ENTRE PAUVRETE ET URBANISATION, LES RACINES DES CRIMES ODIEUX
Les crimes violents se multiplient au Sénégal, en particulier dans la banlieue dakaroise.

Les crimes violents se multiplient au Sénégal, en particulier dans la banlieue dakaroise. Criminologues, psychosociologues, autorités religieuses et populations locales s’accordent pour pointer une dégradation des valeurs fondamentales, amplifiée par la pauvreté et la promiscuité. Ce cocktail explosif, mûri sur plusieurs années, éclate aujourd’hui au grand jour, suscitant l’inquiétude et interpellant les autorités étatiques.
Dans la nuit du mardi 31 décembre au mercredi 1er janvier, Malika a été secouée par une sordide affaire de viol suivi de meurtre. Une fillette de 12 ans, Souadou Sow, plus connue sous le nom de Diary Sow, a été retrouvée morte dans l’appartement d’un voisin proche de la maison familiale.
Entre juillet et août 2024, 16 meurtres ont été enregistrés au Sénégal, selon le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, le général Jean Baptiste Tine. Lors de son voyage au nord du pays entre fin août et début septembre 2024, il a évoqué cette série noire. La banlieue dakaroise n’a pas été épargnée par ce fléau, marqué par une succession d’homicides.
Une série macabre
En début d’année, Abdou Diaw a été égorgé à la Sogas (ex-Seras). Quelques jours plus tard, à Thiaroye-Sur-Mer, un pêcheur, Baye Cheikh Diop, subissait le même sort avant que les populations ne lynchent son meurtrier. Un adolescent a également été tué à Guinaw Rails pour un simple vélo. Des agressions mortelles ont été recensées à Pikine, Guédiawaye et Yeumbeul. La liste s’allonge avec le double meurtre d’Abdoul Aziz Ba, alias Aziz Dabala, et de son colocataire Boubacar Gano, dit Waly, à la Cité Technopole de Pikine.
Toutes ces affaires ont un dénominateur commun : leur atrocité. Cette recrudescence de violences terrifie les populations, qui appellent à des mesures fermes pour enrayer ce phénomène inquiétant.
Urbanisation et déliquescence des valeurs
Le professeur Benoît Tine, socio-criminologue à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, analyse cette vague de crimes. « Ce qui choque le plus, c’est que les auteurs de ces actes sont souvent inconnus des forces de l’ordre. Ces présumés criminels ont un casier judiciaire vierge et exercent parfois des métiers honorables. Ce sont des citoyens lambda, hors de tout soupçon. Cela montre que nous sommes tous, potentiellement, des criminels », explique-t-il.
Selon lui, la violence dans la banlieue est principalement due à des frustrations économiques. « Les meurtres sont souvent la conséquence de frustrations liées au chômage, à l’injustice sociale, aux inégalités et à la pauvreté. Ceux qui passent à l’acte cherchent à obtenir illégalement ce qu’ils ne peuvent acquérir de manière légale. »
M. Tine met également en cause l’urbanisation galopante. « La société sénégalaise est en pleine mutation. Le monde rural se dépeuple tandis que les villes accueillent une population croissante. Cette urbanisation favorise la violence sous toutes ses formes : physique, verbale, sexuelle, économique, sociale, etc. En ville, il faut se battre ou disparaître, comme dans une jungle où les plus forts écrasent les plus faibles. »
Le lien social s’effrite, les valeurs traditionnelles disparaissent, laissant l’individu vulnérable. « Cette crise des valeurs plonge l’individu dans une solitude extrême. La violence ne se dirige pas seulement contre autrui, elle peut également être tournée contre soi-même », conclut le professeur Benoît Tine.
La pauvreté, racine du mal ?
Abdoulaye Cissé observe également avec intérêt cette vague de crimes dans la banlieue dakaroise, que ce soit à Guédiawaye, Pikine, Thiaroye, Keur Massar… Psychosociologue de profession, il est habitué à déceler les mécanismes de fonctionnement individuel, mais aussi de groupes. Autant dire que cette série mortifère l’intrigue et l’interpelle. « En ce qui concerne les crimes recensés dernièrement en banlieue dakaroise, l’argent demeure le principal mobile dans une société fortement matérialiste et au sein de laquelle l’avoir prime sur l’être.
