ÉLOGE DE LA PUDEUR
Il y a désormais dans notre pays une fâcheuse tendance à se mettre en spectacle. Les dossiers de l’Etat sont exhibés partout. Ce qui devait rester strictement privé est dévoilé, anéantissant la confiance entre les uns et les autres
Lors de la prière de la Tabaski, l’imam de la mosquée Massalikoul Jinan, Serigne Moustapha Mbacké Ibn Serigne Abdoul Khadre, a consacré son sermon à cette valeur inestimable qu’est la pudeur. Il est revenu sur les trois dimensions de la pudeur : vis-à-vis de Dieu, de son prochain et de soi-même.
Revenant sur les enseignements du Prophète et des grands érudits musulmans dont le fondateur du mouridisme, il a exhumé tous les bienfaits relatifs à la pudeur pour un croyant.
«La pudeur fait partie de la foi en Dieu. Elles sont indissociables», assura-t-il avant de préciser que dans les relations humaines tout court, elle est aussi gage de sagesse et d’équilibre. Cette prêche de l’imam de la Grande mosquée mouride de Dakar est une confirmation une nouvelle fois de ce que la religion est au cœur de notre société. Elle a toujours sécrété une morale et des valeurs dont le rappel est un devoir pour celles et ceux qui guident les fidèles vers les chemins de la félicité.
Cheikh Moustapha est dans son rôle en rappelant cette valeur en disparition dans notre pays. En trônant dans son minbar pour s’adresser aux fidèles présents mais au-delà à toute la Oummah, il a la responsabilité d’enseigner et de rappeler les textes sacrés. Dans son hadith célèbre rapporté dans les volumes du Sounan AtTirmidhi, et authentifié par Cheikh Al-Albani, le Prophète (Psl) a dit : «Les savants sont les héritiers des prophètes.» Les Envoyés n’ont laissé ni argent ni biens matériels mais le savoir qui seul libère, enrichit et élève le croyant.
Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne rappelle à longueur de livres et de conférences que le plus grand défi de l’islam demeure la lutte contre l’obscurantisme, qui conduit des musulmans à des comportements contraires à la morale religieuse et à la vie harmonieuse en société. Parmi les éléments-clés que confère notamment le savoir, il y a la valeur de la pudeur, surtout dans une époque où la vulgarité devient une quasi norme. Cette époque aussi est celle de l’exubérance, de l’absence de tenue et la volonté de toujours se mettre en spectacle. Des personnalités politiques aux hommes de médias ou dans les milieux religieux, il y a désormais dans notre pays une fâcheuse tendance à se mettre en spectacle dès que la caméra d’un smartphone est allumée. Les dossiers de l’Etat sont exhibés partout, par ceux-là dont l’armature intellectuelle et morale est si faible qu’elle ne met en exergue que leur impudeur et leur banalité. Ce qui devait rester strictement privé est dévoilé, anéantissant la confiance entre les uns et les autres. Ceci donne une société où toutes les digues explosent, où la limite est sans cesse repoussée pour un gain d’attention parfois très fugace.
Une heure à suivre les médias, notamment sur internet, renseigne assez sur le caractère désormais éculé de la pudeur, suppléée dans la conversation médiatique par le bruit, l’outrance et les coups d’éclat. Les politiques, sur qui repose pourtant la responsabilité de proposer des idées émancipatrices, rivalisent d’ardeur dans la médiocrité et l’absence de tenue. Mais ils sont les produits d’une société qui désormais normalise cette posture. Des émissions entières sont proposées à la radio (surtout le matin) pour que des Sénégalais appellent pour exposer leurs problèmes les plus intimes aux oreilles de millions de gens. Problèmes de couple, de famille, d’héritage, de santé, de pouvoir d’achat, etc. Tout est étalé sur la place publique avec une irresponsabilité fascinante. Nos oreilles curieuses et indiscrètes accueillent la misère du pays au quotidien, et tout le monde ou presque en prend un goût malsain et à terme terrifiant.
Dans son homélie, l’imam Cheikh Moustapha Mbacké s’adresse à nous tous et nous invite à une introspection, à une remise en question sur nos mœurs et sur nos rapports sociaux. Il insiste sur le fait qu’un individu sans pudeur s’enfonce dans l’irresponsabilité car il ne mesure ni les actes qu’il pose ni l’émotion que ceux-ci provoquent. Il finit en rappelant que la pudeur est un marqueur fort de l’humanisme par ces mots : «Si tu es dépourvu de pudeur, c’est comme si tu manquais d’humanisme.» Je souhaite que son sermon si plein de sens et si puissant soit entendu et suivi d’actes par ceux-là qui font au quotidien preuve d’une extrême impudeur alors qu’ils doivent servir d’exemple.
Sur un plan plus personnel, c’est toujours avec une grande joie que j’écoute l’imam Moustapha Mbacké dont j’apprécie l’esprit de sagesse et l’ouverture. C’est un homme religieux qui ne se contente pas de sa natte de prière et de son chapelet. Il est ouvert sur le monde, au cœur des conversations et des bruits qui agitent la société et préfigurent le présent et l’avenir.