LE COTISATIONNISME OU LA FIN DU NUMÉRAIRE DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES
EXCLUSIF SENEPLUS - Que vaut Diomaye-Moy-Sonko face à Trump-Moy-Musk ? Ce n’est pas en attisant les tensions internes par la désignation de boucs émissaires que notre pays donne le sentiment d’être assez préparé aux mutations en cours

Le député non inscrit Thierno Alassane Sall, auteur de la première proposition de loi d’intérêt général portant abrogation de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024, a pris l’initiative du débat national sur la « guerre commerciale » annoncée par le président américain Donald Trump. Voici, in extenso, la réflexion que le parlementaire a publiée sur sa page du réseau professionnel LinkedIn et à laquelle nous avons réagi.
Nous citons Thierno :
« La nouvelle guerre commerciale déclenchée par les États-Unis, qui n’épargne même pas ses alliés traditionnels, nous concerne également. Le monde peut basculer dans une crise dont les premières victimes seront ceux qui ne s’y sont pas préparés. Aucun pays, aussi périphérique soit-il, ne peut échapper aux secousses des grandes plaques tectoniques de l’économie mondiale.
Le Sénégal, en apparence éloigné de ce tumulte, risque de subir des contrecoups économiques majeurs : chaos économique mondial, ralentissement des échanges, perturbation des chaînes logistiques, hausse des prix des biens importés. Et malheureusement, comme toujours, les répercussions sociales toucheront en premier les populations les plus vulnérables.
Mais le plus grave est ailleurs. Alors que le monde entre dans une phase de reconfiguration brutale des rapports de force, nous restons spectateurs : désorganisés, souvent mal informés, et sans vision cohérente. La situation mondiale actuelle exige de notre gouvernement une stratégie claire, fondée sur l’anticipation géopolitique, la préparation du pays à d’éventuelles crises, et un engagement fort en faveur de la justice sociale.
Le Sénégal n’est pas hors du monde, et nous ne sommes certainement pas les mieux protégés. Cela doit nous inciter à plus de vigilance, de lucidité et de sérieux. » Fin de citation.
Bataille des idées
Trump et Musk sont les deux principaux locuteurs étasuniens dont les atouts financier, militaire et technologique justifient le chantage commercial auquel il expose le reste du monde à travers une remise en cause brutale des accords commerciaux patronnés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
L’effondrement du multilatéralisme sous les coups de boutoir des Etats-Unis coïncide avec l’arrivée au pouvoir de régimes dits souverainistes dont celui du Sénégal depuis un an déjà.
Une union souverainiste mondiale est-elle en préparation ? Si oui, de quoi est faite la contribution sénégalaise à la donne qui vient ?
Pour l’instant, tout indique que ce n’est pas en attisant les tensions internes par la désignation de boucs émissaires au niveau le plus élevé de l’État que notre pays donne le sentiment d’être assez préparé face aux mutations violentes qui s’opèrent sous nos yeux.
Qu’on le veuille ou pas, une bataille des idées est inévitable. Dans l’actuelle phase préparatoire que vaut vraiment Diomaye-Moy-Sonko face à Trump-Moy-Musk ?
Le post de Thierno Alassane Sall pose en filigrane la même question dont je nous invite à trouver la réponse décomplexée qui suppose, elle, une union sacrée par-dessus les clivages artificiels.
L’antidote du souverainisme
Interrogé (BFMTV, 3 avril 2025) sur la guerre commerciale déclarée au monde entier par Donald Trump, le journaliste français et éditorialiste politique Alain Duhamel dit de Trump qu’il est « une calamité, mais pas un idiot » avant d’ajouter que le locataire de la Maison-Blanche est « un sanguin, mais pas un crétin ». Nous en déduisons qu’il y a une chance pour les idées d’adoucir les mœurs calamiteuses et sanguinaires du milliardaire qui n’a que du mépris pour les pauvres du monde entier en commençant par ceux de l’Afrique encore spectatrice de son propre destin.
Écoutons d’abord les souverainistes d’ici :
« Il n’est pas normal que notre or, notre zircon, notre fer et que sais-je encore ne nous rapportent pas autant qu’on voudrait faute de les avoir transformés par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Il est temps que nous soyons autosuffisant en riz… »
Mais qu’attendent-ils pour répondre concrètement à nos besoins internes. Et pendant qu’on y est, qu’ils fassent tout pour nous permettre de fabriquer nos ordinateurs, smartphones, voitures, avions, bateaux et j’en oublie.
Qu’ils fassent ce qu’ils disent qu’ils doivent faire pour être enfin souverains.
Et quand tout sera là, que faire du surplus ? Autrement dit, quel marché de consommateurs est suffisamment grand pour consommer les surplus souverainistes ?
Et même si le marché existe, mais n’est pas suffisamment grand, où stocker et comment stocker l’excès de zèle souverainiste ? Aucun territoire n’est assez vaste pour.
L’impasse indique une autre direction : le cotisationnisme.
