LE VILLAGE OÙ LA RÉALITÉ PINCE LES CORDES DE LA LÉGENDE
MEDINA SABAKH D’HIER A AUJOURD’HUI
Lorsque le génie de l’homme rencontre la baraka, la part de légende habite la réalité. A Médina Sabakh, le « Ngoyane » est une réalité culturelle figée dans l’imaginaire collectif comme un monument très lisse. Dans cette contrée également, mille récits se tissent pour conforter la part du mythe.
La nuit commence à envelopper le mythique village de Médina Sabakh. La pénombre s’installe et les rues commencent à être désertes. L’on eut cru que la grouillante bourgade aux mille et une facettes, brusquement sortie de la dynamique d’une journée pleine, allait céder le passage à cette morosité et autre méfiance propres aux localités frontalières. Erreur.
Nous sommes à la sortie Est du village sur le chemin qui mène à Ngeyène Sandial (une localité située en Gambie). Notre attention est attirée par des notes hasardeuses distillées monotonement, par un « xalam » que l’on ajuste. Le temps de se triturer l’esprit pour en détecter la provenance, une voix mielleuse et limpide brise le silence de la nuit, soutenue en sourdine par des battements de calebasses.
Presque dans chaque demeure du village, la même scène sera répétée et il en sera ainsi jusque tard dans la nuit. C’est ça Médina Sabakh. Cela fait la force et la réputation du Ngoyane. Une terre bénie des dieux de la musique et dont le riche et varié patrimoine culturel et folklorique est tiré de son métissage entre Ouolof, Socé, Peulh, etc. Ici, nous confie le vieux Momath, les populations travaillent dur le jour et font la fête la nuit.
Si aujourd’hui, le folklore du Ngoyane a été exporté dans plusieurs localités du Saloum, Ndiédieng, Mabo, Keur Madiabel, Birkelane, Médina Mbaba et Darou Rahmati à Kaolack pour n’en citer que celles-ci, la sève nourricière, pour ne pas dire la source qui l’alimente, coule toujours à Médina Sabakh.
ENTRE LE XALAM ET LA PLANQUE
A l’origine, il y avait une seule troupe, créée par la grande cantatrice, Adja Seynabou Dieng. Au décès de cette dernière, pour des problèmes de préséance et de succession, la grande et majestueuse troupe de Médina Sabakh, qui avait fini de se faire un nom à travers le Sénégal et la sous-région, vola en mille morceaux, pour donner naissance à des groupuscules qui se formèrent au gré des accointances et autres appartenances familiales.
Deux groupes émergèrent ainsi du lot, celle de Seybassi Dieng et le second, dirigé par la célèbre Saly Mbaye. La grande troupe de Médina Sabakh a été créée en 1969 par Adja Seynabou Dieng, suivant les conseils de Mamour Ousmane Bâ, petit-fils de Maba et de Mamou Ndary, alors responsable politique du département de Nioro.
Cependant, le Ngoyane a forgé son folklore vers les années 1945. C’est le fils de la mère fondatrice de la troupe, Adja Seynabou Dieng, le nommé Goumbo Ndiaye, aujourd’hui retraité de l’Institut de recherches agricoles du Sénégal qui nous replonge dans ce passé musical au fort goût historique du Ngoyane.
En effet, selon cet ancien élève du lycée Gaston Berger de Kaolack qui manie avec dextérité aussi bien le « xalam » que la guitare occidentale, Médina Sabakh, après sa fondation par Ndeury Khady Touré, était un village monotone, terne et plutôt orienté vers la chose religieuse. Erigé en canton, du temps des colons, il fut confié à Ndeury Yacine qui en fut le premier chef. Il avait un frère du nom de Goumbo Touré, enrôlé dans l’armée française et qui en est revenu, après la guerre mondiale, avec le grade d’adjudant-chef.
