LA DÉMOCRATIE DÉCLASSÉE, LA SOCIÉTÉ CIVILE DÉVALUÉE
RAPT DES JEUNES NIGÉRIANES, ET DÉNI DE LA LOI SUR LA PARITÉ À TOUBA
Quelle relation peut-on établir entre le rapt des 220 jeunes filles nigérianes par les extrémistes de la secte islamiste Boko Haram et la violation de la loi sur la parité par les autorités de Touba ? Aucune, a priori ! Sauf qu’il s’agit en l’occurrence de violences faites aux femmes, de manifeste déni de droit à la gent féminine qui n’a jamais autant porté son qualificatif de sexe faible.
Comme si ce forfait n’était pas assez ignominieux, les marchands de terreur, excroissance tropicale d’Al Qaïda, ont plongé le Nigéria dans l’horreur : rien que cette semaine, l’explosion de deux bombes a tué une centaine de personnes innocentes dans le pays. Ce qui porte à mille le nombre de victimes décimées par ce funeste groupe depuis le début de l’année.
Malgré la coalition internationale qui se dessine pour les mettre hors d’état de nuire, ces fondamentalistes du Nord Nigeria restent indéracinables. Les jeunes filles, violées, converties de force à l’Islam, réduites à l’état d’esclavage, restent introuvables. Le Sénégal n’est pas en reste dans la vague de désapprobation qui s’empare du monde entier.
Cette révolte des consciences met à contribution les Premières dames (Michelle Obama) ou ex-Premières dames (Carla Bruni Sarkozy et Valérie Trierweller, ancienne compagne de François Hollande), et d’autres figures emblématiques internationales, soudainement prises d’émotion. Et les femmes de Touba, privées de démocratie ? Qu’a-t-on fait pour elles ?
Le comportement quasi génocidaire de Boko Haram est inique. C’est le moins qu’on puisse dire. A l’évidence, il vaut la vague d’indignation mondiale, et singulièrement au Sénégal, de quelques éparses associations sans forte tonalité. Au même moment, la société civile fait ses gorgées chaudes sur le malheur des jeunes Nigérianes mais… occulte curieusement le désert démocratique de Touba.
Les organisations de femmes, la RADDHO (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme), le mouvement Y En A Marre, Le Forum civil, Amnesty Sénégal et tant d’autres mouvements d’initiative sociale se sont lâchement terrés dans leur pesant mutisme, laissant les Sénégalais cois et impassibles.
Eux d’habitude si prompts à lever les boucliers à la moindre incartade, pour dénoncer, fustiger, vilipender les tombeurs de la démocrate, ont préféré ranger leur sabre, coudre leur bouche pour éviter la foudre des sbires et autres fanatiques aux aguets du moindre dérapage verbal pour sévir contre eux.
La voix de Moustapha Diakhaté, Président du Groupe parlementaire de Benno Bok Yakar, est, fort heureusement, asymétrique. Elle vient rappeler l’opportunité de se munir de courage – rechercher la vérité et la dire —, pour réaffirmer les principes essentiels qui fondent la République. Comment passer sous silence cette autre forme de violence initiée par les autorités de Touba qui ont délibérément décidé d’interdire aux femmes d’être éligibles sur la seule liste possible dans cette nouvelle circonscription.
Quand, dans la seconde ville du Sénégal habitée par plus de 500 000 âmes, toute la population féminine est interdite d’éligibilité, cette entorse est plus grave que le rapt des Nigérianes. En fait, c’est plus de deux cent mille femmes qui sont ainsi prises en otages, parce que privées de droits et singulièrement celui d’être élues.
Il ne s’agit pas simplement d’un rejet de la loi sur la parité, mais bien d’un déni total des droits des femmes, dont aucune représentante ne peut être élue. La liste dressée, semble-t-il par l’autorité de Touba, ne comporte que des hommes choisis arbitrairement pour leur proximité avec le khalife. La loi sur la parité exige une présence d’au moins la moitié des femmes sur les listes électorales, les autorités religieuses de Touba n’en veulent aucune. C’est encore pire.
Quand on est républicain, peut-on fermer les yeux encore moins la bouche sur l’attitude des autorités de Touba, qui ont décidé de bafouer la loi sur la parité, en dépit de ses imperfections manifestes ? D’abord en érigeant une liste excluant les femmes. Ensuite, en prenant la ferme résolution de la maintenir, au mépris de la loi républicaine.
