PASTEF PERSISTE DANS LA TROMPERIE
Face à l'exigence d'abrogation totale, le régime Pastef persiste dans une approche biaisée du droit, mélangeant volontairement les concepts juridiques pour protéger certains auteurs d'infractions tout en exposant d'autres à la justice.

La commission des lois a statué ce vendredi 21 mars sur la proposition de loi (introduite par Pastef) portant interprétation de la loi d'amnistie de 2024. On peut remarquer, avec surprise, que le texte a été entièrement réécrit au moyen d'un amendement déposé par le porteur même de la proposition de loi, le député Amadou Ba. En d'autres termes, le texte à l'égard duquel le président Bassirou Diomaye Faye avait donné un avis (favorable), comme l'exige l'article 60 du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale, a complètement disparu dans le fond au profit d'une nouvelle version.
En réalité, il s'agit d'une nouvelle proposition de loi portant « interprétation » de la loi d'amnistie. Pastef reconnait ainsi, encore une fois, que sa volonté d'une justice à deux vitesses est rejetée par les Sénégalais. En revanche, au lieu de se résoudre définitivement à appliquer la demande claire du peuple d'une abrogation totale, le système Pastef continue dans la tromperie à travers la nouvelle mouture de sa proposition de loi. En lisant le texte issu de l'amendement, on est frappé par deux choses : l'exposé des motifs relève de l'enfumage, alors que l'interprétation proposée constitue de l'embobinage. Leur faux débat sémantique sur l'abrogation montre aussi qu'ils ignorent le sens de ce terme en droit constitutionnel, qui est différent de son contenu en droit administratif.
L'exposé des motifs : de l'enfumage juridique
Dans un texte de loi, l'exposé des motifs constitue une partie essentielle qui contribue à mieux comprendre l'économie des dispositions législatives. À titre d'illustration, le Conseil constitutionnel sénégalais avait déclaré inconstitutionnel l'article 2 de la loi EZZAN (loi d'amnistie concernant l'affaire Maître Babacar Sèye) au motif que cette disposition ne s'inscrivait pas dans le but poursuivi par la loi au regard de l'exposé des motifs (décision n° 1/C/2005 du 12 février 2005). La proposition de loi de Pastef risque de subir le même sort, tellement son exposé des motifs est (volontairement) confus.
La mention maladroite de jurisprudences étrangères, de surcroît inutiles, dans l'exposé des motifs
Pour donner le sens d'une loi interprétative, Pastef a jugé utile d'aller chercher dans la jurisprudence de la Cour de cassation française et de la Cour constitutionnelle béninoise. Le plus amusant est que les décisions citées ne nous apprennent absolument rien sur la loi interprétative. On y lit grosso modo qu'une loi interprétative fixe le sens exact d'une loi antérieure et pourrait être rétroactive. On ne peut pas dire que les Sénégalais seront plus instruits en lisant cela.
Alors qu'elles n'apportent aucune information nouvelle, les jurisprudences béninoise et française citées ne s'imposent pourtant pas au Sénégal. On aurait compris qu'on cite une juridiction internationale (comme la Cour pénale internationale) ou une juridiction communautaire (comme la Cour de justice de la CEDEAO, la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, etc.) pour rappeler le droit applicable concernant le Sénégal. C'est à croire que nos « juristes Gondwanais » confondent « exposé des motifs d'une loi » et « note explicative d'une loi ». Ils devraient penser à prendre des cours de légistique (« ensemble des règles, principes et méthodes utiles à la conception et à la rédaction des textes normatifs visant, du point de vue de la forme et du fond, à assurer la cohérence et l'efficacité de ceux-ci »).
L'argument fallacieux de l'ambiguïté de la loi d'amnistie de 2024
L'argumentaire de Pastef pour justifier la loi interprétative repose essentiellement sur l'idée que la loi d'amnistie de 2024 prêterait à confusion en ce qu'elle laisserait entendre en substance que les crimes de sang y sont inclus. Le régime Pastef entretient sciemment une confusion entre son souhait (une amnistie partielle) et le contenu exact et clair de la loi d'amnistie (une amnistie totale). Il faut être malhonnête pour soutenir que la loi d'amnistie de 2024 est l'objet de controverses quant à son champ d'application exact.
