LA CROISADE JUDICIAIRE QUI POLARISE LE PAYS
La "reddition des comptes" lancée par le nouveau gouvernement soulève autant d'espoirs que de questions sur ses méthodes. L'initiative, qui rappelle l'affaire Karim Wade, met à l'épreuve l'équilibre entre volonté populaire et respect de l'État de droit
(SenePlus) - Le nouveau gouvernement, dirigé par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, intensifie ses efforts pour enquêter sur la gestion de l'ancien régime de Macky Sall. Cette démarche, baptisée "reddition des comptes", suscite cependant des inquiétudes quant à ses méthodes et sa légalité.
Le Premier ministre a récemment adopté un ton ferme, déclarant : "S'il faut les tirer par les orteils, nous le ferons pour qu'ils reviennent. Dans les jours à venir, c'est par dizaines qu'ils vont rendre compte." Cette rhétorique s'est traduite par des mesures concrètes, notamment des interdictions de sortie du territoire pour plusieurs anciens hauts responsables.
Cependant, le flou entourant ces procédures est dénoncé par l'opposition. Omar Youm, cadre de l'ancien parti au pouvoir, s'indigne dans les colonnes du journal Le Monde : "Ces personnes empêchées de voyager ne savent même pas si elles sont formellement visées par des enquêtes judiciaires. Il y a de fortes chances que ces restrictions graves ne reposent sur aucune base légale."
Le parallèle avec l'affaire Karim Wade en 2014 est inévitable. Alioune Tine, fondateur du Think tank AfrikaJom Center, souligne : "Tout le monde s'accorde à dire que le procès du fils de l'ancien président Abdoulaye Wade avait été entaché par le non-respect des droits à la défense. Et cela avait fait du mal à la lutte contre la corruption. Cette fois, les nouvelles autorités doivent faire mieux."
Face à ces critiques, le gouvernement se défend. Le ministère de la justice interrogé par par Le Monde, justifie les interdictions de sortie du territoire en affirmant "qu'au moins cinq personnes mises en cause ont déjà disparu dans la nature". Ayib Daffé, secrétaire général du parti au pouvoir, Pastef, insiste : "La population veut cette reddition des comptes. En vérité, la rue nous dit qu'on ne va pas assez vite, pas assez durement. Mais on veut faire les choses comme il faut."
Pour renforcer la légitimité de cette démarche, le gouvernement a mis en place un nouveau pool judiciaire financier, remplaçant l'ancienne Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI). Ce nouveau dispositif prévoit notamment la possibilité de faire appel et met fin au renversement de la charge de la preuve, répondant ainsi à certaines critiques formulées lors de l'affaire Karim Wade.