COLERES
Les prix augmentent. Les revenus baissent ou stagnent. L’accès aux biens et aux services se pose avec acuité. Cette difficulté de vie, qui touche sans exception toutes les couches sociales, engendre des colères vives ...
Les prix augmentent. Les revenus baissent ou stagnent. L’accès aux biens et aux services se pose avec acuité. Cette difficulté de vie, qui touche sans exception toutes les couches sociales, engendre des colères vives et entraîne très souvent des réactions tout aussi violentes et brutales à la fois.
Désormais, les mécontentements s’emparent des sociétés humaines qui s’engagent à mener des combats pour la décence. Plus personne ne se contente de la rengaine de l’offre et de la demande. L’enjeu déborde le marché sous sa forme classique. Il s’exprime en termes de revenus, d’acquisition, de reconnaissance, de standing, de prestige, de désir, et d’envie réelle tout simplement.
Les citoyens veulent accéder à de cadres vie améliorés dans des environnements sains tout en bénéficiant d’une qualité de bien-être synonyme de progrès et de développement.
De ce fait, le logement résume à lui seul l’équation humaine avec l’immobilier qui flambe dans les grandes villes. Or même là les écarts de revenus favorisent de très fortes disparités entre les zones où la valeur des biens s’apprécie à la hausse permanente. On assiste à une frénésie de construction dans divers quartiers de Dakar.
Partout au centre-ville ou aux alentours immédiats, le déploiement des grues annonce les… hauteurs en vue ! Est-ce l’embellie pour autant ? Toujours est-il que les maires délivrent à la pelle des permis de construire « en accord avec les autorités compétentes et de surveillance ».
Les immeubles sortent de terre à un rythme stupéfiant. Ils s’élèvent plus haut dans le ciel, tenant peu compte de l’esthétique, de l’harmonie ou de l’embellissement. Ainsi, la rapide transformation du visage de la capitale inquiète plus qu’elle ne rassure tant la frénésie d’édification frise l’excès.
En moins de deux décennies, la géographie financière a vite évolué. L’épargne est passée de mode. L’intermédiation bancaire s’exerce de moins en moins. Jusqu’à une période récente, la construction d’immeubles obéissait à un long circuit de financement dans lequel les banques avaient un rôle et une place indiscutables.
Hélas, elles interviennent nettement moins maintenant alors que les coûts pulvérisent des records en termes cherté, de qualité et de technicité faisant le plus souvent appel aux compétences et à l’expertise avérée.
A-t-on cherché à creuser ce « mystère » qui se banalise ? D’où proviennent les capitaux servant à financer ces chantiers… hors sol ? Les banques dégagent en touche. Leur mise à l’écart suscite le doute et interpelle les plus hautes autorités sur les origines licites des sommes en jeu. Est-il concevable que le cash-flow soit le seul mode opératoire ?
Bien entendu, des capacités d’autofinancement sont de l’ordre du possible dans une économie structurée. Néanmoins, l’absence de traçabilité est de nature à aiguiser les soupçons. Dans un régime de liberté, la règle dicte ses règles aux opérateurs pour l’instauration d’une saine concurrence entre acteurs d’égale dignité.
Devant un cadre global d’intégration de nos économies, la libre circulation des biens et des personnes révèle le choix porté sur le Sénégal comme une destination sûre et rassurante des actifs issus de la région ouest-africaines. Cela peut expliquer le boom immobilier. Peut-il le justifier ? Pas évident.
D’autant que les tarifs de la pierre augmentent comme on peut s’en apercevoir avec la hausse vertigineuse des coûts locatifs ou d’acquisition d’appartements. L’arrivée dans notre pays de hauts revenus a un lien avec le renchérissement des prix de l’immobilier.
Les propriétaires sont-ils dans l’anticipation pour satisfaire les fortes demandes pressenties ? Ou bien flairent-ils les « bons coups » avec les dynamiques qui s’annoncent ? La fiabilité des paramètres pose de sérieux problèmes de transparence sur les ventes enregistrées, les transactions, les taux d’intérêt et les politiques publiques dans ces projets fumeux. Il urge de clarifier. Par des opérations de contrôle pluridisciplinaire. Le blanchiment d’argent sale est pointé du doigt.
Tout va si vite que toute lenteur dans la correction ou dans la rectification peut s’avérer coûteuse ou ruineuse d’autant que le mouvement immobilier ne fléchit pas. Au contraire, il se ragaillardit même avec la perspective d’exploitation imminente du gaz et du pétrole qui devrait entraîner dans son sillage l’éclosion d’activités connexes à fort coefficient de croissance.
La relance de la SICAP et des HLM est plus que nécessaire pour faire jouer à ces établissements leur rôle d’impulsion, de régulation, d’arbitre et d’équilibre. Notre pays a encore et toujours besoin d’un « choc d’offre » dans le bâtiment afin de doper le marché en proie à des envolées spéculatives que rien ne saurait justifier.
Au nom de l’équité et de la cohésion des territoires, certains compatriotes, faute de mieux, acquièrent des biens loin de chez eux. Par des politiques d’incitation osée, ils auraient voulu, en grand nombre, jouir de leur retraite dans leur « royaume d’enfance » en retrouvant avec une fierté non feinte leurs racines propres.
Dans une perspective longue, une telle option devrait pouvoir s’accomplir au vu des demandes qui s’expriment comme des besoins inassouvis. Ces catégories de personnes ressources détiennent de fortes réserves de revenus qui ne demandent qu’à être judicieusement investis.
L’embellie immobilière ne dissimule pas pour autant la face cachée du pouvoir d’achat. Lequel se perçoit comme la quantité de biens (ou de services) qu’un revenu permet d’obtenir. En clair, le pouvoir d’achat oscille entre le revenu et le niveau des prix. En plus de la décision d’achat, il y a le moment qui se traduit en termes d’opportunité à acquérir un bien durable : frigo, pirogue, tracteur, terrain, champ entre autres.
Un tel paramètre fait appel au réflexe d’épargne qui fouette de plus en plus l’esprit des Sénégalais devenus plus attentifs aux aléas de la vie. Ils renoncent à certaines dépenses ostentatoires sans prise réelle sur leur quotidien.
En vérité, ils se privent de beaucoup pour faire face aux incertitudes du lendemain. L’école des enfants, la santé de la famille et la nourriture relèvent de ces priorités absolues. En plus, elles sont incompressibles. Le réalisme les habite-t-il maintenant ?
Certains spécialistes de l’économie populaire constatent que la hausse du taux d’épargne explique le ralentissement observé de la consommation. Un tel frémissement peut-il inciter l’Etat à légiférer pour briser la spirale des hausses ?
A cet égard, il dispose de puissants leviers sur lesquels appuyer pour juguler les flambées de prix, les pénuries factices et les ententes sur les prix qui portent atteinte à la concurrence sur les prix.
Autrement dit, les ententes sont des complicités entre acteurs pour dominer un marché ou un segment de marché au mépris des règles concurrentielles favorisant la liberté de choix au grand bénéfice des consommateurs.
La montée des fâcheries collectives n’est pas à négliger. Loin d’être une simple humeur passagère, elle exprime un « mal être », signe d’un essoufflement collectif qui n ‘a pas dit son dernier mot.