SONKO A GAGNÉ, LE SÉNÉGAL A PERDU
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants

Une bonne nouvelle pour les Sénégalais qui ressentent durement la difficile conjoncture économique. Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du commerce, a présidé, ce jeudi 26 mars 2025, une réunion du Conseil national de la consommation, où il a annoncé une nouvelle baisse de 60 francs Cfa du prix du riz ordinaire. Au détail, le kilogramme passe de 410 à 350 F Cfa. La mesure sera officiellement entérinée par le président de la République, le 3 avril 2025. Il faut déjà dire que le cours mondial du riz a emprunté une courbe descendante depuis janvier 2024. De 660 dollars, le prix du riz est à 478 dollars la tonne au mois de février 2025, soit une diminution de 110 000 francs par tonne. C’est dire que cette baisse, qui est à saluer, ne saurait être mise au crédit des efforts de l’Etat en termes de subventions ou de renonciation à des taxes.
Cette bonne nouvelle arrive dans un contexte de polémique persistante suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’état des finances publiques de 2019 à 2023. En effet, la mission du Fmi, qui était très attendue, est restée dans le diplomatiquement correct. Ceux qui attendaient, dans le communiqué final, les termes «validation», «confirmation» ou même leurs synonymes, ont vite déchanté, car le Ptf s’est juste contenté de «constater», de «revoir» ou de «corriger» les «graves lacunes dans le contrôle budgétaire et la reddition des comptes, soulignant l’urgence de mettre en œuvre des réformes structurelles. La mission (du Fmi) a cherché à mieux cerner l’ampleur des écarts et les insuffisances juridiques, institutionnelles et procédurales qui les ont rendus possibles. Les discussions ont également porté sur l’identification de mesures correctrices pour améliorer la transparence budgétaire, renforcer le contrôle des finances publiques et la récurrence de telles pratiques». Tout au plus, le Fmi s’attend à «des réformes audacieuses et crédibles» pour un «retour rapide à l’objectif de déficit budgétaire fixé par l’Uemoa», mais surtout «placer la dette publique sur une trajectoire durablement décroissante». Et dans ce sens, des «mesures prioritaires (qui) incluent la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées» sont attendues, pour ne pas dire exigées.
«Dites-nous comment vous avez fait pour nous berner»
Et devant la demande des nouvelles autorités pour un nouveau programme appuyé par le Fmi, celui-ci se dit être «prêt à accompagner le Sénégal» à condition de tirer «les enseignements de l’audit (de la Cour des comptes) (...) Les discussions sur un éventuel nouveau programme débuteront dès que des mesures correctrices auront été engagées pour remédier aux déclarations erronées, et peu après l’examen du dossier par le Conseil d’administration du Fmi». En langage moins diplomatique, le Fmi dit aux autorités : «Si vous dites que les comptes sont maquillés, dites-nous comment vous avez fait pour nous berner. Et apportez les corrections sur vos supposées falsifications avant toute nouvelle collaboration selon nos conditions, c’est-à-dire la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées.» Donc le Fmi a indirectement rejeté les accusations de falsification de la dette et du déficit par Ousmane Sonko. Est-ce la raison pour laquelle Edward Gamayel et ses collègues ont été reçus par les plus hautes autorités, sauf le Premier ministre ? En tout cas, le communiqué du Fmi ne l’a pas cité parmi ceux qui ont eu des échanges avec son équipe. «Au cours de sa visite, l’équipe a rencontré Son Excellence M. Bassirou Diomaye Faye, président de la République, M. Ousmane Diagne, ministre de la Justice, M. Abdourahmane Sarr, ministre de l’Economie, du plan et de la coopération, M. Cheikh Diba, ministre des Finances et du budget, ainsi que plusieurs hauts responsables de l’Administration. L’équipe a également eu des échanges fructueux avec des représentants des syndicats, de la Société civile et des partenaires au développement.» C’était bien l’une des très rares fois depuis l’histoire de la coopération avec les institutions de Bretton Woods, que le chef du gouvernement n’a pas daigné recevoir une mission du Fonds, surtout dans un contexte aussi sensible !
La réputation ternie du Sénégal
Et suite à la mission du Fmi, Jeune Afrique informe que les eurobonds sénégalais échéant en 2048 ont enregistré une décote de 35% à la Bourse de Londres, avec des taux d’intérêt grimpant à près de 15%, un record historique pour le pays. Un taux presque usurier qui témoigne que le Sénégal poursuit inexorablement sa descente aux enfers dans les méandres de la finance internationale.
C’est vraiment dommage pour le Sénégal. Pourtant, ce pouvoir a hérité d’une situation extraordinairement favorable, marquée par une alternance démocratique largement saluée à l’échelle internationale. Il disposait ainsi d’un capital diplomatique exceptionnel qu’il aurait pu exploiter intelligemment pour «vendre» une nouvelle image du pays, renforcer sa visibilité sur la scène internationale et attirer davantage d’investissements et de partenariats stratégiques. Malheureusement, Pastef n’a pas su capitaliser sur ces atouts comparatifs pour impulser une dynamique positive à leur gouvernance. Ce manque de vision stratégique à l’international est d’autant plus regrettable que le contexte était propice à un repositionnement ambitieux du Sénégal dans le concert des nations.
