LES LEÇONS DU FILTRAGE DES CANDIDATURES
EXCLUSIF SENEPLUS - Entre le contrôle controversé des parrainages, les décisions du Conseil constitutionnel questionnées et les tensions pré-campagne, cette phase de détermination des prétendants a soulevé plusieurs interrogations
Cet article a été rédigé avant lé décision de report de la présidentielle annoncée ce samedi 3 février par Macky Sall.
Il passe en revue et analyse l’étape de détermination des acteurs devant participer à l’élection présidentielle de février 2024. C’est la Constitution elle-même qui dispose en son article 29 que les candidatures sont déposées au greffe du Conseil constitutionnel, soixante jours (60) francs au moins et soixante-quinze (75) jours francs au plus avant le premier tour du scrutin. L’article L57 du code électoral précise que toute candidature à une élection présidentielle et aux élections législatives, présentée par un parti politique légalement constitué, par une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes indépendantes est astreinte au parrainage.
Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée soit de la signature au minimum de 44.231 électeurs et au maximum, de 58.975 électeurs du fichier électoral (avec obligation de recueillir au moins 2000 signatures dans 7 régions différentes); soit de la signature de 13 députés ; soit de 120 élus locaux (Présidents de Conseil départemental ou Maires).
Il est précisé à l’article R 76 al 8 du code électoral modifié par le décret n°2023-1935 du 19 septembre 2023 que le contrôle et les vérifications sur les listes de parrainage sont effectués dès le dépôt, selon l'ordre de passage issu du tirage au sort et dans les conditions fixées par la structure chargée de la réception des dossiers de déclaration de candidature.
Le Conseil constitutionnel à travers sa décision du 24 novembre 2023 a fixé les modalités de réception des dossiers de déclaration de candidature et les règles de fonctionnement de la Commission de Contrôle des Parrainages pour l'élection présidentielle du 25 février 2024. Cette Commission a organisé un tirage au sort déterminant l'ordre du contrôle des parrainages des candidats. Il est précisé à l’article R 76 cité plus haut que l’ordre issu du tirage au sort est maintenu durant tout le processus électoral.
Les membres de la Commission des Parrainages sont les suivants :
- les membres du Conseil constitutionnel ;
- le chef du greffe ;
- le personnel administratif et technique en service au Conseil Constitutionnel ;
- les représentants de la Commission nationale électorale autonome (CENA) ;
- les personnalités indépendantes ;
- le représentant de l'Administration.
A l’ouverture de la période de collecte des parrainages, le 29 septembre 2023, 266 mandataires d’aspirants à la candidature ont retiré des fiches de parrainage au niveau de la DGE (Direction Générale des Elections). Après la phase de dépôt de la caution à la CDC, 93 ont déposé leur dossier de candidature au greffe du Conseil constitutionnel.
Le contrôle des parrainages au niveau du Conseil constitutionnel a produit des résultats qu’il convient d’analyser avant d’aborder les étapes ultérieures.
Leçons tirées de l’analyse des résultats publiés par la commission de contrôle des parrainages.
Le Conseil constitutionnel, au cœur du processus, a organisé les opérations de parrainage. Les leçons suivantes peuvent être tirées de l’analyse des résultats de ce parrainage :
Il ressort de la décision n° 1/E/2024 du Conseil constitutionnel du 12 janvier arrêtant la liste des candidats que 03 candidats ont retiré leur candidature ; que 69 candidatures ont été déclarées irrecevables et 21 candidatures ont été déclarées recevables.
Il est possible de tirer de cette décision que certaines irrecevabilités se justifient par des dossiers de candidats n’ayant pas obtenu le minimum requis de parrainages ; certaines sont dues au caractère inexploitable de fichiers composant les dossiers concernés ; que d’autres, enfin, au caractère incomplet de certains dossiers. En rangeant O. Sonko, dans ce lot et en justifiant le caractère incomplet de son dossier par le fait qu’il n’a pas produit l’attestation confirmant le dépôt de la caution à la Caisse des Dépôts et consignation, le Conseil suscite beaucoup d’interrogations. Pourquoi le juge n’a pas évoqué le défaut de parrainages ? Se serait-il contenté du PV d’huissier ayant constaté la carence de la DGE ? Si oui, pourquoi n’a –il pas eu la même attitude concernant la carence de la CDC ? Puisque pour être éligible, il faut être électeur, le juge considère- t-il que O. Sonko est bien dans le fichier électoral, autrement dit, que sa radiation pour cause de condamnation par contumace a été annulée ? Des questions, pour le moment, sans réponses.