Pour sa reconversion, l’administrateur blanc lui proposa plusieurs postes aussi juteux les uns que les autres, mais ce fils de chef préféra celui de chef de canton du Ngoyane. Ainsi, pour le récompenser, l’administration française lui remit un manteau et une décision l’ayant nommé chef de canton du Sabakh.
« C’est la nuit que Goumbo, muni de ce sésame, entra à Médina Sabakh. Il réunit son frère et l’ensemble des dignitaires, pour leur signifier la décision de l’administration française », a expliqué notre interlocuteur qui a refusé de nous dire davantage sur la suite de ces événements sensibles.
CHANT POUR DECHIRER LA MONOTONIE
Ayant constaté que le village de Médina, capitale attitrée su Saloum était plongé dans la morosité, du fait que la bourgade ne comptait aucun griot, encore moins suffisamment de femmes pour enflammer les ardeurs, Goumbo fit venir de Balangar, village voisin situé en terre gambienne entre Ngueuyène Sandiale et Kaour, et de Ndiayène poste, des familles entières de griots.
Sa philosophie était simple : il faut travailler le jour comme un beau diable, mais la nuit, il faut faire la fête. Ainsi vit le jour ce qui, aujourd’hui, fait la tradition de Médina Sabakh, une terre de bravoure et de bombance, Ngoyane, le village à la téranga légendaire, là où l’étranger est considéré comme un roi.
Goumbo Touré commença par appeler la jeune Seynabou Dieng, la cantatrice à la voix d’or et un certain Ali Moussa Socé qui était le griot de sa famille et s’adressait à eux en ces termes:«Il faut que le village grouille aujourd’hui. On va organiser une petite fête ». Alors, l’on tua quelques béliers et les voix s’élèvent, soutenues par des battements de tam-tams et autres calebasses.
Les villageois s’y habituèrent petit à petit et de « xawaré » (veillée) à « xawaré », la musique du Ngoyane est née. Une ambiance électrique qui entraîna les populations des autres villages de la contrée.
RETROUVAILLES NOCTURNES
Pendant plus d’une vingtaine d’années, Médina Sabakh vit au rythme de ces petites retrouvailles nocturnes qui donnèrent aux populations goût à la vie. Responsable politique, Mamour Ousmane Bâ suggéra à Adja Seynabou Dieng de formaliser les activités de son groupe en créant une troupe folklorique.
Ce qu’elle fit en 1969, avec son époux, Birane Lobé Ndiaye et Sakou Dieng (guitare traditionnelle), en regroupant tout ce que Médina Sabakh comptait comme cantatrices, joueurs de « xalam » et en batteurs de tam-tam. Entre temps, Birane Touré était devenu chef de canton. Et à l’occasion des grandes réceptions (visites du président Senghor, etc.), il se rabattait toujours sur Seynabou Dieng et sa troupe pour assurer l’animation.
En l’absence de Saly Mbaye, nous avons discuté avec Ndèye Dieng, Fatou Sakho et Fatou Ndiaye qui regrettent la dispersion des forces. « Il y a aujourd’hui, à Médina Sabakh, autant de troupes que de familles de griots, ce qui impacte sur le développement de notre patrimoine folklorique », ont-elles soutenu.
En effet, selon elles, il est plus facile d’aider un groupe que de soutenir une multitude de groupuscules affaiblis par des ambitions contradictoires. Pour l’heure, nos cantatrices se contentent de faire des prestations dans le village, le département, la région, quelques fois dans les autres cités ou en Gambie voisine.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous » semble être le mot d’ordre dans le Sabakh où les mécènes de la dimension de Adji Marie Diané que Médina Sabakh n’est pas prêt à oublier, se font de plus en plus rares. Mais pour beaucoup, les responsables politiques de la localité et autres cadres ont une grosse responsabilité dans le recul des activités folkloriques du Ngoyane. « Si chacun y mettait du sien, la musique de Médina Sabakh conquerrait le monde ».