En lieu et place de cela, ce pouvoir a préféré se lancer dans une entreprise de dénigrement du pouvoir sortant, qui a eu comme conséquence la réputation ternie du Sénégal. L’on a sorti cette histoire de «dette cachée» reprise par les médias internationaux (Rfi et France 24) qui ne se sont pas posé les questions essentielles : comment a-t-on pu cacher 7 milliards de dollars, soit près de 5 mille milliards de francs Cfa dont les créanciers existent ? Dont le remboursement est effectif ? Et dont les montants sont traçables dans des comptes à la disposition de tous les corps de contrôle ? Qui dit dette, dit débiteur et créancier. Donc qui sont ces créaciers qui ont bien voulu se cacher ?
Une dette «cachée» de 5000 milliards est en réalité bien traçable
En septembre dernier, dans notre chronique «Sonko n’aime pas le Sénégal», nous disions : «Ce gouvernement, à commencer par son chef, se doit d’être plus sérieux. Il ne faut pas mettre la politique politicienne trop en avant, au risque de nuire à la crédibilité du Sénégal, avec des répercussions immédiates sur la notation du pays et sur les taux d’intérêt.» Le temps semble nous donner raison car cette polémique montre que le 26 septembre 2024, quand Ousmane Sonko faisait face à la presse pour accuser le pouvoir sortant d’avoir menti sur les chiffres, il mettait sciemment en danger la souveraineté nationale, de par ses accusations sans fondements qui ont eu le don de ruiner la signature, le crédit et le prestige du Sénégal.
Le Fmi sait très bien que la dette supposée «cachée», qui s’élève à environ 5000 milliards, est en réalité bien traçable dans les livres du secteur parapublic, comme la Sar, Petrosen, le Port autonome de Dakar, à l’Aibd, à Air Sénégal ou à la Senelec, entre autres… Elle s’appelle la dette du secteur parapublic ou «quasi-dette de l’Etat» qui n’a servi que de garantie. D’ailleurs, cette dette n’est pas traçable au Trésor. Mais l’organisme semble profiter du jeu du Premier ministre pour mettre enfin la pression sur le régime et imposer son agenda avec ses conditions draconiennes. Le Sénégal se retrouve désormais à la merci du Fmi, avec des conséquences sociales graves pour les populations. Avec l’abaissement de la note souveraine, la suppression annoncée des subventions et l’ajustement structurel qui se profile à l’horizon, le Sénégal se retrouve dos au mur. Sa crédibilité et sa signature en prennent un sacré coup. Dénigrer Macky Sall et son régime en valait-il la peine ? «Moi, je ne suis pas sûr que les Chinois, les Américains, les Français, les Arabes, les Japonais ou les Russes dévoilent les vrais chiffres de leur économie. Ni qu’Orange ou Microsoft publient leurs chiffres réels. Comment un Premier ministre ou un chef d’Etat peut-il flinguer la crédibilité de son propre pays sur la scène internationale juste pour régler des comptes politiques ? On s’est tiré une balle dans le pied ! Je ne comprends pas. Partout dans le monde, les dirigeants se battent pour rendre leur pays attractif. Si le Premier ministre avait dit : «on revient à l’orthodoxie financière», personne n’aurait été contre, mais il faut des actes concrets derrière. Or, qu’a-t-on fait ? Flinguer notre économie pour mettre Macky Sall et ses proches en prison, c’est léger comme motif. Quand tu discrédites la parole publique et l’Administration, tu te sabordes toi-même», dira Fadel Barro dans une interview à Seneweb. Ou veut-on masquer son incompétence et son immobilisme en cherchant des prétextes avec ce rapport ?
Les deux objectifs ratés de Sonko
Ousmane Sonko, en annonçant des comptes falsifiés, avait deux objectifs : dans le court terme, salir le régime de Macky Sall pour des gains électoraux, et ensuite, sur le long terme, s’attirer les bonnes grâces du Fmi là où l’ancien régime croisait le fer avec l’organisme pour maintenir les subventions. Echec et mat ! Le Sénégal continue d’emprunter à des taux très élevés et sur des délais très courts. Ce 25 mars, nous avons encore emprunté 250 milliards sur le marché de l’Uemoa. Pire, à l’issue de sa mission, le Fmi n’a pas lâché du lest et continue de geler sa coopération avec le Sénégal, sous réserve que le gouvernement prouve qu’il y a bien eu manipulation et maquillage, et qu’il signe le mémorandum officiel de l’arrêt des subventions. Et une Loi de finances rectificative se profile pour mieux serrer la vis sur les dépenses sociales. Le Sénégal sera obligé de supprimer les subventions et voir les prix de l’électricité, du carburant, du gaz butane et des denrées de première nécessité monter en flèche.
Des temps difficiles s’annoncent pour ce pays. Ousmane Sonko est tombé dans le piège par inexpérience et par volonté de nuire coûte que coûte à l’ancien régime, même s’il devait passer par abaisser la note souveraine du pays et fragiliser sa signature. Il a en partie réussi, car après un an de gouvernance du duo Diomaye-Sonko, pas un seul projet d’envergure n’a été lancé.
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants. L’horloge, elle, continue de tourner, et dans trois ans, ce pouvoir fera face au Peuple, seul juge de ses actions. Sonko sourit certainement des «ruines» qu’il a causées, et le Sénégal pleure. Sonko n’est vraiment pas le pendant africain de Mahatir Mohamed.