialistes qui ont monté les tribus les unes contre les autres pour prendre le contrôle, contrairement au Moyen-Orient, qui n'a jamais été colonisé de la même manière que l'Asie et l'Afrique. Si les puissances coloniales ont cédé́ leur souveraineté́ aux pays africains, on ne parle guère du fait qu'elles ont utilisé leur secteur privé pour garder le contrôle d'actifs et de ressources clés en Afrique, même si elles prétendent que les gouvernements africains ont le choix de leurs partenaires commerciaux.
La Résolution 75/314 des Nations Unies dans laquelle il a créé une instance permanente de consultation offre à la communauté́ africaine une occasion unique qui, si elle est exploitée efficacement, changera la donne pour les personnes d'ascendance africaine en Afrique et dans la diaspora. Il est impératif que de véritables représentants soient réunis pour relever tous les défis, de manière objective et tournée vers l'avenir. Ce qui a été fait ne peut être défait, mais un présent positif construira un avenir positif.
Il serait naïf de penser que la discrimination se limite au domaine interracial. La discrimination en elle-même est nuancée et sa forme change en fonction de la situation géographique, du développement socio-économique et de divers autres facteurs. La discrimination est un sujet sensible qui peut facilement dérailler. Il est donc impératif que le déballage soit facilité d'une manière objective et tournée vers l'avenir, avec le principe de base « d'abord, ne pas nuire ». En 2050, la population d’ascendance africaine pourrait atteindre environ 2,8, a 3 milliards de personnes, ce qui représenterait un tiers de la population mondiale. Aucun peuple d’ascendance africaine souverain soit-il, ne peut se développer de manière isolée en dehors d’un mouvement d’ensemble de construction d’une conscience collective.
Restaurer la fierté́ des peuples d’ascendance africaine
Les trois objectifs principaux sont les suivants
- Établir une plateforme où les personnes d'ascendance africaine prennent l'initiative d'engager les partenaires et les parties prenantes à aborder les questions de discrimination de manière positive et constructive (Outsiders).
- Créer un réseau solide où les personnes d'ascendance africaine, en particulier les jeunes hommes et femmes, peuvent partager des informations et échanger des idées et des expériences, apprendre les uns des autres et aborder les questions africaines d'un point de vue africain. (Initiés)
- Rassembler, traiter et diffuser les communications d'Afrique positive.
En Afrique, les gens sont « divisés » selon de nombreux critères : le pays, la tribu, le village, la religion, l'âge, le sexe, les facteurs ruraux/urbains et socio-économiques, pour ne citer que les plus évidents. Toutes les données mondiales et universitaires collectées en Afrique et sur l’Afrique sont conservées et traitées en dehors du continent. Ce coffre-fort inestimable devra être exploité pour changer le discours négatif et construire la fierté́ africaine sur la base de faits et de réalités prouvés.
L’avenir de l’Afrique, pour sa nécessaire croissance, passe par la reconnaissance de sa légitimité́, avec la puissance de sa créativité́, son authentique originalité́ culturelle, et sa juste place dans le monde et son indispensable respect dans ses institutions exigent une impérieuse mobilisation et une rigoureuse implication de toutes ses forces populaires et dirigeantes afin de marquer, non seulement son histoire, mais aussi et surtout son identité spécifique et son rôle majeur dans l’esprit des autres continents. L’Afrique ne doit plus espérer ou recueillir d’eux un regard compatissant, mais exiger des actes pérennes et honorables, empreints de considération équitable et de droiture réciproque.