LES MOTS QUI BLESSENT, QUAND LA PRESSION SOCIALE FRAGILISE LES INDIVIDUS
"Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.

Introduction : des paroles en apparence anodines, mais profondément blessantes
Dans notre société sénégalaise, certaines questions ou remarques sont souvent posées sans mauvaise intention, mais elles peuvent être une source de souffrance pour ceux qui les reçoivent : "Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.
Ces paroles, répétées à longueur de journée, s'inscrivent dans une dynamique où l'individu est constamment évalué par la société. Ce phénomène est renforcé par des facteurs culturels, économiques et psychologiques qui méritent une analyse approfondie.
1. Les normes sociales et la pression du regard des autres
- la métaphore théâtrale de Goffman : jouer un rôle sous le regard des autres
Le sociologue Erving Goffman compare la vie sociale à une scène de théâtre où chaque individu joue un rôle en fonction des attentes de la société.
Au Sénégal, ces rôles sont souvent prédéfinis : se marier, avoir des enfants, obtenir un emploi stable. Toute deviation de ce script est perçue comme une mauvaise performance, entraînant des jugements sociaux et des remarques intrusives.
. La théorie de la déviance de Becker : être étiqueté par la société
Selon Howard Becker, la déviance n'est pas une caractéristique intrinsèque d'un individu, mais résulte d'un étiquetage social. Ainsi, une personne célibataire ou sans enfants au-delà d'un certain âge peut être considéré comme "anormale" ou malchanceuse, renforçant la stigmatisation et la pression sociale.
. Les blessures invisibles : quand les mots deviennent des coups
. Le cas de Matar Diagne : un drame causé par la pression sociale.
Matar Diagne, étudiant à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis ( UGB ), s'est suicidé récemment après avoir été victime de jugements négatifs sur sa maladie et son comportement solitaire.
Avant son geste tragique, il a laissé un texte posthume dénonçant cette attitude hypercorrective qui pousse de nombreuses personnes à se conformer sous la pression du regard social, parfois au détriment de leur bien-être mental. Son cas illustre le poids des attentes sociales et la difficulté qu'ont certaines personnes à trouver leur place dans une société où la différence est souvent mal perçue.
. La vidéo de Fatel : un témoignage sur la pression autour de la parentalité
Fatel, épouse du célèbre rappeur Ngaka Blinde, a récemment partagé une vidéo dans laquelle elle évoque les remarques incessantes du public sur leur absence d'enfant après plusieurs années de mariage. Malgré la naissance récente de leur enfant, le couple a dû faire face à des jugements intrusifs et blessants, révélant ainsi une réalité que vivent de nombreux couples au Sénégal.
Cette situation montre à quel point la parentalité est perçue comme une obligation sociale et non comme un choix personnel, ce qui renforce la pression exercée sur les individus.
. "Les top cas" et le tribunal médiatique
Dans la culture numérique actuelle, des figures comme Adomo et d'autres influenceurs ont transformé les lives "top cas" en tribunal médiatique où la vie privée des gens est exposée et jugée en direct. Ces émissions amplifient la stigmatisation et participent à la construction d'un climat de surveillance sociale, où tout écart par rapport aux normes est scruté et commenté publiquement.
3. La dimension économique et culturelle : pauvreté, oisiveté et pression sociale
. La pauvreté, un terrain fertile pour les tensions sociales
Le manque de ressources économiques ne se limite pas à la précarité matérielle, il engendre aussi des tensions sociales et psychologiques. Jalousie, haine, calomnie, jugements des autres, méchanceté, rancune... sont autant de comportements qui peuvent être exacerbés par la frustration liée à la pauvreté. Dans un contexte où les opportunités sont limitées, certains reportent leur mal-être sur leur entourage, en critiquant ceux qui semblent réussir ou qui s'écartent des normes établies.
. L'oisiveté et l'obsession de la vie des autres
L'absence d'emploi ou d'occupation constructive laisse un vide que beaucoup remplissent en s'intéressant excessivement aux affaires des autres. Les discussions de quartier, les groupes Whatsapp et les émissions en direct sur les réseaux sociaux deviennent des espaces de commérages et de jugement collectif, où chacun donne son avis sur la vie des autres sans se soucier des répercussions psychologiques.
. La culture orale qui amplifie la surveillance sociale
Dans une société où l'oralité occupe une place centrale, les récits et commentaires circulent rapidement. Contrairement aux sociétés plus individualistes, où la discrétion et la vie privée sont valorisées, au Sénégal, les choix de vie sont un sujet collectif de débat permanent, ce qui renforce la pression sociale.
4. La nécessité d'une réponse institutionnelle et communautaire.
. Créer des espaces d'écoute bienveillante
Face au nombre croissant de personnes souffrant en silence, il est urgent de mettre en place des espaces d'écoute bienveillante à travers le Sénégal. Ces structures, animées par des professionnels ( psychologues, sociologues, travailleurs sociaux ) et des volontaires formés, pourraient offrir un cadre où les individus en détresse peuvent parler sans crainte du jugement.
. Le manque de psychologues et l'absence de culture de la consultation
Au Sénégal, le nombre de psychologues est insuffisant pour répondre aux besoins de la population. De plus, consulter un psycjologue est souvent perçu comme un aveu de faiblesse ou une maladie mentale grave. Il est essentiel de changer cette perception en intégrant progressivement la culture du suivi psychologique dans la société sénégalaise.
. Encourager les initiatives locales pour lutter contre l'oisiveté
. Créer des activités communautaires, des espaces de formation et d'emplois temporaires pourrait réduire l'oisiveté et donner aux jeunes, en particulier, un cadre plus constructif que les discussions stériles sur la vie des autres.
Conclusion : vers une culture de respect et de l'empathie
Les paroles ont un poids. Une simple question peut parfois être un fardeau pour celui qui là reçoit. Dans une société où les attentes sociales sont très marquées, il est primordial de repenser notre manière de communiquer et d'intégrer plus d'empathie dans nos interactions quotidiennes.
. Encourager une culture du respect des parcours individuels et du vivre ensemble sans pression sociale est un défi collectif. Chacun, à son niveau, peut y contribuer en veillant à la portée de ses paroles et en cultivant l'écoute bienveillante.