En République les lois sont faites pour être respectées parce qu’elles sont impersonnelles et générales. De ce fait, elles s’appliquent à toutes les catégories de citoyens dans le temps et dans l’espace. Parce qu’elles ne sont pas exclusives et particulières, aussi. Les exceptions y sont rares, édictées, codifiées et encadrées… par les textes.
Déclarations irresponsables
Les déclarations du ministre Mbaye Ndiaye, très proche collaborateur du président de la République, et de Moustapha Cissé LO, vice-président de l’Assemblée nationale, accréditant la thèse des autorités de Touba sont insensées et irresponsables. L’onction du PDS (Parti démocratique sénégalais) à la décision de la hiérarchie religieuse et confirmant le bien-fondé de l’attitude des autorités de Touba est tout simplement inacceptable en république. Un ministre de la République ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, cautionner des attitudes d’opposition à l’application de la loi.
La Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) a pris ses responsabilités en demandant l’invalidation d’une liste pas conforme aux exigences de parité énoncées par la loi. Elle est dans ses droits. Et il ne revient pas à un « administratif » encore moins un « politique » de décider la validation d’une liste qui s’écarte volontairement des normes légales en vigueur. Même s’il est vrai que les autorités religieuses de Touba ont parfaitement la latitude de se référer à leurs pratiques et à leur histoire propre, pour tenter de justifier l’injustifiable. Il se trouve simplement que la loi sur la parité connaît déjà une application dans les législatives de 2012 et autres consultations à caractère électif.
Le Gouvernement, notamment le Président de la République garant des lois, a le devoir de les faire appliquer. Et ce en dépit de son appartenance à cette confrérie. Autrement, il prendrait le risque de laisser une brèche largement ouverte à tous les abus. Pis, toutes les listes invalidées pour non-respect de la loi de la parité pourraient se prévaloir de cette jurisprudence pour exiger de bon droit leur réhabilitation. C’est le charivari en perspective !
Chacune pouvant se réclamer de sa particularité, locale, religieuse, ethnique, sociétale pour exiger et obtenir une exception. Et n’en déplaise au ministre de l’Intérieur, M. Abdoulaye Daouda Diallo, qui cherche à endiguer la réprobation des autres listes concurrentes, recalées pour non-respect de la parité ! Si une contestation se soulevait chez les autres mandataires ou têtes de file, les autorités administratives et judiciaires n’auraient d’autres moyens que de leur accorder la validation. Au risque d’être injustes et partisanes.
Annuler les élections, pourquoi pas ?
Dans ces conditions, autant annuler ces élections, et revoir profondément notre texte fondamental. La constitution ne serait plus alors arrimée aux principes fondamentaux de libertés essentielles, mais aux particularismes religieux, ethniques, géographiques. Et on déciderait alors du modèle de nation que nous voulons construire. Le Gouvernement ne peut esquiver la question et la ravaler à un simple niveau anecdotique. Ou pratiquer la politique de l’autruche, prévoir de ne rien voir.
Récemment un ministre de la République s’est vu interdire l’accès de Touba, pour dérapage sémantique, sans réaction du gouvernement. Aujourd’hui c’est un déni de droit aux femmes de Touba et une violation d’une loi. Que fera le Gouvernement ?
Que fera la coalition Benno Bok Yaakar, dont une des factions (le PS, par la voix de son porte-parole) a déjà indiqué sa position, la validation, contre la loi, de la liste de Touba ? Ces parangons de la vertu démocratique pourront-ils tenir longtemps dans une attitude mesquine d’esquive pour éviter la colère des grands chefs religieux ? Certains poussent même l’outrecuidance jusqu’à invoquer le titre foncier accordé à Touba bien avant l’indépendance (400 ha) indûment élargi par Wade (30 000 ha), pour réclamer un prétendu « statut spécial ».
