MOUSSA PAYE, JOURNALISTE, INTELLECTUEL, REVOLUTIONNAIRE
Moussa, je n’ai pas souvenance que tu aies jamais manqué un rendez-vous après que ton engagement avait été acquis, lorsque la cause méritait que tu fusses aux côtés d’autres volontaires pour servir ton pays, pour servir ton peuple. Mais hier mercredi, ton siège est resté inoccupé. Et pourtant l’ordre du jour était dans le sillage de ce qui t’a fait bouger des décennies durant, depuis que tes yeux de gamin de la Médina ont été ouverts à la capacité de résistance de manifestants tombant un à un sur le Boulevard du Centenaire, sous une pluie de balles à la périphérie de « Cerigne », Penc de la Collectivité dont tu as partagé valeurs et histoire. On était en 1963. Ton caractère et ton engagement en seront plus tard, définitivement forgés.
Hier mercredi 25 mars, on ne t’a pas attendu dans les locaux du CODESRIA, pour la réunion de la Commission Communication engagée dans le Projet d’Ecriture de l’Histoire générale du Sénégal plus que cher au Pr Iba Der Thiam soutenu par les plus hautes autorités du pays.
Autour de Abdourahmane Wone, Président de la Commission, les participants à la réunion se sont pliés à la détermination de plus ponctuel que n’importe qui : la faucheuse ne manque jamais ni son coup, ni à son rendez-vous. Elle a, pour l’éternité, bloqué ton horloge parce que lundi, c’était ton tour de la recevoir, devant chez toi. Te voila emporté, dans la dignité. C’aurait pu être un retrait discret, si le Dakar militant, le Dakar intellectuel, le Sénégal des diversités ne s’étaient mobilisés à Yoff pour te rendre cet hommage en rien démesuré. Tes jeunes confrères de l’Enquête ne s’y sont pas trompés. Oui, la Presse a perdu « Sa Mémoire ». Une mémoire de militant. La Presse a perdu la plume alerte d’un brillant chroniqueur politique, cultivé, engagé. De cet engagement tu as souvent payé le prix, passant alors pour un homme incapable de concession. On peut te comprendre. Certains compromis sont poussés à des niveaux qui frisent la compromission. Un terrain sur lequel tu ne pouvais te mouvoir. La Commission Communication que tu viens de quitter si brusquement a fait, il y a quelques semaines, l’expérience de ton attachement à la parole donnée. Le débat autour d’un site à créer pour le Projet a régulièrement butté sur ton argument maintes fois ressassé en des termes qui résonnent encore dans la salle qui abrite nos rencontres : ce qui nous mobilise a une appellation officielle, as-tu rappelé plusieurs fois, insistant pour que le monde entier, le monde de la Toile retienne : « HISTOIRE GENERALE DU SENEGAL ». Le Président Iba Der Thiam tenait en toi un précieux expert.
A la Médina, était Baye Moussé…
Voila un trait de caractère de … Moussa Paye. Un nom et un prénom qui ont surpris l’intéressé, un jour de rentrée de classes. Il venait d’être inscrit au CP1 (Cours Préparatoire 1ère année d’alors, devenue CI). Dans la liste des appelés par le maître, le jeune Lébou de Dakar raconte avoir entendu un « nom qui ressemble étrangement » au sien. « Moussa Paye ici ? comme cela ressemble à mon nom » se dit le petit garçon. Il s’abstint de répondre puisque pas encore appelé, pense-t-il. Chez lui à la Médina, ii a toujours répondu à l’appellation Baye Moussé Pape. L’enseignant fit les premiers pas et le « bleu » découvrit son nom à l’Etat civil.
Moussa Paye sera plus tard sur tous les terrains de la politique, parmi les forces de la gauche radicale. De cette ligne, il ne s’éloignera jamais du rêve de changer le Sénégal, changer l’Afrique, lire le monde autrement. Il fit avec sa plume et son ordinateur ce que la communauté politique n’a pas (encore ?) permis de réaliser. Eveil de conscience, information citoyenne, dénonciation de l’injustice, prises de positions courageuses. Rester seul dans « sa vérité », s’il le faut, plutôt que se compromettre dans des positions dont les tenants ne l’ont pas convaincu.
Le Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (Cesti, Promotion 1978) lui a donné les premières armes pour s’adresser aux publics de la Presse. La maîtrise de l’écriture journalistique acquise, le reste s’est décliné, au fil des décennies, en traitements de l’information, analyses, commentaires et chroniques. Sur ce terrain, Moussa était imbattable. Intraitable aussi devant l’adversité idéologique. Illustration par Sud Magazine, ancêtre de tous les produits du Groupe Multimédia Sud Communication. La question tchadienne s’est un jour invitée aux discussions entre journalistes dans la Rédaction. On en vint à décider d’en faire le sujet principal de l’édition en préparation.
Les thèses défendues par certains étaient loin de convaincre d’autres. Sud Magazine décida que toutes les positions recevraient un égal traitement dans la publication. Les fondateurs et ceux qui rejoignirent plus tard l’équipe rédactionnelle de Sud, parlaient alors plus de politique éditoriale que de ligne politique. L’expression de la diversité y était assurée pour renforcer l’indépendance de la publication. Une équipe qu’il était loisible à tout journaliste de rejoindre, si la compétence était avérée et la confiance méritée. Moussa Paye y avait sa place, comme d’autres de sa génération et plus jeune. A Sud ou ailleurs, comme collaborateur extérieur, chroniqueur associé ou éditorialiste invité, peu importe. Moussa a écrit pour différentes publications au Sénégal et ailleurs.
… au Cesti, Paye le Rouge
Révolutionnaire dans l’âme, ce qui te valut le surnom de « Paye le Rouge » traduit en Roxo, tu devais présenter le profil d’un homme mal à l’aise dans l’immobilisme, Pourtant Moussa Paye, tu as réussi la prouesse d’être resté toute sa carrière durant, fonctionnaire au Ministère ayant la tutelle des médias. Un choix d’activité aux antipodes de ce qui semble être, selon toi, la marque de fabrique de deux journalistes de ta génération. Tu avais une explication à ce que tu as toujours considéré comme « l’instabilité atavique des « fils de… » ». Tu ne t’y es jamais trompé cependant. Tu savais faire la différence entre « fils de … » négativement chargé dans le contexte actuel et « enfant de… ». La rue n’est jamais très loin quand on ne peut s’accommoder des rigueurs de la sédentarisation, même au plan professionnel. En cela Moussa, toi et moi n’étions jamais du même bord.
Et, toi aussi, tu avais comme une double vie. Celle du fonctionnaire loyal et dévoué à la cause républicaine, mais aussi, celle de l’intellectuel libre et capable de rejoindre toutes les bonnes causes. Ceux qui t’ont connu et apprécié n’ont pas voulu manquer l’ultime rendez-vous pour ton adieu aux vivants. Ainsi, tu n’as pu être à la réunion d’hier mercredi. Le Président Iba Der Thiam qui pilote le Projet t’avait retenu pour une place au présidium du séminaire des samedi et dimanche prochains à l’Ucad 2, on y priera pour que tu reposes en paix à Yoff.
Ultime ratage, comme on dit dans le métier, tu ne seras pas au Grand Rendez-vous dont tu rêvas aux côtés du Pr Iba Der Thiam, entre autres sommités du monde universitaire. Ton nom n’en figurera pas moins quelque part, dans les éditions attendues de « L’HISTOIRE GENERALE DU SENEGAL, des Origines à nos Jours ». La consécration pour une vie faite de générosité et d’engagement. A Dieu, Roxo !