L'article 1^er^ de la loi d'amnistie, qui n'avait pas contenu de modification depuis l'initiative jusqu'à l'adoption, a toujours indiqué que cette loi visait à effacer les faits commis dans la période ciblée qui sont susceptibles d'être qualifiés d'infractions criminelles ou correctionnelles se rapportant à des manifestations ou ayant une motivation politique. Le texte est écrit dans un français clair et dans un style simple qui n'est sujet à aucune équivoque. En outre, la loi d'amnistie n'avait fait l'objet d'aucune controverse quant à sa compréhension. Dès qu'elle a été promulguée, la loi d'amnistie avait été appliquée par la justice sans aucune contradiction : tous les prisonniers, dans toutes les prisons du Sénégal, ont été libérés.
À cela, il faut ajouter un fait qui montre une fois de plus que le régime Pastef fait dans la tromperie. Lors de l'examen en plénière de la proposition de loi d'amnistie, les députés de Pastef, par la voix du député Birame Soulèye Diop (actuel ministre de l'Énergie), avaient posé une question inutile qui avait reçu une réponse claire. Le député pastéfien avait posé la question suivante : « est-ce que les crimes de sang sont couverts par la loi d'amnistie » ? La réponse de la ministre de la Justice, Aïssata Tall Sall était la suivante : « toutes les infractions criminelles, délictuelles font partie du champ d'intervention de l'article 1^er^ de la loi d'amnistie ; c'est clair, c'est net, c'est du français, c'est même pas du droit, on peut lire et comprendre ». Cet échange montre encore, s'il en était besoin, que le sens de la loi d'amnistie n'a jamais été ambigu.
L'énumération du droit pénal pertinent, avec une conclusion décevante
En inventant, dans son propre imaginaire, l'équivoque, l'ambiguïté et la controverse au sujet de la loi d'amnistie, le régime de Pastef a rappelé dans sa nouvelle proposition de loi le droit international et le droit communautaire pertinents au sujet des violations graves des droits de l'homme qui ne peuvent pas faire l'objet d'amnistie. Après avoir énuméré une palette de textes et de jurisprudences qui s'inscrivent dans cette logique, la nouvelle proposition de loi de Pastef a choisi une conclusion peu ambitieuse en optant pour une interprétation qui n'est en réalité qu'une abrogation partielle.
L'exposé des motifs présente à cet égard une grande incohérence par rapport à la proposition finale. On peut être surpris d'ailleurs de constater que l'exposé des motifs omet de citer la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de la CEDEAO qui résume le droit international et communautaire en la matière en bannissant l'amnistie concernant des faits similaires à ce qui s'est passé au Sénégal entre le 1^er^ février 2021 et le 25 février 2024. Dans son arrêt Sidi Amar Ibrahim et autres contre La République du Niger rendu le 9 février 2011 (n° ECW/CCJ/JUD/0I/14), la Cour de Justice de la CEDEAO rappelait que « la doctrine et la jurisprudence internationales [...] admettent exceptionnellement que pour les violations graves et massives des droits fondamentaux de l'homme, tels que consacrés par la coutume internationale et les instruments pertinents des droits de homme, retenir application de la loi d'amnistie équivaut à supprimer le droit à un recours effectif devant les tribunaux compétents ». Le régime Pastef a volontairement omis cette jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO parce qu'elle ne convient pas à leur entreprise d'enfumage et de manipulation.
Les dispositions : de l'embobinage
Le maintien de l'amnistie pour des criminels présumés
La première chose qu'il convient de retenir au sujet de la nouvelle proposition de loi de Pastef est qu'elle maintient l'amnistie de faits susceptibles d'être qualifiés de crimes. En d'autres termes, si cette proposition est adoptée, des criminels pourraient échapper à la justice. Selon l'article 1^er^ de la nouvelle proposition de loi interprétative, « Au sens de l'article 1^er^ de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie, les faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle ayant une motivation politique ou se rapportant des manifestations sont entendus des faits des faits liés à l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique ». Si on s'arrête sur cette première partie de l'article 1^er^ de la nouvelle proposition de loi, un criminel présumé pourra échapper à la justice s'il parvient à prouver que son acte était lié à l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique.