Le Conseil constitutionnel semble être revenu sur sa décision n°3/E/98 du 15 avril 1998 dite jurisprudence « Insa Sankharé ». Elle avait considéré que lorsqu’en matière électorale, une défaillance est clairement et formellement établie du fait des agissements de l’administration et mettant en péril la liberté de candidature (risque d’irrecevabilité), le dossier de candidature est recevable. Le dépôt du cautionnement avait été refusé au mandataire du candidat Insa Sankharé, alors qu’il s’était présenté avant l’heure limite de fermeture des bureaux de l’administration.
Parmi les 93 dossiers, il y’en a 4 qui ont été déposés avec le parrainage parlementaire (il s’agit de ceux de Habib Sy, de Khalifa Ababacar Sall, de Karim Wade et de Ousmane Sonko)[1], 88 dossiers avec le parrainage citoyen et 1 dossier (celui du candidat Amadou BA), avec le parrainage des élus locaux.
Pourquoi, un candidat qui estimait avoir recueilli plus de trois millions de parrainages a opté pour la voie des élus locaux ? L’interrogation est d’autant plus pertinente que le code électoral a prévu que si le nombre d'électeurs représentatif du maximum, soit 58.975 parrains, est dépassé, il n'est pas tenu compte du surplus qui est nul et non avenu. Manque de confiance pour les uns, simple utilisation de la technique d’assèchement pour d’autres. La technique d’assèchement consiste à réduire le champ des signatures «valides » à accorder et à faire essaimer les doublons externes. Le doublon externe, c’est quand sur la liste du candidat figure un nom qui figure en même temps sur la liste d’un autre candidat. Dans ce cas, le candidat a 48 heures pour régulariser sa situation.
Le doublon interne, c’est quand sur la liste du candidat figure un nom plusieurs fois. Face à cette situation, le candidat est dans l’impossibilité de régulariser.
1-3. Le communiqué de la CENA considérant qu’elle n’a pas dans son site le fichier électoral actualisé est la preuve d’un dysfonctionnement dans le processus électoral. Faut-il le rappeler, c’est à la C.E.N.A que le législateur sénégalais (art L5 et L6 du code électoral) a reconnu le pouvoir de contrôler et de superviser l’ensemble des opérations électorales et référendaires. Elle a le pouvoir d’intervenir à tous les niveaux du processus électoral depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. Elle doit apporter les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté. Si la C.E.N.A qui doit faire respecter la loi électorale se limite à prendre l’opinion à témoin alors que la loi lui reconnait même un pouvoir de prendre des décisions immédiatement exécutoires d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action, elle administre la preuve de son impuissance et de son inutilité.
Leçons de la décision n°2/E/2024 en date du 20 janvier 2024 du Conseil constitutionnel
Il s’agit de la décision ayant arrêté la liste définitive des candidats admis à se présenter à l'élection présidentielle du 25 février 2024. Nous y avons trouvé des motifs de satisfaction mais aussi des éléments d’interrogations.
Ce qu’il y a à saluer dans la décision
La CDC remise à sa place
La Caisse des Dépôts et Consignations –CDC- a pour mission, entre autres, de gérer, aux termes de la loi n°2006-03 du 04 janvier 2006, les dépôts et de conserver les valeurs appartenant aux organismes et aux fonds qui y sont tenus ou qui le demandent, de recevoir les consignations administratives et judiciaires ainsi que les cautionnements, de gérer les services relatifs aux caisses ou aux fonds dont la gestion lui est confiée.
En matière électorale, la CDC n’est impliquée qu’en tant qu’organisme devant recevoir le cautionnement des candidats. C’est l’article L 122 du code électoral qui astreint les candidats au dépôt d'une caution. II est délivré une quittance confirmée par une attestation signée par le Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations.
En refusant de délivrer au candidat O. Sonko une attestation après avoir remis une quittance à son mandataire, la CDC s’érigeait en acteur du processus électoral pouvant demain barrer la route à un candidat. Notons que c’est le défaut de cette attestation qui a été invoqué par la commission de contrôle des parrainages pour invalider le dossier du candidat O. Sonko. Le Conseil constitutionnel, en considérant que l’absence de l’attestation ne lui est pas imputable mais résulte plutôt de défaillances de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), remet cet organisme à sa place et confirme sa jurisprudence de 1998. Elle n’a pas à créer ses propres défaillances (fermer avant l’heure ou s’arroger le droit d’apprécier la validité de candidatures) pour éliminer des candidats.
