THIAROYE 44 : CE QUE J'EN SAIS
C’est en 1962, après l’Ecole de Saint Cyr, alors sous-lieutenant, que j’ai découvert l’histoire des Tirailleurs Sénégalais dont le corps a été créé par Faidherbe en 1957. En retournant au Sénégal, j’ai été choqué d’apprendre la tragédie de Thiaroye

C’est en 1962, après l’Ecole de Saint Cyr, alors sous-lieutenant, que j’ai découvert l’histoire des Tirailleurs Sénégalais dont le corps a été créé par Faidherbe en 1957. En effet, à la fin de mon séjour dans un camp de vacances à Innsbruck, en Autriche, le propriétaire, d’un certain âge, n’a pas voulu que je paie la facture. Il m’a expliqué qu’il a été prisonnier des Allemands avec les Tirailleurs Sénégalais. IL a loué leur courage et leur gentillesse.
J’ai également visité, à cette période, les villes de Toulon et de Fréjus, où une mosquée et un Tata (Case Africaine, cimetière) témoignent de la participation importante des Tirailleurs Sénégalais à la libération de la Provence. D’ailleurs, un Sénégalais a été maire de Fréjus.
En retournant au Sénégal, j’ai été choqué d’apprendre la tragédie de Thiaroye, le 1er décembre 1944. J’ai aussi reçu l’information dramatique du massacre en juillet 40 par les Allemands, de près de 200 Tirailleurs Sénégalais, dont 58 à la mitrailleuse et au char, appartenant au 25ème Régiment des Tirailleurs Sénégalais à Chasselay près de Lyon. En ce qui concerne Thiaroye, j’ai consulté une dizaine de livres parlant des Tirailleurs Sénégalais, en particulier, « l’Epopée des Tirailleurs Sénégalais » par Eugène Jean Duval, Contrôleur Général des Armées, «Thiaroye 1944» de Martin Mourre et «Crimes et Réparations» de Bouda Etemad.
Le Professeur Buuba DIOP et Monsieur Mamadou KONE, historiens, m’ont aidé dans mes recherches.
Ce qui me parait le plus important à savoir dans le massacre de Thiaroye, c’est le rapport du Colonel Carbillet, Commandant de l’opération du 1er décembre 1944.
Dans l’épopée des Tirailleurs, l’auteur signale qu’il n’y a pas eu de compte- rendu émanant des Tirailleurs, ce qui démontre que les informations sont unilatérales et sans contradiction.
Après l’opération, le service de santé militaire rapporte qu’il y a eu 24 morts sur place, 47 blessées et 48 survivants qui ont été condamnés par le tribunal militaire à des peines allant de 1 à 10 ans de prison pour mutinerie. Certaines sources parlent de 70 à 300 tués
Une autre information importante qui démontre que ces anciens militaires étaient désarmés, c’est la liste des armes trouvées sur place après la fouille : « de nombreux couteaux et baïonnettes, des grenades F1, un revolver 1892, des coupecoupes, etc. » Ce qui démontre que ces anciens prisonniers appelés «mutins»étaient désarmés car démobilisés. En effet, la dotation classique d’une unité militaire en armement se compose de fusils, de mitrailleuses, etc., et non de couteaux.
Une autre anomalie : Je n’ai pas trouvé les deux tableaux d’effectifs nominatifs avec numéros de matricules avant et après l’opération. Ces tableaux devaient figurer parmi les documents importants traitant de cet évènement.
La juriste Professeur Amsatou Sow Sidibé pose la question de « la qualification des faits de Thiaroye 44 ». Julien Fargettas, Armelle Mabon et Martin Mourre ont traité la sémantique entre tragédie, massacre et crime de masse. Ils ont choisi le terme « massacre ».
Pour parler de la cause de cet évènement, il faut remonter à quelques mois avant l’arrivée des Tirailleurs à Dakar. En effet, après 4 années d’emprisonnement dans les fronstalags allemands sans être payés, ils ont exprimé leur mécontentement à Morlaix, Hyères, Agen, Sète, Mont Marsan, Versailles, etc. D’ailleurs ils étaient nombreux à ne pas vouloir embarquer dans le bateau anglais Circassia pour rentrer en Afrique avant d’être payés.
En effet, la Circulaire 2080 du Ministère de la Guerre précisait « que la solde de captivité des anciens prisonniers de guerre devait être entièrement liquidée avant le départ de la métropole ». Ce qui n’a pas été le cas et qui explique leur mécontentement.
