DES ETATS GÉNÉRAUX AUX ASSISES NATIONALES SUR L’ÉDUCATION.
PAR MOUHAMADOU LAMINE BA
Trois décennies après les Etats généraux de l’éducation et de la formation (Egef), le peuple sénégalais, la communauté éducative en particulier a, une seconde fois, pris rendez-vous avec l’histoire à travers la tenue des Assises nationales sur l’éducation.
Ces rencontres, nées d’un certain malaise socio-économique et éducatif, sont provoquées par une demande forte et pressante de la société sénégalaise réclamant une école plus enracinée dans ses valeurs et traditions tout en s’ouvrant aux progrès scientifiques et technologiques du monde moderne.
Face à l’obsolescence de notre système éducatif caractérisé par l’inadéquation entre la demande et l’offre éducative, entre formation et emploi engendrant un taux élevé de chômage des jeunes (61%) et une forte déperdition scolaire (40%), l’école sénégalaise a montré ses limites.
Ainsi, la crise structurelle et conjoncturelle de l’école enjoint les autorités politiques et éducatives à concevoir une nouvelle vision du profil d’homme à former.
Dans cette perspective, loin d’être une réforme relevant des prescriptions pour un changement imposé (Cros, 2004), les Assises nationales doivent s’inscrire dans une refondation de l’école sénégalaise.
Ce sont tous les secteurs et segments du système éducatif qui doivent être audités et repensés.
Ces concertations devront être inscrites dans une réorientation progressive du système éducatif sénégalais pour la prise en compte des besoins et aspirations de la population sénégalaise et des perpétuelles mutations de la société contemporaine.
D’ailleurs, cela s’inscrit dans la nouvelle vision du gouvernement dans le cadre du Programme d’Amélioration pour la qualité, l’équité et la transparence (Paquet) exprimée en ces termes : « un système d’éducation et de formation équitable, efficace, efficient, conforme aux exigences du développement économique et social, plus engagé dans la prise en charge des exclus, et fondé sur une gouvernance inclusive, une responsabilisation plus accrue des collectivités locales et des acteurs à la base » (MEN, DPRE, PAQUET, 2013, p. 20).
L’analyse actuelle de l’école sénégalaise ne saurait trouver sa pertinence que dans un regard rétrospectif de notre système éducatif, car le sens du présent est de « féconder le passé en engendrant l’avenir » (Nietzsch).
Ce faisant, nous partirons des conclusions de la Commission nationale de ré- forme de l’éducation et de la formation (Cnref) remises au Gouvernement le 6 aout 1984 pour essayer de tirer un bilan.
La position du Gouvernement par rapport aux propositions de la Cnref a été exprimée par le ministre de l’Education nationale, Monsieur Iba Der Thiam lors de sa conférence de presse du 18 janvier 1985 affirmant ainsi son engagement à « rénover notre système éducatif dans le sens des principes dé- gagés lors des Etats généraux et précisés par les travaux de la Cnref » (MEN, L’École nouvelle, juillet 1986).
Les différentes commissions composant la Cnref « ont étudié toutes les conditions et modalités pratiques de réalisation de l’Ecole nouvelle, dont les caractéristiques fondamentales et les innovations majeures la distinguent radicalement de l’école ancienne » (Sylla, 1992).
Ainsi, nous allons analyser quelques unes des propositions retenues par la Cnref ayant reçu approbation du Gouvernement et connu une application ou un début de réalisation à travers les textes et réformes suivants : -La loi d’orientation n° 91-22 du 16 février 1991 adoptée par l’Assemblée nationale en 1991 constitue un cadrage réglementaire émanant de la vision retenue par les Egef.
Elle est la référence institutionnelle des programmes et contenus d’enseignement bien qu’elle n’ait pas été suivie d’un décret définissant les modalités d’application. À ce niveau, nous pouvons relever un vide juridique.
- La loi n° 2004-37 du 3 décembre 2004 portant obligation scolaire à 10 ans (6 à 16 ans) consacrant ainsi la mise en place du cycle fondamental d’éducation de base retenu par les Egef.
- « L’introduction de l’éducation religieuse mais dans le respect de la laïcité et du caractère multi religieux de l’Etat » a eu un début d’application à travers l’intégration de l’enseignement religieux dans le système éducatif dès la rentrée 2002-2003.
- « L’introduction et la promotion des langues nationales dans l’École nouvelle ». Cette mesure se fonde sur le postulat posé par Cheikh Anta Diop affirmant qu’ « un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance » (Diop, 1954, p.405).
Ce n’est que des décennies après que l’Etat a pris l’option de promouvoir les langues nationales dans le système éducatif.
- « La création de l’éducation spéciale des jeunes handicapés et inadaptés et son intégration dans le système éducatif » (Sylla, 1992) Cette mesure a été légiférée dans la loi d’orientation n° 91-22 en son Titre premier, article 2 prônant la mise « en place d’une éducation spéciale qui prend en charge les victimes des différents handicaps ou inadaptations, pour réaliser leur intégration ou réinsertion scolaires et sociales ».
Nonobstant le cadre législatif et réglementaire, la prise en charge des jeunes handicapés et inadaptés dans le système éducatif tarde à se concrétiser sur le terrain.
- « L’intégration dans le système éducatif, des structures non formelles, éléments de démocratisation de l’éducation et instruments de développement culturel, économique et social ».
In fine, si l’esprit des recommandations des Egef est perceptible dans ces différentes réformes entreprises dans le système éducatif durant ces dernières décennies, force est de reconnaître que les stratégies et les modalités de leur mise en œuvre souffrent de leur inefficacité.