L’antidote du souverainisme, signifie une division juste du travail qui transforme le monde en une association dont les nations qui en sont membres cotisent en se singularisant par autre chose que le numéraire à bout de souffle partout pour cause de surendettement. C’est le cotisationnisme.
Dans son exégèse publique (Tivaouane, avril 2006) du Saint-Coran, le savant soufi sénégalais Cheikh Ahmed Tidiane Sy conforte les bases théologiques du cotisationnisme à travers deux versets dont l’interprétation indépassable par le conférencier fustige l’échange inégal (verset 20:131) et l’accumulation (verset 10:58) auquel conduit le souverainisme outrancier. Les voici :
Et ne tends point les yeux vers ce dont Nous avons donné jouissance temporaire à certains groupes d’entre eux, comme décor de la vie présente, afin de les éprouver par cela. Ce qu’Allah fournit est meilleur et plus durable (20:131)
Dis: « [Ceci provient] de la grâce d’Allah et de Sa miséricorde; Voilà de quoi ils devraient se réjouir. C’est bien mieux que tout ce qu’ils amassent » (10:58)
Samir Amin (1931-2018) a longuement décrit un système d'échange inégal dans lequel « la différence de salaires entre les forces de travail de différentes nations est supérieure à la différence entre leurs productivités ».
S’agissant du nouveau mouvement d’idées que nous proposons ici, il tire ses ressorts économiques internes de l’économie institutionnelle ou institutionnalisme qui articule la théorie économique et les politiques économiques en faisant de l’institution son objet là où les autres théories économiques définissent la valeur.
Présentée à ses débuts par Thorstein Bunde Veblen (1857-1929), John Rogers Commons (1862-1945) et Wesley Clair Mitchell (1874-1948), l’institutionnalisme est illustré, au début du XXe et jusqu’au commencement du XXIe siècle, par les économistes John Kenneth Galbraith (1908-2006), Gunnar Myrdal (1898-1987) et François Perroux (1903-1987) à travers le néo-institutionnalisme juste après la Seconde Guerre mondiale.
De nos jours, la performance, illustrée par, entre autres, l’efficience, l’efficacité, la rationalisation et la gestion de la rareté, est au cœur de l’économie politique. De la même manière, les institutions efficientes et les réformes institutionnelles, pour toujours plus d’efficience desdites institutions, sont au cœur de l’économie politique institutionnelle.
Dans les relations internationales, la fin de la valeur coïncide avec la fin du numéraire, correspondant au postulat de base de l’institutionnalisme universel ou cotisationnisme.
Concrètement ?
À défaut d'une juste rémunération des efforts déployés au Sud, l'Impôt des droits fondamentaux (IDF), payé par le Nord et auquel sont assujetties les grosses fortunes au Sud, devrait permettre de rendre l'équilibre de la balance des paiements socialement plus juste. La satisfaction des demandes sociales incompressibles en dépend. L'équilibre obtenu grâce à l'Impôt des droits fondamentaux permet de combler les déficits, voire de créer un surplus et d'asseoir durablement la parité des fondamentaux. Celle-ci corrige les distorsions entre l'effort au Sud et sa rétribution sur le marché mondial des biens et services. Il suffit de s'en tenir ensuite, explique l’économiste sénégalais Makhtar Diouf, « à la nomenclature classique des biens de consommation (alimentation et boissons ; habillement et linge ; habitation ; hygiène et santé ; transport, télécommunication, information ; culture et loisirs) qu'on trouve dans tous les manuels d'économie politique » pour évaluer l'impact de la parité sur la population. Le but de la parité est d'asseoir partout un développement durable qui, comme chacun le sait, permet de conjuguer la croissance économique avec le souci d'équité sociale et la protection de l'environnement. La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (ou Sommet de la Terre) de 1992 a débouché sur un consensus international quant à la nécessité d'un développement durable.
En cas de baisse ou de suppression pure et simple de l'IDF, une parité des fondamentaux, auto entretenue est nécessaire. Celle-ci peut être gagée sur une croissance paritaire, résultat d'une diversification des produits, de la diversité des producteurs et de la suppression des subventions de toute sorte versées aux producteurs du Nord.
L'abandon par les individus de leurs identités rigides s'ils sont appelés à faire partie de sociétés diverses et à épouser les valeurs cosmopolites de tolérance et de respect pour les droits de l'homme universels est un puissant facteur d'équité sociale. Il permet, entre autres, d'éradiquer les discriminations à l'embauche. Au Sénégal notamment depuis le changement de régime. Une protection réussie de l'environnement passe, elle, par la sauvegarde de la diversité des espèces animales et végétales.
La diversité des produits et des producteurs, la promotion des modèles de démocratie multiculturelle ou consociative (Michalon, Le Monde diplomatique, janvier 2004) -, prévoyant des mécanismes efficaces de partage du pouvoir politique entre groupes culturellement divers -, et la biodiversité constituent les trois volets de la diversité durable, stade suprême du cotisationnisme.
Abdoul Aziz Diop est le fondateur de Pacte institutionnel (Pi, π) pour la défense de la démocratie et des institutions de la République…