La nouvelle interprétation introduit de l'ambiguïté dans la loi d'amnistie qui est claire
Pour être objectif et complet, ce premier alinéa de l'article 1^er^ de la nouvelle proposition de loi doit être lu avec le second alinéa du même article dont le contenu est le suivant : « Au sens de l'article 1er de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie, sont exclus du champ de l'amnistie les faits survenus entre le 1^er^ février 2021 et le 25 février 2024 tant au Sénégal qu'à l'étranger, sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique et qualifiés, notamment, d'assassinat, de meurtre, de crime de torture, d'actes de barbarie, de traitements inhumains cruels ou dégradants, même si ces faits se rapportent à des manifestations, qu'elle qu'en soit la motivation et indifféremment de leurs auteurs ».
Après avoir lu cet article 1^er^ de la nouvelle proposition de loi interprétative de Pastef, on ne peut pas s'empêcher de se poser cette question : l'interprétation prétendue ne rend-elle pas plus compliquée la loi dont elle est censée établir la signification exacte ? Ce qui est clair dans cette nouvelle mouture, c'est ce qui n'a jamais embêté le Pastef : d'une part, les éléments des forces de l'ordre seront jugés ; d'autres part, les militants politiques seront épargnés. En effet, il suffira, par exemple (aux personnes qui ont incendié l'UCAD, détruit massivement des biens de Sénégalais, incendié les magasins Auchan et les Stations-Services) de soutenir que les faits commis l'ont été par mégarde lors de l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique (droit de manifester) pour bénéficier de la loi d'amnistie.
Par contre, la nouvelle proposition de loi de Pastef introduit de l'ambiguïté et de la confusion. En effet, dans le second alinéa de l'article 1^er^ du texte, il est dit que sont exclus de l'amnistie, c'est-à-dire pourront être jugés, « les faits [...] sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique et qualifiés, notamment, d'assassinat, de meurtre, de crime de torture, d'actes de barbarie, de traitements inhumains cruels ou dégradants, même si ces faits se rapportent à des manifestations, qu'elle qu'en soit la motivation et indifféremment de leurs auteurs ». Que doit-on comprendre par « faits sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique [...], même si ces faits se rapportent à des manifestations » ? Plus concrètement, les personnes qui ont incendié le bus de Yarakh n'ont-elles pas commis un fait criminel en lien avec l'exercice une liberté publique ou un droit démocratique ? Que devrait-on privilégier ici : « sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique » ou « même si ces faits se rapportent à des manifestations » ? Dans la première hypothèse (on considère que l'acte d'homicide a un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique), les criminels présumés sont couverts par l'amnistie. Dans la seconde hypothèse (on considère que l'acte d'homicide, même se rapportant à des manifestations, sera jugé), les criminels présumés pourraient être jugés.
En conclusion, l'interprétation de Pastef complique davantage la loi d'amnistie dont elle est censée établir la signification qui, en l'état actuel, ne fait l'objet d'aucune ambiguïté.
Ignorance du sens de l'abrogation en droit constitutionnel
Dans leur campagne de manipulation pour refuser l'abrogation totale de la loi d'amnistie de 2024, les partisans du Pastef se sôt engouffrés dans une querelle sémantique ridicule. Depuis quelques jours, leur discours consiste à dire que le terme « abrogation » ne conviendrait pas ici, car l'abrogation ne rétroagit pas et ne vaut que pour l'avenir. Par conséquent, la proposition de loi portant abrogation de la loi d'amnistie déposée par le député Thierno Alassane Sall ne supprimerait pas l'amnistie concernant les personnes qui ont été déjà jugées et condamnées avant l'intervention de l'amnistie.