En outre, la tenue des Assises nationales sur l’éducation ne doit pas occulter ces acquis engrangés par le système éducatif depuis les Egef. Si ces derniers furent l’avènement d’une refondation de l’école sénégalaise, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas pleinement atteint leur ambition.
La volonté politique inhibée par l’insuffisance de financement assujetti à l’aide des Bailleurs de fonds et des partenaires techniques et financiers, a, en définitive, compromis la réalisation de cette « école nouvelle ».
Par conséquent, la tenue actuelle des concertations sur l’école doit-elle, comme les Egef, s’orienter vers une refondation de l’école sénégalaise ou bien vers un changement profond de notre système éducatif ?
En associant la refondation à une rupture avec l’existant et une construction progressive du système éducatif, nous optons pour un changement dans une perspective évolutive. Loin de réinventer la roue ou de faire table rase de tous les acquis scolaires, les présentes assises offrent l’occasion de mener des réflexions profondes en portant un regard critique sur le présent et l’avenir de notre système éducatif.
Suite à ce que Astolfi (2003) appelle la « frénésie du changement » l’école sénégalaise se trouve dans une spirale de tensions entre « le local et le global », entre le prescrit et le réel, entre la transmission des savoirs et le développement de compétences, entre le travail individuel et le travail collectif, entre les objectifs quantitatifs et ceux qualitatifs, entre autres.
Pour faire face à ces tensions, l’école ne pourra résister qu’en initiant des ac- tions volontaires, conscientes et délibérées dans une dynamique sociale mobilisant l’ensemble des acteurs et partenaires du système éducatif.
Telle semble être une des voies de sortie de crise de l’école sénégalaise que doivent suivre les concertations nationales sur l’éducation et la formation.
En définitive, le problème crucial de notre système éducatif ne se situe pas dans l’absence de vision ni dans l’inexistence de réformes et innovations pédagogiques mais, en grande partie, dans les modalités et stratégies pratiques de leur réalisation.
Combien de réformes, de programmes, de projets ont été introduits à l’école sans atteindre pleinement les objectifs qui y sont assignés ?
Combien de milliards ont été injectés dans le système éducatif sénégalais sans impacter positivement sur les rendements scolaires et les taux d’efficacité interne ?
Tout cela dénote du déficit de qualité que traine le système éducatif sénégalais. Le défi de qualité doit être le socle sur lequel reposeraient toutes les propositions qui sortiraient des concertations nationales.
Ces dernières, dans une démarche holistique et systémique, doivent répondre aux enjeux d’une éducation de qualité qui est « celle qui répond le mieux aux besoins actuels et aux besoins futurs des divers apprenants, en particulier, et de la communauté en général...elle donne aux étudiants les outils dont ils ont besoin pour faire face aux défis auxquels l’humanité est confrontée, et y trouver des solutions » (CSEE, 2008).
Qui plus est, le défi de qualité ne saurait prospérer sans un climat social apaisé. Or nous vivons présentement des tensions scolaires nées de la grève des Inspecteurs de l’éducation et des étudiants. Depuis ces dernières décennies, jamais il ne se passe une année scolaire et universitaire sans perturbations.
Ce faisant, le déficit du quantum horaire annuel déteint quantitativement sur les enseignements apprentissages. Ainsi, les programmes scolaires et universitaires sont à peine épuisés avec un système de bachotage psychopédagogiquement récusable dans la formation des élèves.
L’entrée des Inspecteurs de l’éducation dans la « danse » des grévistes depuis deux ans bloque davantage le système. Si ceux chargés de piloter, de gérer et d’évaluer le système éducatif gèlent leurs activités d’encadrement, où va notre école ?
L’enlisement du mouvement du corps de contrôle prend en otage des milliers d’enseignants candidats aux examens pratiques professionnels (Ceap, Cap). Le besoin énorme de formation des enseignants craie en main semble être hypothéqué par ce mouvement.
Combien de maîtres sont dans un désarroi total de ne pas pouvoir bénéficier d’un encadrement de proximité et d’inspections certificatives contribuant à l’amélioration de leurs pratiques de classe et de leurs promotions professionnelles ?
Le cycle récurrent de grèves des étudiants, enseignants et inspecteurs annihilent les efforts consentis par l’Etat en faveur de la qualité des enseignements apprentissages.
Malgré les actions menées par le Comité du Dialogue Social/ Secteur Education-Formation, l’espace scolaire et universitaire est loin d’être pacifié. Ainsi, il urge de scruter d’autres voies de sortie de crise et ce, par la professionnalisation des différents acteurs concernés.
La professionnalisation suppose une responsabilisation, une autonomie et une « réflexivité » (Schön, 1994) des acteurs dans l’exercice de leurs missions et tâches.
Ce faisant, l’installation et le développement de ces aptitudes et capacités chez les acteurs de l’éducation et de la formation peuvent favoriser leur prise de conscience de l’imputabilité de leurs actions.
C’est sous cet angle que nous estimons qu’en professionnalisant les étudiants, les enseignants et les inspecteurs, nous parviendrons à amoindrir les risques de tensions et de conflits à l’école.
Pour conclure, nous saluons l’approche participative et inclusive adoptée par les Assises nationales sur l’éducation tout en réitérant notre espoir pour une véritable refondation de l’école sénégalaise.
Puissent les recommandations issues de ces joutes éducatives sortir notre système de l’ornière et des sentiers battus en mettant en place des mécanismes et dispositifs de suivi-évaluation pertinents et efficaces à chaque étape de l’évolution des réformes et innovations pédagogiques.
Nous osons espérer que l’avènement d’une école sénégalaise équitable et performante ne sera réalisé que dans la mesure où les produits seront évalués non pas par le pesage de la somme de leurs connaissances mais plutôt par la réjouissance de la qualité de leur ascension.