MACKY SALL CONSPUÉ
"Il doit partir au plus vite, on veut tourner la page". Ce sentiment d'exaspération est largement partagé au Sénégal après l'annulation du scrutin par le président alors que la résistance s'organise face à ce que d'aucuns qualifient de dérive autoritaire
Le refus du président sénégalais Macky Sall d'organiser l'élection présidentielle comme prévu initialement le 25 février dernier n'a fait qu'empirer la crise politique que traverse le pays depuis plusieurs mois. Selon plusieurs acteurs de la société civile rencontrés par un journaliste de L'Humanité dans la capitale Dakar, cette décision "illégale" du chef de l'État ne fait que cristalliser la colère croissante d'une partie de la population contre sa gouvernance jugée de plus en plus autocratique.
"Il doit partir au plus vite, on veut tourner la page", déclare sans détour El Hadj, un habitant du quartier de Yoff rencontré par le journaliste. Un sentiment largement partagé au Sénégal où Macky Sall est de plus en plus "honni" depuis qu'il a reporté sans fixer de nouvelle date le scrutin présidentiel dont le premier tour devait se tenir le 25 février. Une décision que le Conseil constitutionnel a jugée contraire à la loi, enjoignant au chef de l'État d'organiser l'élection dans les "meilleurs délais". Pourtant, lors de son allocution télévisée le 22 février, Macky Sall est resté évasif, refusant de fixer une nouvelle date et préférant évoquer de manière floue un "dialogue apaisé".
Ce report fait culminer la colère contre la dérive autocratique du président Sall depuis 2019. Cette année-là marque un tournant avec l'attaque judiciaire lancée contre Ousmane Sonko, figure de l'opposition et candidat déclaré à la présidentielle, au travers d'une affaire de "viols" finalement non étayée. En mars 2021 puis juin 2023, son arrestation puis sa condamnation fallacieuse avaient déclenché de vastes manifestations à travers le pays, durement réprimées.
Selon le bilan dressé par Seydi Gassama, directeur d'Amnesty Sénégal, la répression excessive des autorités depuis trois ans a fait au moins 60 morts, dont 55 par balles, un chiffre qui pourrait dépasser la centaine selon les organisations de défense des droits humains. Quatre personnes ont encore été tuées par balle lors de la manifestation du 9 février contre le report de l'élection.
Parmi les organisations en première ligne contre la "politique néocoloniale" de Macky Sall et sa "décrédibilisation de tous les contre-pouvoirs", le Frapp (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) mène un "combat farouche". Son coordonnateur Daouda Guèye dénonce aussi bien les "violations des libertés et de l'État de droit" que "le pillage des multinationales". Lui-même affirme avoir été torturé par la police en 2022 après une manifestation.
La répression s'abat également sur d'autres acteurs comme les journalistes, citoyens, défenseurs des droits humains ou étudiants. Même ceux qui ont soutenu Macky Sall se sentent aujourd'hui "désolés" face à sa "dérive autoritaire", à l'image d'Abdou Khafor Kandji du collectif Y'en a marre. Ce collectif citoyen, tout comme le nouveau mouvement "Aar Sunu Election", rejettent la "tentative de diversion" proposée par le chef de l'État le 23 février pour sortir de crise.
Les autorités religieuses, comme l'archevêque de Dakar, ont également critiqué le report du scrutin, signe de l'ampleur de la contestation dans la société sénégalaise face à la "volonté fascisante de contrôle" dénoncée par le professeur Oumar Dia. Selon plusieurs observateurs, la mobilisation croissante de la société civile témoigne de sa "résilience" et de sa "capacité de résistance" face à l'autocratie grandissante du régime de Macky Sall.