Le rejet du terme « abrogation » après l'avoir utilisé plusieurs dans leurs promesses d'une abrogation de l'amnistie
Plusieurs questions pour mettre en évidence leur malhonnêteté : quand Ousmane Sonko, de formation juriste, promettait l'abrogation de la loi d'amnistie à Ziguinchor le 1^er^ novembre 2024 et devant l'Assemblée nationale le 27 décembre 2024, avait-il oublié alors ses cours de droit ? Quand le président Bassirou Diomaye Faye, juriste de formation, promettait l'abrogation de l'amnistie dans son discours à la Nation le 31 décembre 2024, lui et ses éminents conseillers juridiques auraient-ils oublié le sens juridique du terme abrogation ? Où étaient nos « juristes Gondwanais » pendant que toutes ces promesses d'abrogation de Pastef étaient faites aux Sénégalais ?
Une confusion entre l'abrogation en droit administratif et l'abrogation en droit constitutionnel
En réalité, Pastef s'accroche à un débat sémantique qu'il ne maitrise absolument pas. Il ne suffit pas d'avoir obtenu un diplôme de droit pour avoir la légitimité de décréter la Vérité juridique sur tous les sujets. Nos « juristes Gondwanais » confondent le droit administratif et le droit constitutionnel quant au sens du terme « abrogation ». En droit administratif, on distingue entre « retrait » et « abrogation » d'un acte administratif. Le retrait supprime l'acte pour le passé et pour l'avenir. L'acte administratif est alors considéré comme n'ayant jamais existé, même ses effets antérieurs au retrait sont supprimés. Quant à l'abrogation, elle ne vaut que pour l'avenir. Elle ne concerne pas les effets antérieurs de l'acte administratif abrogé.
Cette distinction reprise par Pastef pour rejeter le terme « abrogation » au profit de l'interprétation relève sans doute de l'ignorance. Puisqu'il est question de la fabrique de la loi, nous sommes en droit constitutionnel, et non en droit administratif. Or, le droit constitutionnel ne connaît pas la distinction entre le retrait et l'abrogation concernant la loi. Contrairement en droit administratif, l'abrogation n'y est pas une notion consacrée. Ainsi, il n'existe pas de « loi d'abrogation », comme il n'existe pas d'ailleurs de « loi d'amnistie ». On parle plutôt de « loi portant abrogation » ou de « loi portant amnistie ». Dans les deux cas, il s'agit d'une loi qui est régie par le régime de droit commun. Il existe des types de lois particuliers : loi de finances, loi de validation, loi interprétative, etc. La loi portant abrogation d'une loi antérieure constitue une loi simple au sens général.
La loi simple est régie par le principe de non-rétroactivité. En droit pénal, cette non-rétroactivité est consacrée par l'article 9 de la Constitution qui dispose que « nul ne peut être condamné si ce n'est en vertu d'une loi entrée en vigueur avant l'acte commis » (voir aussi l'article 8 de la DDHC de 1789 qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité). Au regard de ce principe de non-rétroactivité, une loi portant abrogation ne rétroagit pas en principe. Cette non-rétroactivité n'est pas liée au terme « abrogation », mais plutôt à la loi.
Une loi portant abrogation peut bien rétroagir. Pourquoi ? Le principe de non-rétroactivité de la loi est assorti de trois exceptions : les lois interprétatives, les lois de validation et les lois déclarées rétroactives par le législateur. Concernant la dernière exception, on y apprend qu'une loi peut rétroagir lorsque le législateur le mentionne expressément. Pour revenir à notre affaire, une loi portant abrogation peut donc bel et bien rétroagir si le législateur le précise. Il en résulte donc que, contrairement à ce que soutiennent nos « juristes Gondwanais », l'abrogation n'a pas une signification en droit constitutionnel qui est soit rédhibitoire à la rétroactivité. La non-rétroactivité s'attache à la loi, non au contenu de la loi (l'abrogation). Une loi d'abrogation peut techniquement rétroagir.
Pourquoi il n'était pas nécessaire de préciser que la loi d'abrogation sera rétroactive dans le cas d'espèce ? Une telle précision serait redondante et superfétatoire au regard de la particularité de la loi dont on vise l'abrogation. La loi d'amnistie est une loi à application unique, elle efface des faits susceptibles d'être qualifiés d'infractions pénales. Dès lors, son abrogation viendra restaurer ces faits dans leur entièreté, qu'ils aient été déjà jugés ou non avant l'entrée en vigueur de la loi d'amnistie. Il est irrelevant et insensé de discuter sur le caractère rétroactif ou non de la loi d'abrogation, au regard de la nature même de la loi d'amnistie. La loi d'amnistie ayant visé une période allant du 1^er^ février 2021 au 25 février 2024, une loi qui l'abroge rétroagit naturellement et on n'a pas besoin de le préciser.
