UN INTRUS EN CAMPAGNE
PALIMPSESTE
Les esprits non avertis se demanderont- et à juste titre- pourquoi toute cette polémique au sujet d’une simple photographie ? Ils n’auront pas tort d’y voir une simple image, puisque ce qui crève l’oeil, le rend aveugle.
Dans ce cas, ce n’est pas ce qu’ils voient qui est en cause. Mais c’est précisément ce que l’oeil ne voit pas et suggère qui éveille les soupçons dans un contexte de compétition. Que vient faire l’image du président de la République dans une élection locale qui ne le concerne pas ? Ceux qui se servent de sa photo ne questionnent pas la légalité de leur acte. Ils ne le font pas non plus pour les beaux yeux de Macky Sall ou pour entrer dans les bonnes grâces du premier des Sénégalais. Ces hommes ou femmes politiques savent seulement qu’ils (elles) peuvent en tirer profit. Et c’est à ce niveau que se trouvent les vrais enjeux de l’utilisation de l’image présidentielle. Les politiques ne perdent pas de vue que la photo du Chef de l’Etat n’est pas quelque chose d’ordinaire. Elle peut jouer un rôle catalyseur dans le choix des électeurs où la dimension psychologique dans l’acte de vote est à prendre en compte. L’image présidentielle est une image sans réplique, au-dessus des autres.
Certes, le président de la République, dans le cas d’espèce, ne s’affiche pas. Autrement, cela voudrait dire qu’il participe au même système de cotation que ses adversaires. Ce qui est loin d’être le cas, puisque c’est son image qui est utilisée. C’est connu, l’image présidentielle, comme l’a dit Jean-Paul Gourévitch, est une image de préséance et de représentation, moitié gourou, moitié recours
Cela est d’autant plus vrai qu’elle est utilisée comme faire-valoir ou caution. C’est ce que les spécialistes en marketing politique appellent le «celebrity endorsement» ou le principe de la figuration tutélaire, tiré du marketing commercial et qui consiste à faire porter un produit par une célébrité pour qu’elle lui transfère ses qualités dans l’esprit des consommateurs. Les candidats de la mouvance présidentielle à ces locales cherchent le même effet en convoquant sur leurs affiches l’image du Président. Une «proximité» artificielle qui donne l’illusion que les utilisateurs de l’image du chef de l’Etat sont à tu et à toi avec lui. Surtout quand cette image titille le regard du passant qui est incapable de démêler les fils du subterfuge.
D’autres utilisateurs de la photo du président de la République vont plus loin, en s’effaçant volontairement au profit de «l’intrus», en faisant croire aux électeurs que «voter pour eux, c’est voter pour Macky». Beaucoup de nos compatriotes étaient, par le passé, tombés dans le panneau. C’est ce qu’avait compris l’opposition d’alors, lorsque le Premier ministre Idrissa Seck avait utilisé la photo du Président Wade sur ses affiches lors des élections législatives de 2002. La justice avait donné raison à l’opposition et avait demandé le retrait de l’image de Wade sur les affiches des candidats de la mouvance présidentielle. Ainsi, la photo de Wade avait été remplacée par une ombre on ne peut plus reconnaissable.
Douze ans après, la même question ressurgit. Cela est d’autant plus incompréhensible que le chef de l’Etat, Macky Sall, prône la rupture. Il y a visiblement, avec l’utilisation de son image par les candidats de son camp, rupture de l’égalité dans ses élections. Ce qui explique la plainte annoncée du maire de Bambèye contre la coalition Bennoo Bokk Yakaar. Et en la matière, il existe une jurisprudence. Alors gageons que les politiciens se montreront à l’avenir plus respectueux de la loi!.