Pour de modiques sommes d’argent, les gens n’hésitent plus à passer à l’acte. Et la société, en elle-même, est en partie responsable de cela puisque l’individu n’est apprécié et considéré que par rapport à ce qu’il « a » et non ce qu’il « est ». C’est à ce niveau où la responsabilité de la société est engagée », analyse-t-il. Pour lui, une société qui ne vous considère que par rapport à ce que vous avez financièrement est une société qui pousse ses enfants à aller chercher cette richesse n’importe comment. « L’exemple le plus patent est le phénomène du « barça » ou « barsak ».
Autrement dit, la personne a pris l’option ultime qui ne lui offre que deux issues, soit la réussite projetée (barça) ou la mort inéluctable (barsak) pour espérer « exister » ultérieurement dans une société plus que mercantiliste », analyse-t-il. Abdoulaye Cissé déplore donc la primeur de l’argent sur tout le reste. Ainsi, pour exister dans la société, il faudrait avoir les moyens, ou alors risquer de se faire écraser par les plus nantis. Le psychosociologue prône le retour aux valeurs sociales de base de la société sénégalaise, condition sine qua non d’un endiguement de la violence, notamment dans la banlieue.
« Pour revenir à la banlieue, tous les crimes recensés ces dernières années ont été commis pour de l’argent (honorable Fatoumata Makhtar Ndiaye, Fatou Kiné Gaye et l’affaire Aziz Dabala et son colocataire). Le seul et unique mobile demeure l’argent à la veille d’événements ou de cérémonies d’ordre social ou religieux. Par rapport aux profils des auteurs, il s’avère qu’ils sont toujours dans l’entourage proche des victimes soit c’est un parent, un « ami », un collègue de travail, entre autres. Quelqu’un qu’on n’aurait jamais soupçonné, et cela, de nombreuses études et recherches scientifiques l’ont démontré. Voilà où nous en sommes actuellement dans notre pays », souligne encore M. Cissé.
Une éducation vacillante
Néanmoins, il ne s’agit pas seulement d’incriminer l’argent, ou de tout mettre sur le dos de la pauvreté. D’autres facteurs peuvent expliquer la banalisation de la vie humaine. Si tuer est devenu aussi facile de nos jours, c’est qu’il y a un aspect mental et comportemental qui pose question. Assis dans son salon à Hamo 4, à Guédiawaye, Imam Diop indexe les parents et autres personnes tutélaires. Ces derniers, dépositaires de l’éducation des enfants, ont failli dans leur mission. Et selon lui, cela ne date pas seulement d’aujourd’hui. C’est simplement que la bombe a choisi ce moment pour exploser. Sous sa djellaba blanche, de la même couleur que sa barbe et ses cheveux, il tire la sonnette d’alarme. « Ce que je pense de tous ces crimes, c’est la négligence de l’éducation, à tous les niveaux : sur le plan religieux, familial, au niveau de la société aussi.
Avant, les personnes âgées rectifiaient leurs enfants concernant de nombreux comportements, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’enfant est libre de faire ce qu’il veut, de s’habiller n’importe comment, de dire tout ce qu’il pense…sur le plan religieux, on sait qu’on a un héritage religieux extraordinaire dans ce pays-là », déplore l’imam. « Je pense que les guides religieux de toutes les obédiences doivent insister sur l’essentiel, le respect de certaines valeurs. Il faut faire une critique sociale en convoquant les savants, puis les envoyer dans les médias pour transmettre les bons messages, sensibiliser les populations. Vous savez, quand une personne craint vraiment Dieu, elle évite de faire du tort à autrui », et de rappeler que, selon le Coran, « Quiconque tue intentionnellement un croyant, sa rétribution sera l’enfer, il y demeurera éternellement, et Dieu le frappe de sa colère, le maudit et il aura un châtiment énorme » (Coran, Les Femmes, 93), développe-t-il.
Par Oumar dit Boubacar Wane NDONGO