LA PRESSE DANS L'ÉTAU DU POUVOIR
Alors que le président Diomaye appelle à un « dialogue rénové », son ministre de la Communication semble jouer la carte de la confrontation. Cette dissonance au sommet de l'État révèle les tensions persistantes dans un secteur médiatique en crise
Alors que la sortie du président de la République en Conseil des ministres, la semaine dernière, avait commencé à redonner espoir à tout un secteur dont l’horizon ne cesse de s’assombrir, celle du ministre chargé de la Communication remet tout en cause. À entendre Alioune Sall, les patrons perdent leur temps à aller solliciter l’arbitrage du chef de l’État.
‘’… Le président a appelé à un dialogue rénové avec la presse nationale, soulignant que la situation de la presse mérite une attention particulière du gouvernement et des mesures de redressement appropriées’’. Ainsi s’exprimait le président Bassirou Diomaye Faye, dans le communiqué du dernier Conseil des ministres, le mercredi 14 aout 2024. Deux jours après, au lieu de poser les jalons pour un dialogue, son ministre chargé de la Communication, profitant du lancement de la plateforme pour la déclaration des médias, s’est livré à un véritable exercice de déballage.
Même si l’exercice a son importance, pour avoir permis aux Sénégalais d’avoir des informations concrètes sur la gestion de leurs deniers publics, on peut s’interroger non seulement sur la méthode cavalière avec laquelle cela a été mené dans un contexte où le chef de l’État prône la désescalade, mais surtout sur les réelles motivations du ministre. C’est à croire que dans le gouvernement du président Diomaye, il est des voix qui n’ont aucune envie d’une normalisation des rapports.
La sortie du ministre de la Communication tend, en tout cas, à conforter une telle thèse. Face à la presse, Alioune Sall réduit la voix du chef de l’État à sa plus simple expression. Pour lui, les choses vont se décider au ministère et non à la présidence. ‘’J’ai dit aux patrons de presse et je le répète : l’interlocuteur premier, c’est le ministère de Communication. On a beau avoir des entrées à la présidence de la République, tout ce qu’on veut, mais c’est le ministère de la Communication qui va régler les problèmes avec le secteur. Et encore une fois, cette période où l’on va sauter le ministère pour aller régler les problèmes au niveau de la présidence, c’est révolu’’, peste-t-il.
Un patron averti en vaut mille
Seulement, le ministre oublie très vite. Lui-même a dit dans son intervention que depuis son installation à la tête du département, il a eu à rencontrer presque toutes les organisations de la presse. Les problèmes ont été exposés par tous les acteurs. Depuis lors, rien n’a bougé ; la situation n’a eu de cesse de se détériorer, conformément à la fatwa du Premier ministre Ousmane Sonko. Une fatwa réitérée à plusieurs reprises. Et la sortie du ministre s’inscrit plus dans cette logique que dans celle d’apaisement du président de la République.
‘’Le nœud du problème, fulmine Alioune Sall, c’est le fisc. On ne peut prendre ça pour alibi et créer des problèmes qui n’existent pas. Beaucoup m’ont appelé pour parler de médiation, mais je n’en vois pas la pertinence. Une médiation suppose des problèmes entre deux parties. Je le dis et je le répète : l’État du Sénégal n’a aucun problème avec un quelconque média’’.
Depuis le début de cette affaire, les tenants du régime ont tout fait pour assoir leur accusation selon laquelle le seul problème c’est que les entreprises de presse refusent de payer l’impôt. Pourtant, le Cdeps ne manque presque jamais une occasion de corriger : ‘’Le combat auquel le Cdeps est contraint exigeait de tous d’exprimer par ce moyen notre refus d’être indexés comme de mauvais contribuables ; ce qui est totalement faux et inacceptable.’’ La journée sans presse, insistait l’organisation, ‘’était aussi la réponse des médias sénégalais au refus de dialoguer des nouvelles autorités sur les problèmes de la presse’’.