Une clarification salutaire à propos des « non identifiés au fichier »
Le juge constitutionnel nous apprend que le rejet d'un parrain sous la mention « non identifié au fichier général » ne signifie pas nécessairement que celui-ci n'est pas inscrit au dit fichier. Cette précision a le mérite de lever certaines craintes nées de la lecture qu’en avaient faite les candidats recalés considérant que les non identifiés, au nombre de plus de neuf cent (900), ne voteraient pas car ne figurant plus au fichier. Le juge nous apprend que ce qui est assimilé à une disparition du fichier est la conséquence d’une transcription inexacte de l'un des éléments d'identification de l'électeur, en l'occurrence les prénoms, nom, numéro d'identification national, numéro de la carte d'électeur, circonscription électorale d'inscription ou date d'expiration de la carte nationale d'identité CEDEAO figurant sur la fiche de parrainage[2]. Autrement dit, il s’agit d’une défaillance au niveau des candidats qui entraîne l'impossibilité pour le dispositif informatique d’identifier le parrain dans le fichier général des électeurs. Le contrôle automatisé exige une concordance parfaite des données transcrites sur la fiche de parrainage avec celles figurant sur le fichier général des électeurs. En clair, nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.
Ce qu’il y a à déplorer dans la décision
La démarche difficilement compréhensible du Conseil constitutionnel
Le dossier du candidat O. Sonko a été jugé irrecevable à l’étape du contrôle des parrainages. Le Conseil a justifié le caractère incomplet de son dossier par le fait qu’il n’a pas produit l’attestation confirmant le dépôt de la caution à la Caisse des Dépôts et consignation (voir supra). C’est le seul grief retenu par le juge pour expliquer l’irrecevabilité du dossier. Le même juge constitutionnel revient dans sa dernière décision (celle du 20 janvier) pour considérer que le candidat Ousmane Sonko, à l'appui de sa requête, soutient que l'absence de I ‘attestation confirmant le versement de sa caution, qui a motivé l’irrecevabilité de sa candidature, ne lui est pas imputable, mais résulte plutôt de défaillances de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), qui a reçu son chèque certifié, lui a délivré une quittance le 30 novembre 2023 et refusé de lui remettre une attestation. Il considère que l’absence de l'attestation de versement de la caution et des fiches de parrainage est le résultat du refus des autorités administratives compétentes. Il considère enfin et surtout que le fait que le dossier d'Ousmane Sonko ne contenait pas toutes les pièces exigées par la loi ne saurait lui être reproché, puisqu'il est indépendant de sa volonté. C’est pourtant ce qui a expliqué le fait que le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 1/E/2024 du12 janvier n’a pas retenu la candidature d’Ousmane Sonko parmi les vingt et une (21) autres candidatures déclarées recevables.
La déclaration sur l’honneur, une formalité pour la galerie, en dehors de recours
Parmi les pièces énumérées à l’article L.121 du Code électoral qui accompagnent le dossier de candidature figure la déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste que sa candidature est conforme aux dispositions des articles 4 et 28 de la Constitution, qu’il a exclusivement la nationalité sénégalaise et qu’il sait écrire, lire et parler couramment la langue officielle et celle par laquelle le candidat atteste être en règle avec la législation fiscale du Sénégal.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 1/E/2024 du12 janvier arrêtant et publiant la liste des candidats, a déclaré la candidature de Karim Meïssa Wade recevable. Suite au recours de Thierno Alassane Sall (fondé sur le fait que son nom figurant encore sur la liste électorale de Versailles en France à la date du 16 janvier 2024, Karim Meïssa Wade n'est pas exclusivement de nationalité sénégalaise), le Conseil a finalement rejeté la candidature de Karim Wade en considérant que sa candidature avait été déclarée recevable sur la foi d'une déclaration sur l'honneur inexacte. Pour le Conseil, le candidat qui avait déposé sa déclaration le 2l décembre 2023, n'avait pas exclusivement la nationalité sénégalaise compte tenu des termes de l'article 27-l du Code civil français selon lesquels les effets du décret consacrant la perte d'allégeance de Karim Meïssa Wade à l'égard de la France (décret du 16 janvier 2024, publié te 17 janvier 2024) ne sont pas rétroactifs.
Cela signifie qu’il y a eu contrôle et sanction parce qu’il y a eu recours et que, certainement, en l’absence de recours d’autres déclarations erronées n’ont pas été sanctionnées. C’est très probable dans la mesure où l’on se demande encore comment certaines candidatures ont pu être déclarées recevables en dépit de l’exigence constitutionnelle de pouvoir écrire, lire et parler couramment le français.
