''LE TRAVAIL TEMPORAIRE A ÉTÉ PENDANT LONGTEMPS LA SOURCE DE NOMBREUX ABUS''
YAYA BODIAN ENSEIGNANT A LA FAC DE DROIT DE DAKAR

La notion de travail intérim est en vogue aujourd’hui et est ma connue des Sénégalais. Pourtant, c’est le recours vers lequel se tournent aujourd’hui, les entreprises. Dans cet entretien, Yaya Bodian, Agrégé des Facultés de droit, Maître de Conférences à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, revient sur cette notion de travail d’intérim et de son encadrement juridique.
Parlez-nous de manière résumée du droit du travail ?
Le concept droit du travail renvoie à un ensemble de règles d’origine législative, réglementaire ou conventionnelle, destinées à régir les rapports individuels et collectifs de travail dépendant. Il se distingue, théoriquement, du droit social qui comporte en plus du travail, le droit de la sécurité sociale.
Le droit du travail est l’une des disciplines juridiques les plus contingentes en raison de ses rapports évidents avec l’économie.
Droit jadis considéré comme protecteur et partisan dans la mesure où sa finalité essentielle fût de protéger le salarié juridiquement subordonné et économiquement dépendant, le droit du travail est aujourd’hui un des principaux leviers des politiques d’emploi.
Pour certains, il faut réduire la protection de plus en plus reconnue aux travailleurs et qui, pour l’entreprise, constitue une charge qui limite ses possibilités d’adaptation et de compétitivité.
D’autres auteurs par contre adoptent un autre point de vue. Ils estiment que la protection n’est pas aussi nuisible que l’on pourrait le penser.
Elle contribue largement à créer un lien d’entreprise, un sentiment d’appartenance et de solidarité envers une communauté dont l’utilité pour l’entreprise est indéniable.
En tout état de cause, le droit du travail est aujourd’hui certes encore présenté comme un droit protecteur, mais il apparait également comme un droit capable de prendre en compte les intérêts de l’entreprise.
Qu’est-ce alors un contrat de travail temporaire ?
Le travail temporaire est une forme originale d’organisation du travail. Il est l’expression juridique qui vise ce que les praticiens nomment «travail intérimaire ou intérim».
Cette forme de mise au travail est apparue avec le développement des moyens et des réseaux de communication et l’externalisation de certaines activités à faible valeur ajoutée. Il s’agit en effet d’un contrat travail au sens du code du travail.
Le travail temporaire met en relation trois parties. En effet, l’entreprise de travail temporaire ou agence d’intérim, se charge de recruter du personnel par contrat de travail (contrat de travail temporaire), qu’elle met à la disposition d’une autre entreprise (entreprise utilisatrice), sur la base d’une convention de mise à disposition. Le salarié va accomplir son travail pour le compte de l’entreprise utilisatrice, même si celle-ci, juridiquement, n’est pas son employeur.
Le contrat de travail temporaire a-t-il une durée maximum ?
La conclusion comme la rupture du contrat de travail temporaire sont rigoureusement encadrées par la loi. Il doit ainsi être constaté par un écrit dont l’absence est sanctionnée par la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée.
Il ne peut être conclu que pour une durée maximale de deux ans, sauf s’il est conclu pour la réalisation d’un ouvrage déterminé, auquel cas, il n’est soumis à aucune limite de durée.
Le législateur ne prévoit pas cependant de limitation du nombre de contrats de travail temporaire qui peuvent être conclus. Ce silence autorise le recours à ces contrats autant de fois que les entreprises le souhaitent.
L’inefficacité, voire l’absence de contrôle de l’application des normes de droit du travail, contribue à renforcer cette tendance à une forte précarisation de l’emploi.
Les difficultés de contrôle s’accroissent d’autant que des personnes physiques sont admises à exercer l’activité de mise à disposition de salariés.
La mobilité de ces personnes contribue à accroître les risques d’abus de la main-d’œuvre temporaire car, même si l’entreprise utilisatrice est tenue de supporter les obligations qui incombent à l’entreprise de travail temporaire relativement au paiement des salaires et des cotisations auprès des Institutions de prévoyance sociale, cette protection risque d’être inefficace face à l’ineffectivité du contrôle et à la permissivité des règles.
Comment appréciez-vous la prolifération des agences de travail intérim ?
Le Code du travail issu de la loi n°61-34 du 13 juin 1961 ne faisait aucune référence au travail temporaire, jusqu’à son abrogation en 1997. L’adoption du décret n°1412 du 23 décembre 2009 relatif à la protection des travailleurs temporaires, témoigne de la volonté des autorités politiques de mettre en place une réglementation adapté et susceptible de réduire la précarisation de l’emploi.
Mais, il aura fallu attendre plus d’une dizaine d’années pour adopter ce décret considéré comme un instrument de régulation dans un contexte marqué par une tendance des entreprises au recours abusif au travail temporaire.
Cette régulation présente cependant des lacunes dès lors que la volonté du législateur a été de préserver la flexibilité du mécanisme du travail temporaire tout en veillant à assurer aux travailleurs une protection adaptée.
Le régime juridique du travail temporaire est, comme pour les contrats d’usage, marqué par une forte précarité de l’emploi.
La légalisation du travail temporaire intervenue en 1997 avec la loi n°97-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail tente d’apporter des précisions pour éviter le flou qui entoure la notion de travail temporaire.
L’absence de sanction pénale pour la violation de la règlementation sur le travail temporaire est susceptible d’encourager les pratiques visant à contourner celle-ci. Il est ainsi probable que les entreprises se servent de l’écran de la personne morale pour s’adonner à des activités de mise à disposition de travailleurs dans une apparence de légalité.
A titre d’exemple, une entreprise exerçant dans le bâtiment peut tout à fait mettre en place une succursale ayant pour objet d’assurer les fonctions d’employeur de ses salariés et qui serait ainsi débitrice des obligations envers ces derniers.
Cette opération en apparence légale, vise en réalité à exonérer l’utilisateur de la main-d’œuvre de ses obligations d’employeur.
Pensez-vous que ces agences respectent le droit des intérimaires ?
Nous n’avons pas de données quantitatives sur la question. Mais, la règlementation étant très permissive, il est à craindre que les agences d’intérim n’en abusent au préjudice des droits des travailleurs intérimaires.
La loi reconnait en effet la possibilité aux personnes physiques de s’adonner à des activités de mise à disposition de travailleurs, ce qui me paraît dangereux dès lors que cette possibilité rend encore plus précaire la situation des salariés.
Le travail temporaire a été pendant longtemps la source de nombreux abus, notamment du fait de l’absence de réglementation qui a laissé les travailleurs temporaires à l’écart de la protection sociale.