En vérité, expliquent les patrons, le nouveau régime a posé des actes dont le dessein est d’étouffer économiquement et fiscalement les entreprises de presse privées. En guise d’exemple, ils énumèrent les poursuites fiscales, alors que, insistent-ils, ‘’les entreprises ne refusent pas de payer les impôts’’ ; il y a aussi le gel des créances sur l’État ; la résiliation unilatérale des contrats publicitaires ; le blocage de l’aide à la presse ; la confiscation des deux bouquets du groupe Excaf, etc.
Saluant l’appel du président de la République à ‘’un dialogue rénové avec la presse’’, le Cdeps se dit convaincu que ‘’la concertation est utile pour sortir de ce malentendu qui ne doit pas prospérer et de s’engager à trouver les solutions structurelles afin de permettre à l’entreprise de presse de se consolider’’. L’organisation se dit ‘’disponible comme par le passé à répondre favorablement à cet appel présidentiel’’ pour discuter sur ‘’les conditions à réunir pour une presse républicaine, libre et indépendante, viable économiquement’’.
Le ministre attend-il la bénédiction d’Ousmane Sonko ?
Si le président de la République et les patrons semblent disposés à aller vers une désescalade, il y a à ce jour une voix qui manque. C’est celle du Premier ministre Ousmane Sonko qui ne vaut pas moins que celle du président. À telle enseigne que certains s’interrogent même sur qui est le vrai chef.
Invité hier du ‘’Grand Jury’’ sur la RFM, l’ancien candidat à la Présidentielle, Thierno Alassane Sall, commentant la reproduction des pratiques du système par le régime actuel qui prônait l’antisystème, déclare : ‘’Avec les anciens régimes, on savait au moins qui était le chef. C’était le chef constitutionnel qui dirigeait l’Exécutif. Aujourd’hui, on a l’impression que nous avons un bicéphalisme qui ne dit pas son nom, avec des pouvoirs détenus par le Premier ministre, sans que la Constitution ne lui en confère les prérogatives. Cela pose problème. Les gens ne savent même pas à qui s’adresser, qui a le dernier mot dans ce pays.’’
Alors que le ministre de la Com met publiquement un bémol sur les instructions présidentielles, les actes du PM renseignent sur son omnipotence : lui qui est consulté par le ministre de la Justice sur des affaires banales touchant à des militants de son parti, lui qui impose son timing à l’Assemblée nationale et au président de la République pour la DPG, lui qui s’illustre dans des sorties sur des questions diplomatiques majeures, allant parfois à l’encontre de la ligne que semble tracer le président de la République. Même si, à chaque fois, il s’empresse de dire qu’il agit en tant que président de parti et non en tant que PM et n°2 de droit.
‘’Même quand le président de la République fait son discours lors du Concours général, il organise derrière sa cérémonie et on sait ce qui s’ensuit’’, informait Thierno Alassane Sall.
Il faudra peut-être son onction, pour que le ministre de la Communication daigne accélérer le processus, pour trouver enfin des solutions aux maux qui assaillent le secteur de la presse.
La société civile engage la médiation
Malgré les instructions du président de la République, c’est encore le statu quo. Depuis le dernier Conseil des ministres, aucun acte allant dans le sens d’un dialogue n’a été posé. En lieu et place, les parties continuent plutôt de se regarder en chiens de faïence, avec un ministre obnubilé par la tentative de légitimation des actes qui ont été posés par le gouvernement et une partie de la presse convaincue de la volonté du ministre de les livrer à la vindicte populaire.
Face à cette inertie du ministre qui tient à réaffirmer ses pleines compétences, mais qui ne fait rien pour recoller les morceaux, des acteurs de la société civile et de l’Assemblée nationale s’activent pour essayer de trouver des solutions de sortie de crise.
Selon nos informations, des organisations comme Amnesty International travaillent dans ce sens, tout comme le Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce) qui a déjà été rencontrer la Cap. Cette dernière, informe-t-on, préfère, pour le moment, se concentrer sur la finalisation du rapport des assises nationales de la presse. La remise des conclusions pourrait d’ailleurs servir de cadre ou de prétexte pour amorcer le dialogue entre l’Exécutif et la presse.