Les suites du processus électoral jusqu’à la proclamation des résultats.
L’étape à franchir avant le scrutin du 25 février, c’est la campagne électorale.
La campagne électorale
En matière électorale, la régulation de la couverture médiatique de la campagne électorale est du ressort du CNRA. Cet organe est chargé d’assurer l’égalité des candidats dans l’utilisation du temps d’antenne. Le nombre, la durée et les horaires des émissions ainsi que les modalités de leurs réalisations sont fixés après avis du CNRA. En vérité, c’est la seule période où l’on note le respect du principe d’égalité entre les candidats. Il faut le dire, en effet, les « tournées économiques », les « inaugurations tous azimuts » d’un des candidats, ont été des moments forts de propagande électorale et ont constitué une véritable rupture d’égalité entre les candidats. Pourtant, l’article L 61 du Code électoral prévoit clairement que durant les trente (30) jours précédant l'ouverture officielle de la campagne électorale, est interdite toute propagande déguisée ayant pour support les medias nationaux publics et privés ; …que sont assimilées à des propagandes ou campagnes déguisées, les visites et tournées à caractère économique, social ou autrement qualifiées, effectuées par toutes autorités de l'Etat sur le territoire national et qui donnent lieu à de telles manifestations ou déclarations.
Pendant ce temps, le camp de l’opposition s’est vu notifier beaucoup d’interdictions de manifestation et d’organisations de caravanes avec des motifs divers.
La marche vers le scrutin de 25 février
Il faut noter que le législateur a voulu tenir compte de toutes les éventualités pouvant se réaliser. Ainsi, suivant que le processus est perturbé ou ne l’est pas, une réglementation est prévue.
En cas de perturbation du processus
Il peut s’agir d’un empêchement définitif ou du retrait d’un des vingt candidats retenus entre le 20 janvier et le 25 février prochain. Le cas échéant, l’élection est poursuivie avec les autres candidats en lice. La date du scrutin est maintenue.
Dans l’hypothèse d’un second tour, si un des deux candidats décède, est définitivement empêché ou se retire et si cela se réalise entre le 25 février et la proclamation provisoire des résultats, ou entre celle-ci et la proclamation définitive des résultats du premier tour, un autre candidat est repêché. Il s’agit de celui qui suit dans l'ordre des suffrages au premier tour et qui est admis à se présenter au second tour. Il en est d’ailleurs de même si la «vacance» intervient entre la proclamation des résultats définitifs du premier tour et le scrutin du deuxième tour, le candidat suivant sur la liste des résultats du premier tour est admis au deuxième tour.
Si maintenant le décès, l'empêchement définitif, ou le retrait d'un des deux candidats arrivés en tête se produit entre la proclamation provisoire des résultats et avant la proclamation des résultats définitifs du deuxième tour, le seul candidat restant est déclaré élu.
Il appartient au Conseil constitutionnel de constater le décès, l'empêchement définitif ou le retrait des candidats
Sans aucune perturbation du processus
Le scrutin aura lieu le dimanche 25 février prochain.
La publication définitive des candidats par le Conseil, le 20 janvier a révélé une chose inédite : la pléthore de candidats en dépit des filtres que constituent le cautionnement et le parrainage. Mais quel serait le nombre de candidats sans ces filtres ? En tout état de cause, le Code électoral prévoit en son article L 78 al 2 que l'électeur peut choisir cinq (5) bulletins au moins si le nombre de candidats en compétition est supérieur ou égal à cinq (5).
Si à l’issue du vote, un candidat obtient la majorité absolue c’est-à-dire la majorité plus un des suffrages exprimés, il est élu au premier tour. Les suffrages exprimés sont obtenus en retranchant les bulletins nuls des votants.
Si aucun candidat n'obtient la majorité requise, il est procédé à un second tour de scrutin le deuxième dimanche qui suit la décision du Conseil constitutionnel. Seront admis à se présenter à ce second tour, les deux candidats arrivés en tête au premier tour. En cas de contestation, le second tour a lieu le deuxième dimanche suivant le jour du prononcé de la décision du Conseil constitutionnel.
Au second tour, la majorité relative suffit pour être élu.
Au premier tour, on choisit. Au second tour, on élimine. Cet aphorisme se vérifiera certainement en 2024.
[1] Seuls les candidats de Benno, de Taxawu Sénégal, du Pds et de Yewwi ont ce nombre de députés requis (13 ou plus).
[2] Conformément à l'arrêté n° 032005 du 25 septembre 2023 du Ministre de l'Intérieur fixant les formats et contenus des fiches de collecte des parrainages.