MAME PENDA DIOUF, LA GARDIENNE DES PLANTES
On la prendrait pour une réincarnation de Wangari Maathai. Le militantisme politique en moins, Mama Africa (ou Mère de l’Afrique), Mame Penda Diouf à l’état-civil, a tout de la défunte écologiste et biologiste kényane, surnommée la ”femme des plantes”...
On la prendrait pour une réincarnation de Wangari Maathai. Le militantisme politique en moins, Mama Africa (ou Mère de l’Afrique), Mame Penda Diouf à l’état-civil, a tout de la défunte écologiste et biologiste kényane, surnommée la ”femme des plantes”, prix Nobel de la paix pour sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix.
Mame Penda Diouf partage avec Wangari Maathai le dynamisme, l’amour immodéré pour l’agriculture et du micro-jardinage bio, bref le militantisme écologique.
Comme Obélix, tombé dans la marmite de potion magique lorsqu’il était petit, Mame Penda Diouf déclare être née dans l’agriculture.
“Vous savez, chez nous les Sérères, on commence à aller aux champs enfant, porté sur le dos par nos mamans”, se remémore-t-elle.
Bien qu’elle ait chopé la passion pour l’agriculture dès sa plus jeune enfance, elle ne s’est intéressée au micro-jardinage que quand sa route a croisé celle de Ngouda Bâ. Ce dernier passe pour être le père de cette pratique agricole, qu’il a introduite au Sénégal à la fin des années 1990, à son retour d’Haïti.
“J’ai commencé cette activité en 1999 au côté de feu Ngouda Bâ, ancien directeur de l’horticulture, qui m’a formée”, confie-t-elle, reconnaissante. Depuis, elle n’a plus jamais quitté cet univers. Le pourrait-elle ? Il est permis d’en douter.
Comme un poisson dans les deux petits espaces de pisciculture qu’elle a aménagés sur son site de micro-jardinage, sis au rond-point Liberté VI, elle ne vit que de cette activité. Elle est même devenue une formatrice attitrée et reconnue à travers le monde.
“De 1999 à nos jours, j’ai formé plus de 1 000 bénéficiaires, la plupart membres de groupements de femmes, mais également des jeunes. J’ai également fait bénéficier de mon savoir-faire à des femmes en Côte d’Ivoire, au Mali, en Ouganda, etc.”
Forte de cette expérience, elle a été invitée, en 2008, en Italie, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, célébrée le 16 octobre de chaque année, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Auparavant, en 2006, son projet de micro-jardinage urbain a bénéficié d’un appui, dans le cadre d’un jumelage entre la ville italienne de Milan, et la capitale sénégalaise, Dakar. Dans le cadre de cette association interurbaine, dix-neuf communes de la région de Dakar développeront plus tard des activités de maraîchage urbain sur dix sites d’expérimentation.
Fascination du directeur de la FAO
Deux ans plus tard, “entre 2008 et 2009”, elle reçoit sur son site la visite de Jacques Diouf, son compatriote qui a dirigé la FAO de 1994 à 2011. “Il était émerveillé par mon travail”, se rappelle Mame Penda Diouf, non sans fierté. Elle ajoute : “Il a demandé à Khalifa Sall, à l’époque maire de Dakar, de nous aménager cet espace au niveau du rond-point Liberté VI, qui deviendra la première vitrine nationale de micro-jardinage en milieu urbain.”
L’espace était un dépotoir d’ordures qu’elle a complètement transformé. “J’en ai fait aujourd’hui un centre de formation, de démonstration et de reproduction de graines”, dit la formatrice en micro-jardinage, qui a fait bénéficier de son expertise à des groupements de femmes, “à l’image de celles installées en face de l’hôpital Nabil Choucair”, au quartier Patte d’oie de Dakar.
Avec les travaux de voirie sur le tracé du BRT – Bus Rapid Transit -, les lieux ont quelque peu perdu de leur superbe. Faute de clôture, les feuilles des plantes ont épousé la couleur de la poussière. Pis, des tenanciers d’étals de marchands jouxtant les lieux et des passants en ont fait leur pissoir de fortune.
Mais c’était sans compter avec l’intransigeance de la maîtresse des lieux. Par deux fois, en cette journée ensoleillée, elle en a surpris certains qui sans doute ne s’y prendraient plus. Car, lasse de les empêcher verbalement de souiller le jardin, Mame Penda Diouf, coiffée de son chapeau de paille, n’hésite pas à utiliser la manière forte. Elle avance par surprise, une demi-bouteille d’eau puisée dans le bassin servant à l’élevage d’alevins, à la main, et leur verse le contenu.
“Mame Penda Diouf n’est pas du genre à se laisser faire”, témoigne Emilie Barboza, son bras droit avec qui elle travaille depuis le début. “Elle est comme une grande sœur, une maman même, pour moi. Nous nous entendons très bien, malgré nos tempéraments différents”, dit cette septuagénaire flegmatique.
“La folle amoureuse des plantes”
En fait, Mame Penda Diouf est une amoureuse éperdue des plantes. “On m’appelait la folle des plantes”, sourit-elle. Un surnom que lui ont collé des partenaires italiens après qu’elle a réussi à faire pousser pour la première fois des pommiers au Sénégal.
A l’époque, le président Abdoulaye Wade n’en revenait pas, quand il a vu les pommes exposées lors d’une foire à Dakar.
L’ancien chef de l’Etat avait donné des instructions fermes pour qu’elle soit accompagnée. Mais, “je n’ai rien vu”, se lamente-t-elle. Elle rappelle qu’il y a quelques années, l’actuel président de la République, Macky Sall, qui était son parrain lors d’un concours portant sur le micro-jardinage qu’elle avait gagné, n’a toujours pas fait un geste pour elle.
Pas prophétesse chez elle, Mame Fatou Diouf n’en est pas moins reconnue par des associations étrangères, notamment chinoise, française, italienne. Sur un portfolio aux pages défraichies, elle montre fièrement les photos des prix qu’elles lui ont attribué.
Grâce à son savoir-faire – elle est également préparatrice en pharmacie -, elle a créé des sirops médicinaux à base de laurier, d’Aloe Vera, de curcuma, de mélisse ou citronnelle, de doliprane (l’arbre servant à fabriquer la molécule de paracétamol), etc. Des plantes qu’elle fait pousser sur son site.
“Nous cultivons ici plusieurs variétés de légumes et de fruits censés ne pas pousser dans des pays sahéliens”, explique-t-elle, montrant du doigt un pommier et un poirier.
Aujourd’hui, depuis toujours plutôt, le rêve que nourrit Mame Fatou Diouf est d’inciter les gens à produire ce qu’ils consomment ; s’il en reste, le mettre sur le marché. Elle a même façonné en ce sens un slogan qu’elle aime fièrement partager avec ses visiteurs : “Un toit – un micro-jardin. La faim vaincue, la pauvreté éradiquée”.
En d’autres termes, elle encourage tout le monde à s’adonner à l’activité de maraîchage domestique. Une excellente solution, sa solution, à la lutte contre la faim et la pauvreté. De là à changer son surnom de Mama Africa en Mère des plantes, il y a un pas qu’on est vite tenté de franchir.