L’effet boomerang
Il est clair que tous ces activistes à la petite semaine ne se rendent pas compte à quel point ils sont en train d’entraîner le Sénégal dans un dangereux engrenage. Si rien n’est fait pour arrêter cette spirale dépressive, l’effet- boomerang ne tardera à se manifester. Le MFDC aussi se prévaut d’un certain « statut spécial » pour réclamer l’indépendance de la Casamance. Les sanctuaires religieux qui se multiplient à foison dans le pays finiront bien un jour à en réclamer et glisser subrepticement vers l’autonomie et, pourquoi pas, l’indépendance.
Paradoxalement, le gouvernement du président Macky Sall n’est que le malheureux héritier des errements du régime précédent. Abdoulaye Wade, pour mobiliser les femmes au profit de son élection, a cru devoir leur offrir ce cadeau qu’est la parité. Sans réelle consultation populaire, sans discussions approfondies entre toutes les franges de la population. La démagogie de Wade est allée tellement loin que la loi ne prévoit qu’une seule alternative, en cas de non-respect de la parité, l’annulation.
Et ce alors que dans nombre de pays européens, en France notamment, c’est la sanction financière qui est appliquée. Dans les années 70, le gouvernement de Senghor avait pris le soin de passer par les étapes de la négociation, d’un brainstorming collectif, avant de faire voter le code de la famille.
Des autorités religieuses confrériques, et pas des moindres, s’y étaient opposées. Mais des imams et autres prédicateurs crédibles avaient marqué leur préférence à ce texte, en dépit de ses nombreuses insuffisances, notamment des privilèges qu’il semble accorder aux femmes. Mais la loi est passée. Elle est appliquée depuis, ancrée dans nos mœurs, parce qu’elle répondait à une attente. Avec ses imperfections, certes.
Les Assises nationales ont fait de la sorte. Récemment, malgré toutes les critiques faites à la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI), ses conclusions reflètent largement les opinions des Sénégalais dans leur diversité. La loi sur la parité n’est pas passée par ses fourches caudines. Elle décalque malencontreusement des idées reçues en Occident, mal digérées par des groupes de féministes gavées et entretenues par les ONG internationales de défense des droits de la femme.
Parité : une loi absurde
La loi sur la parité est une absurdité puisqu’elle se fonde sur l’espérance mathématique, l’arithmétique, le principe de l’égalité parfaite et non l’équité. Elle est fondée sur le particularisme – la même remarque qu’on fait aux autorités de Touba —, la discrimination prétendument positive. En cela elle constitue bel et bien un ersatz de liberté, d’émancipation, une simple aspiration de groupes féministes extravertis.
Et non une exigence de l’écrasante majorité des femmes sénégalaises. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que cette loi ne s’applique qu’aux fonctions électives, certes non exclusivement, mais essentiellement politiques. En France, le pourcentage de femmes au Parlement est plus faible que le nôtre. Et après ? Cela suffit-il pour flatter notre égo national ? Est-ce que pour autant notre démocratie est qualitativement supérieure à celle de l’Hexagone ?
Est-ce que les femmes sénégalaises prises dans le terrible engrenage de la pauvreté, de la misère sociale, de l’analphabétisme, ont plus de voix au chapitre que leurs sœurs européennes ? Quel est l’apport des femmes à la nouvelle Assemblée nationale à propos de laquelle d’ailleurs on dit que le niveau des débats y a baissé ? En quoi la sensibilité femme est-elle mieux défendue, entre avant et maintenant ?
Une grosse pierre est jetée dans le jardin du gouvernement, qui doit payer la note salée de Wade. Revenir sur la loi est une exigence. Non pas pour céder aux pressions de foyers religieux. Mais pour corriger une absurdité télécommandée et sans prise réelle avec les véritables exigences des femmes : l’accès et le maintien à l’école, les mêmes chances à l’emploi et aux responsabilités, à la propriété foncière.
Il faut espérer que la réaction des autorités de Touba ait au moins servi à faire prendre conscience à toute la nation des absurdités d’une loi qui a déjà fait trop de vagues. Ce gouvernement a vraiment du souci à se faire ! Quant à la société civile, sa posture atonique a fini de dévoiler sa vraie nature opportuniste.
Elle s’est davantage dévaluée en faisant motus et bouche cousue sur un sujet essentiel où tous les démocrates et républicains l’attendaient. Organiser les élections dans de telles conditions, c’est miser sur l’apathie et la mémoire sélective des Sénégalais. C’est, surtout, accentuer le déclassement de notre démocratie.