Donc dire que la propagande allemande sur les anciens prisonniers était la cause de leur révolte ne peut pas être retenue. Il faut aussi préciser que le comportement des Tirailleurs Sénégalais vis-à-vis de la « supériorité du blanc » avait changé. Au combat, ils ont vu que les balles allemandes ne faisaient pas la différence entre le blanc et le noir, que les blancs, comme eux, sont des êtres humains qui pouvaient avoir peur et pleurer dans la souffrance. Certains tirailleurs ont même pu marier des Françaises. D’ailleurs, le Professeur Iba Der THIAM a parlé de changement de mentalité des Tirailleurs Sénégalais après la guerre. Ils n’avaient plus le complexe du Blanc.
Dire que les « mutins » ont ouvert le feu les premiers ne peut être qu’une contre-vérité. En effet, entre 6 heures et 7 heures du matin au début de l’opération, ils sortaient tout juste du lit et certains ont même cru que les tirs étaient des cartouches à blanc, jusqu’au moment où ils ont vu leurs camarades tomber. Je n’ai trouvé aucun rapport officiel donnant des informations sur la sépulture des morts. Pourtant, l’Inspecteur Mérat soutient que ce drame de Thiaroye n’est « la faute de personne ». Cependant, en 2014, Le Président Hollande a parlé « de la répression sanglante de Thiaroye » et a reconnu « le non versement de leurs arriérés de solde et d’indemnités, faute fonds suffisants.»
Auparavant, le Président Mitterrand avait, lors d’une visite au Sénégal, parlé d’une « dette de sang » vis-à-vis des tirailleurs. Il faut aussi préciser que les soldes payées aux ex-prisonniers étaient très inférieures à celles payées aux métropolitains. C’est l’équivalent de 230 euros aux Tirailleurs et 690 euros aux métropolitains. En plus, le Président De Gaulle a «cristallisé » ces indemnités en 1959. C’est-à-dire qu’il les a bloquées à cette date, sans tenir compte de l’inflation. Un séjour en France leur était imposé.
A l’occasion de la tragédie de Thiaroye, le Président Senghor, ancien combattant de la 2eme Guerre Mondiale, ancien prisonnier du 3e régiment d’Infanterie Coloniale au frontstalag 230 de Poitiers, académicien français, dont l’attachement à la France est indiscutable, a dit qu’il ne reconnaissait pas la France, patrie des droits de l’homme dans cet évènement.
Pourtant les présidents De Gaulle et Mitterrand ont reconnu que sans la colonisation la France ne serait pas une grande nation. Bouda Etemad, dans « Crimes et Réparations », pose la question suivante : « Pourquoi choisit-on de préférence la Traite Négrière, l’Esclavage ou l’extermination des populations indigènes dans le cadre de la décolonisation à d’autres «crimes», lorsque l’on fait valoir que l’écoulement du temps n’efface pas les responsabilités de ceux qui, dans un passé souvent lointain, ont commis de tels actes ? »
Le réveil des consciences des Tirailleurs Sénégalais décomplexés sur le fait qu’ils étaient égaux des Blancs après leur douloureuse expérience partagée avec eux, peut-être la graine qu’ils ont semée pour que les Africains aspirent à l’indépendance obtenue dans les années 1960.
Il faut reconnaitre que l’impact de la participation des Tirailleurs Sénégalais aux deux Guerres mondiales n’est pas oublié partout en France. En effet, chaque année, les habitants de la ville de Lectoure, dans le Gers, honorent les 73 Tirailleurs appartenant au 84ème Bataillon des Tirailleurs Sénégalais enterrés sur place pendant la Grande Guerre. De même, à Chasselay, les habitants organisent régulièrement une cérémonie honorant la mémoire des Tirailleurs Sénégalais tués en juin 1940 par la Division SS Totenkopf et le régiment Grossdeutschland. Un cimetière Tata y a été également construit en leur mémoire.
Chaque année, le D-Day du 6 juin 1944, date du début de la libération de la Normandie par des troupes alliées commandées par les Américains, est célébré en grande pompe, en 2024, c’est en présence de 25 chefs d’Etat et de gouvernements, dont aucun Africain. C’est comme si on oublie que le Sud de la France a été libéré, en grande partie, par les soldats africains »
NB : J’ai commencé cette recherche bien avant d’apprendre qu’une commission de remémoration présidée par le Professeur Mamadou Diouf a est installée. Je suis sûr que leur travail sera plus complet que le mien.
*Le titre est de la rédaction **