Puisque la loi d'abrogation sera rétroactive, que fait-on des droits acquis et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère ? Tous les obstacles juridiques invoqués pour rejeter l'abrogation reposent sur la nécessité de protéger les droits des personnes amnistiées. Quid des victimes et de leurs familles respectives ? N'ont-ils pas de droits fondamentaux protégés par le droit pénal international, le droit communautaire et le droit constitutionnel ? Est-il juridiquement admissible d'invoquer le respect des droits acquis en matière pénale pour dénier à d'autres personnes le droit d'obtenir justice ? La réponse est évidemment non, au regard du droit applicable, notamment la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO rappelée au haut. La vérité est que cette loi d'amnistie n'aurait jamais dû exister. Une saisine devant le Conseil constitutionnel avant sa promulgation aurait entrainé sa déclaration d'inconstitutionnalité. Pastef avait la possibilité de saisir le Conseil à l'époque car il disposait du nombre de députés requis (au moins 17 députés), mais avait préféré fermer les yeux.
Une proposition de loi faussement interprétative
Par ailleurs, tout en proclamant avoir opté pour la loi d'interprétation pour échapper au principe de non-rétroactivité de la loi, le régime Pastef s'est davantage fourvoyé. Il est vrai que la loi interprétative peut rétroagir car elle précise le sens d'une loi antérieure. Cette exception au principe de non-rétroactivité se justifie par le fait que la loi interprétative n'ajoute rien au texte initial, elle en établit simplement la signification.
Force est de constater cependant que la proposition de loi interprétative de Pastef ne se contente pas de préciser la loi d'amnistie, elle la réécrit totalement. La proposition de loi de Pastef, appelée proposition de loi interprétative, constitue en réalité une modification de la loi d'amnistie. Elle vise à redéfinir, et non à préciser, en effet le champ d'application de l'amnistie ; elle vise à modifier la loi d'amnistie. Par conséquent, elle vient se heurter, si on reste dans leur logique, au principe de la non-rétroactivité de la loi.
À titre illustratif, toujours pour rester dans la logique de Pastef qui cite notamment le juge français, rappelons la jurisprudence de la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre sociale, 8 juin 2011, n° 09-67051, 19 salariés c/ Sté Dalkia France). Selon cet arrêt, « une loi est interprétative lorsqu'elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ». Ayant constaté que la loi était faussement interprétative, la Cour de cassation conclut : « ayant ainsi caractérisé l'innovation apportée par le nouveau texte, la cour d'appel en a déduit à bon droit que celui-ci n'avait pas de caractère interprétatif et qu'il n'était pas applicable à des faits antérieurs à son entrée en vigueur ». Le régime Pastef qui cite la jurisprudence de la Cour de cassation française a omis de rappeler que cette même juridiction refuse la rétroactivité des lois que le législateur veut interprétatives mais qui sont réellement dépourvues de caractère interprétatif. Pastef est donc rattrapé par sa fausse polémique sur la rétroactivité.
En définitive, Pastef insiste dans sa volonté initiale d'une abrogation partielle de l'amnistie. Ils ont formulé ce souhait de plusieurs manières : abroger partiellement, rapporter, réécrire, interpréter... Les Sénégalais les rappellent à l'essentiel : la loi d'amnistie doit être abrogée totalement. Le droit international, le droit communautaire et le droit constitutionnel sénégalais ne s'y opposent absolument pas, contrairement à la manipulation de Pastef. Les principes du droit pénal protègent principalement les victimes au détriment des bourreaux. Le discours tenu par le Pastef pour écarter l'abrogation laisse entendre que les droits des bourreaux au regard de l'amnistie priment ceux des victimes qui doivent être restaurés conformément au droit en vigueur. Tout le reste n'est que tromperie et manipulation.
Thierno Alassane Sall est député à l’Assemblée nationale.